L’univers du Vodou sublimé par l’art contemporain

La Biennale Ouidah et sa programmation vertigineuse autour des « Arts et Cultures Vodun »

La Biennale Ouidah est l’une des plus importantes manifestations autour de l’art contemporain en Afrique. La Biennale de Dakar étant connue pour être le rendez-vous de référence autour de l’art contemporain sur le Continent Africain, la Biennale Ouidah se déroulant au Bénin pourrait devenir à son tour un rendez-vous culturel incontournable. Avec une seconde édition qui s’est déroulée du 25 juillet au 25 août 2024, les « Arts et Cultures vodun » se présentent comme étant un vivier d’inspirations aussi riches que vertigineux en raison de la richesse de la programmation. Celle-ci comprenait huit expositions, dont certaines se sont déroulées jusqu’au mois de septembre, réparties à travers différentes villes du Bénin. La Biennale Ouidah est le reflet d’un fort élan de créativité qui favorise la reconstruction de l’image du vodou.

Laboratorio Arts Contemporains, l’organisation à l’origine de cet événement a su mettre en lumière à la fois l’universalité et les esthétiques suscitées par le vaudou chez les artistes, que ce soit des musiciens, des cinéastes ou encore les photographes. L’action fédératrice de cette biennale ne se limitant pas aux communautés béninoises, elle a également attiré une audience internationale, tous conscients de l’évidence d’une proximité entre le Bénin et le reste du monde, laquelle se reflète dans le slogan « Si loin…si proche ? ».

Cet événement culturel au Bénin se distingue par une programmation éclectique incluant la majorité des disciplines artistiques (la mode, le design, les arts visuels (photographie, art plastique, cinéma), la littérature ainsi que la musique et la danse. Il en résulte alors un calendrier diversifié, rappelant par la même occasion que le vaudou se conçoit et se ressent à travers différents médiums artistiques et esthétiques : notamment à travers la musique, la danse ainsi que dans la singularité des costumes. Cette Biennale est spécifique dans la mesure où elle fédère de multiples expressions artistiques visant à interpréter le vaudou. 

L’hommage à Tatiana Carmine, un hommage à une force créatrice ainsi qu’à des esthétiques inspirées de la mer

   L’art contemporain en lui-même est un large champ d’exploration par excellence. Tandis que le vaudou peut se percevoir tel un univers dont seuls les initiés peuvent définir chaque pourtour. Les expressions artistiques désignées par « Arts et Cultures Vodun » nous entraînent alors dans une dimension où l’abstraction de la nature et du monde invisible font l’objet de multiples interprétations. L’exposition en hommage à Tatiana Carmine est le chemin le plus court pour comprendre cette dualité entre la communion des idées et l’interprétation personnelle. Une fresque murale réalisée par quatre artistes béninois : Simplice  Ahouansou, Midy, Kola, Togbe, Zansou et José à l’Auberge fleurie à Ouidah, donne une idée de la formidable créativité de cette artiste d’origine russe et de nationalité suisse. Il en résulte alors un mur avec des nuances de vagues, la couleur bleue étant prédominante. L’artiste peintre dispose de cette remarquable capacité à s’approprier une idée, de chercher à la restituer tout en y ajoutant une touche personnelle. C’est en cela que cette fresque interpelle, loin de la redondance, c’est un ensemble d’interprétations du mouvement des vagues, de la fluidité de l’eau, régit par l’élément naturel qu’est le vent, un hommage à Tatiana Carmine et par la même occasion un hommage à ce mouvement majestueux que la nature nous offre. De même, la créativité repousse les limites des palettes de couleurs, notamment par ses différentes nuances de bleu ainsi que les autres couleurs improbables qui se rajoutent à l’ensemble. Une même idée, différentes formes et couleurs, le vaudou est également cette source d’inspiration qui nous ramène à l’essentiel, à la force de la nature, dans sa fluidité et sa majesté. Chacun des quatre artistes ont également réalisé trois œuvres en plus de la fresque murale. Exprimant ainsi pleinement leurs personnalités à travers leurs styles respectifs, cet hommage est un riche alliage entre unité et diversité des perspectives.

 Suivre « Les pas perdus » de Roger Chappellu

L’exposition située à La Gallery sis à Cotonou du photographe suisse Roger Chappellu, traduit la sincérité de la démarche artistique dans la sublimation de la lumière. De prime abord, il pourrait s’agir d’une technique consistant à capter la lumière naturelle afin de donner des visages à des pierres ainsi qu’à d’autres éléments disposés minutieusement pour former des personnages. Mais pour le photographe, il s’agirait plutôt de reproduire une vision, car ses pierres, il les a recueillis lors de ces balades en montagne. L’artiste est doté d’une perception qui le pousse à déceler les expressions émises par les pierres, c’est ce qui les pousse alors à les cueillir et à reproduire à l’aide de la lumière naturelle cette vision contrastée.

Mais au-delà de cette forme d’art parfaitement concevable tant elle est sincère, il y a là une vérité criarde au-delà de l’esthétique suscitée par la lumière. Ces œuvres suggèrent que la nature nous regarde, qu’elle est plus vivace qu’on ne veut le croire. Le monde dans lequel nous vivons cohabite avec un autre. Les réactions suscitées peuvent être nombreuses : croyance, acceptation, remise en question ou scepticisme. Les œuvres de Roger Chappellu traduisent une abstraction qui met en évidence un autre monde. La plupart des expositions qui ont lieu durant la Biennale Ouidah sont une invitation à considérer les suggestions de l’esthétique naturelle du monde qui nous entoure, avec un affranchissement quant au monde tangible pour envisager ou même reconnaître l’évidence d’un autre monde, celui des Dieux et des ancêtres. Une exposition qui invite à envisager une nouvelle perception de la nature.

Exposition photographique : « Exposição RELIGARE – a Bahia no Benin » d’Arlete Soares, une nostalgie fraternelle

Des clichés en noir et blanc ou encore en couleur exposées dans la cour du Palais Agondji Ouidah. Une série réalisée par Arlete Soares (photographe de Bahia), immortalisant la visite au Brésil d’une délégation béninoise, comprenant Son éminence Daagbo Hounon Agbessi Houna I, ainsi que d’autres autorités religieuses et politiques, ainsi que des artistes du ballet populaire du Bénin – Ekpé. Une exposition qui rend compte de l’inauguration de la Casa do Benin à Salvador, ainsi que du rituel d’ouverture réalisé par Son éminence Daagbo Hounon Agbessi Houna I. Elles montrent également les rencontres avec des religieux dans les terreiros de Candomblé. Cette délégation a visité les terreiros les plus importants de Bahia, tels que Ilê Axé Opô Aganju, Gantois et Ilê Axé Opô Afonjá, en plus de Terreiro do Bogum, l’un des principaux lieux de préservation du Vodun. Les images révèlent les interactions entre les Bahanais et les Béninois dans ces espaces sacrés, dont les origines remontent au Bénin. Il figure également des images du voyage de la délégation bahianaise au Bénin. Ces photographies ravivent le souvenir de moments de célébration des retrouvailles entre peuples frères, après des décennies de séparation post-abolition. L’exposition RELIGARE vise avant tout à illustrer les liens profonds entre l’histoire culturelle de Bahia et la civilisation dahoméenne.[1]

L’exposition « Kosukosu » de Tognissè Aziakou, l’art de magnifier le sacré

« Kosukosu » fait partie de ces expositions qui révèlent toute la force de l’abstraction. Une fois photographiées par l’artiste, les statuettes en bois ne sauraient être perçues telles des objets inanimés, habillés à l’aide des tissus colorés. L’artiste a su révéler le caractère sacré qui leur est conféré, et ce en les mettant en avant de différentes façons. Ainsi, un changement de mise à échelle modifie la perception, l’amulette en bois devient alors une statue, rappelant ainsi que la taille originelle de l’objet sacré ne représente nullement sa signification et son importance. La sculpture s’accompagne alors d’une portée spirituelle magnifiée par une mise à l’échelle humaine. De même, l’omniprésence des trois statuettes à travers les différentes photographies, qu’elles soient posées ou encore tenues fermement dans les bras de cette femme âgée, témoigne de la valeur sentimentale qu’ils représentent pour elle. Des statuettes pour représenter l’omniprésence des êtres chers dans l’existence de cette femme. Cette dernière s’en remet à eux quotidiennement, d’où le cliché dans lequel les statuettes sont disposées tandis qu’elle consulte le Fa (un système de divination Inscrit en 2008 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité). La série de photographies réalisée par Tognissè Aziakou et exposée à la galerie Couleur Indigo à Ouidah, représente ainsi une dualité dans le caractère sacré qui est conféré à ces statuettes en bois. Loin de se limiter à l’évocation de symboliques rattachées à des objets, la démarche artistique révèle ainsi la haute considération dont ils font l’objet.

La Biennale Ouidah et sa programmation autour de l’art contemporain inspire une idée de diversité dans la représentation du sacré. Cette série d’expositions fait hésiter entre la recherche de similarités ou encore celle des singularités qui figurent entre chaque proposition artistique. Une troisième alternative parait également appropriée, celle de la recherche de la complémentarité. Cela apparait comme étant un chemin adéquat, permettant d’apprécier mais aussi d’appréhender ces différentes expressions artistiques. La Biennale Ouidah, par les thématiques qui la définissent : « Arts et Cultures Vodun », fascine, tout en repoussent les limites de l’abstraction.

Niry Ravoninahidraibe

Photo 1 : Hommage à Tatiana Carmine, Fresque murale, Auberge fleurie (Ouidah)

Photo 2 : Vernissage de l’exposition « Les pas perdus » de Roger Chappellu

Photo 3 : Exposição RELIGARE – a Bahia no Benin »d’Arlete Soares 

Photo 4 : Jumeaux, oeuvre issue de la série photographique  « Kosukosu » de Tognissè Aziakou

Photo 5 : Mystérieux, oeuvre issue de la série photographique « Kosukosu » de Tognissè Aziakou Copyright: Laboratorio Arts Contemporains – Biennale Ouidah arts et cultures vodun 2024 @Audace Aziakou – Rictus Mignonnou


[1] http://www.terceiradiaspora.blogspot.com/

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