Le Paris de 1-54 chez Christie’s
Pour sa première édition à Paris, la foire d’art contemporain 1-54 s’invite chez Christie’s
La foire 1-54 Contemporary African Art Fair consacrée à l’art contemporain d’Afrique et de sa diaspora s’est installée dans le paysage artistique et est devenue, en quelques éditions, incontournable. Depuis 2013, 1-54 officie à Londres, New York et plus récemment Marrakech. Avec les restrictions dues à la situation sanitaire, le choix a été fait de s’installer à Paris plutôt qu’à Marrakech.
Pour cette mouture parisienne, 1-54 et Christie’s s’associent à nouveau fortes de leur expérience londonienne. La foire créée par Touria El Glaouia l’ambition de répondre à un besoin de plateforme et de lieu de rencontre entre artistes, collectionneur.euse.s, professionnell.e.s, et public. Son nom, en référence aux cinquante-quatre pays du continent africain, est synonyme de qualité. Qu’en est-il pour cette édition très spéciale ?
Face aux restrictions dues à la Covid-19, la foire fait escale à Paris avant de retourner, très prochainement espérons-le, sur le continent africain décidément en manque d’offres. 1:54 peut s’enorgueillir d’étoffer l’offre de la Saison Africa 2021 (anciennement 2020). Respect des mesures barrières et de distanciation, du gel et des masques à disposition ainsi que des visites sur réservation d’un créneau horaire, sont de mise pour assurer le bon déroulement de l’événement.
Beaucoup de valeurs sûres, de (re-)découvertes et quelques artistes émergents sont au menu.
Le confinement source d’inspiration :
Le confinement, l’isolation, sont, pour certain.e.s artistes des moments propices à la création au quotidien, la révélation de l’intime et des éléments constituant nos sociétés, à l’image de Nu Barreto ou des autoportraits de Didier Viodé. Ou quand les œuvres se font journaux intimes et carnets de voyage intérieur.
Ainsi, nous retrouvons les œuvres de Nu Barreto, qui intègre peintures, photographies, textiles, dessins, et symboles forts au service de narrations multiples et diverses. L’artiste porte une attention particulière à la notion d’espace. Oeuvres magistrales, théâtres de scènes de vie où les drapeaux montrent toute leur force symbolique et évocatrice, se font sculptures ou installations.
Pendant le confinement l’artiste dessine quotidiennement explorant l’idée d’intérieur et d’extérieur, la dualité et la complémentarité qui y a trait, non sans humour. Adam et Eve se retrouvent ainsi confinés à l’intérieur d’une bouteille.
Les masques ne sont pas en reste avec, par exemple, Pascale Marthine Tayou ou Emo de Medeiros. Le premier revient avec humour sur les masques sociaux, sociétaux, leur fonction cathartique, des doubles masques en bois et en verre accompagnés de miroirs. Le second crée des œuvres interactives aux formes futuristes avec des led reprenant le système de divination du Fa.
Des œuvres de qualité :
La galerie 127 spécialisée dans la photo, la montre sous toutes ses coutures. La trame est apparente chez Fatima Mazmouz, Carolle Benitah intervient sur ses images avec de l’or ou de la broderie de soie, MoBaala crée de fascinants collages sur papier avec de la gouache et narre de nouvelles mythologies, Dada n’est pas loin. Le texte et la poésie se mêlent aux images à l’instar de la photographie de Sara Imloul créatrice de nouvelles images d’archives ou encore Mouna Saboni abordant les thématiques de territoires et frontières, de rapport à la nature et écologie, d’exils et d’identités, au travers de portraits, de paysages ou de tableaux où la photographie vernaculaire rencontre la poésie.
Les œuvres mixed-media de Joana Choumali tiennent le haut du pavé de ce 1-54 Paris, à la Gallery 1957 et à la Loft Art Gallery (le travail est présenté sous la forme d’une vidéo). La force des photographies est soutenue par la broderie où l’acte et la gestuelle ont une portée métaphysique ou thérapeutique.
Autre sensation de la foire, Roméo Mivekannin reprend dans ses dimensions originales Le Radeau de la Méduse, avec son visage en lieu et place de ceux des protagonistes. C’est une des œuvres les plus marquantes, témoin s’il en est de la capacité des artistes, galeries et foire de proposer des œuvres monumentales comme des formats plus petits. Roméo Mivekannin réinterprète des classiques et propose aussi des portraits, retour à ses premiers amours…
Luttes, résistances, réappropriation – de l’espace, du corps, d’œuvres ou de l’Histoire – sont les ingrédients de son œuvre présentée chez deux galeristes Éric Dupont et Cécile Fakhoury. Cette dernière montre également des artistes ivoiriens tels Ouattara Watts ou Jems Robert Koko Bi qui offrent chacun une vision des relations à nos semblables, aux autres et au cosmos. Nous nous élevons.
L’œuvre extrêmement documentée de Sue Williamson chez Dominique Fiat prolonge l’expérience de l’exposition de l’artiste entre les murs de la galerie. L’Apartheid, la ségrégation et le racisme comme le traitement des corps noirs sont les thématiques explorées par Williamson. Des photographies d’archives, issues de brochures de tourisme, sont entourées de plaques de métal alors que des harnais, des barbelés, des chaînes et des fils les couvrent. Classification, uniformisation, chosification… Le discours sur les Hottentotes, Zulus, Bantous ou Xhosa renvoie aux heures les plus sombres de l’humanité.
Marie-Claire Messouma Manlanbien propose au travers d’objets et de médiums hétéroclites, pour le moins en apparence : raphia, coquillages, jouets, grattoirs, filets, cheveux, minéraux, métaux pour créer et révéler hybridations, créolisations et syncrétismes.
Ses œuvres illustrent les relations complexes entre formes, objets, concepts et êtres vivants, s’inspirant notamment des pratiques traditionnelles Akans (Côte d’Ivoire, Ghana…), puisant dans la culture populaire et questionnant la notion de féminin.
Larry Amponsah, lui, pense la fabrique de l’image, son impact, sa production, son sens, sa puissance, en particulier en ce qui concerne les narrations sur les noirs, la tendance à uniformiser les expériences et in fine masquer certaines trajectoires. Ici aussi le remix, le collage, la rencontre entre analogue et digital, rendent comptent des hybridations, connexions de nos sociétés, modes de vies, cultures et individualités.
Chez Anne de Villepoix, la star de la NBA, Lebron James est un des modèles de l’artiste Noel Anderson qui tisse des tapisseries jacquard autour de la figure de l’homme noir, de l’icône, de la célébrité, évoquant l’Histoire (coton en référence au commerce triangulaire) ou les constructions sociales. Le glitch ou bug de l’image rapproche ce savoir-faire millénaire de l’ère digitale. L’un des titres, Struggle for Blak Geometry 2,fait penser au livre de Harvard Sitkoff*, The Struggle for Black Equality : 1954-1992[1], retraçant les luttes pour les Droits Civiques et revenant sur les figures du Mouvement. Nombre de personnalités dans le sport notamment se sont mobilisés dans les luttes antiracistes et pour Black Lives Matter ces dernières années.
Au détour de la Loft Art Gallery nous croisons la pop éclatante de Mous Lamrabat face aux diptyques de M’Hammed Kilito qui lui aussi a un œil pour la couleur et la lumière. Les visages sont d’une beauté et d’une force inouïes.
Avec Maximum Sensation au stand de la galerie Wilde, l’artiste pluridisciplinaire Mounir Fatmi s’intéresse à la rencontre des cultures. Des tapis de prière remplacent le grip des planches de skate. Ce geste procédant de la désacralisation est un choix intéressant, judicieux même tant il peut apporter aux débats actuels. Comme souvent les idées de cycles et de répétitions sont présentes et Fatmi est en conversation avec les tapisseries de Delaunay ou encore Le Corbusier.
D’excellentes surprises donc, des choses plus attendues et de la qualité. Outre les artistes, Omar Ba, Barthélémy Toguo ou Leïla Alaoui, nous découvrons Cristiano Mongovo, Delphine Desane, Botchway Kwesi ou encore Fouad Hamza Tibin et retrouvons Prince Gyasi dont les photographies ne laissent pas indifférent.
Special Project :
Pour le Special Project l’organisation à but non lucratif Azé s’est associée aux galeristes André Magnin et Emmanuel Perrotin et présente une installation du sculpteur Efiaimbelo, ALOAO, qui propose un trait d’union entre les pratiques de ses ancêtres liées aux mythes, croyances et forces, l’Histoire et la pratique artistique contemporaine au travers des aloaos.
Efiaimbelo, ALOAO. Courtesy Azé, André Magnin et Emmanuel Perrotin. Efiaimbelo, ALOAO. Courtesy Azé, André Magnin et Emmanuel Perrotin.
Avec des œuvres fortes et un public réceptif, le Paris de Touria El Glaoui créatrice et initiatrice de la foire 1-54 semble réussi. Reste à voir quelle direction donner à ce nouveau chapitre au vu de l’offre pléthorique de la capitale en d’autres temps, et du besoin d’événements sur le continent africain
Le virage du numérique amorcé :
Renforçant sa présence en ligne, la foire 1-54 profite d’un partenariat avec Artsy et des sites des 19 galeries présentes et de Christie’s qui donnent la possibilité de voir et d’acquérir les œuvres.
De plus, disponible en podcast tout au long du mois de février, 1-54 Contemporary African Art Fair, propose un ensemble de conférences organisées par LE 18, Marrakech, intitulées Crafting wor[l]ds: for a vernacular economy of art le Forum 1-54 qui s’interroge, entre autres, sur le rôle que peut jouer l’artiste dans un monde en crise.
Le numérique renforce sa position d’outil incontournable et complémentaire.
La matérialité des œuvres, les émotions et les sensations face à elles, restent difficilement remplaçables, nous en voulons pour preuve l’engouement suscité par cet événement.
Le Paris de Touria El Glaoui créatrice et initiatrice de la foire 1-54 semble réussi et combler les attentes de son public,des collectionneur.euse.s comme des galeries.
Flavien LOUH
[1] Harvard Sitkoff, “The Struggle for Black Equality : 1954-1992”, Hill & Wang, 2005 (1ère éd. 1er Juillet 1981)