Les Fables du Calao », une installation sonore et visuelle dans le quartier de la Goutte d’Or

« Quand la vie devient poids et le moi, sujet aux abois On pense qu’il faut se frayer un chemin, se donner les moyens de réussir, demain, Je sais, pour toi il faut partir mais si partir c’est mourir un peu Partir vers l’inconnu c’est peut-être périr, c’est supporter cet affront qui n’a de réalité que celle du front Pense, pense à ceux qui sont partis hier, qui sont en vie, à ceux qui sont partis qui ont péri… » Les mots de la poétesse Ernis Ernis s’imposent à nos oreilles tandis que, des yeux, on cherche un oiseau, un calao aux couleurs vives, fièrement élevé. Celui-là, il est bleu. Je ne connaissais pas le quartier mais maintenant, je l’éprouve plus que si j’avais fait ma promenade en silence. Depuis avril 2021, il est possible d’apercevoir des calaos colorés en résine perchés dans les rues du quartier de la Goutte d’Or, dans le XVIIIe arrondissement. Ils sont l’initiative du Cercle Kapsiki, un collectif d’artiste créé en 1998 à Douala, au Cameroun, du collectif Mu, de l’institut des cultures d’Islam (ICI) et ce, en partenariat avec la Cité internationale des arts. L’institut des cultures d’islam se situe au cœur du quartier de la Goutte d’or. Il s’agit d’un lieu ouvert à tous dont le but est de faire connaître la diversité des cultures d’Islam contemporaines dans le monde. l’ICI veut valoriser l’héritage de ces civilisations trop peu connu. C’est un lieu d’échange, de dialogue, qui touche un large public. L’ICI accueille actuellement l’exposition « Zone Franche » dans le cadre de la saison Africa 2020. Cette installation a été réalisée dans le cadre d’un appel à projet lancé en 2019 : « embellir Paris », visant à agrémenter les espaces urbains. Les artistes Hervé Yamguen et Hervé Youmbi, membres du cercle Kapsiki,

ont donc effectué une résidence de trois mois à la villa Belleville afin de donner vie à ce projet singulier. Il ne s’agit pas seulement de servir la ville dans un but purement esthétique, cette installation questionne la place de l’art dans l’espace urbain. Chaque oiseau, géniteur d’une nouvelle expérience multi sensorielle. On marche dans la rue. Chaque silence, une respiration, avant de se retrouver bercé par le chant des oiseaux. Nos pas s’arrêtent devant un calao de couleur, se détachant du paysage urbain. Mais tout continue à vivre autour de nous, la ville s’anime tandis que nous écoutons les mots qui nous sont confiés. Le projet artistique est nommé « Les Fables de Calao », cette idée d’histoire qui nous est contée, on la retrouve effectivement alors qu’on navigue dans la ville. S’agit-il même peut être d’une transmission. Afin d’accéder aux enregistrements, il faut se munir de son téléphone portable ainsi que d’un casque ou d’une paire d’écouteur. Une histoire nous est alors contée, au fur et à mesure qu’on avance dans la ville. Chacun se retrouve seul avec le son dans ses oreilles. On marche donc dans la ville en cherchant l’oiseau totem, le point de repère, comme si l’animal allait prendre vie et nous conter une histoire. Un Calao est un oiseau, un thème important dans cette installation. En effet, on peut par exemple entendre les chants des espèces présentes à Paris, mais aussi des calaos à becs rouges. Ici, le Calao se dresse comme un symbole fort de l’art africain, il nous apparaît comme un guide, un totem s’élevant dans les airs pour nous guider. Une puissance spirituelle. Il se détache d’un environnement auquel il n’appartient pas naturellement et s’impose gracieusement. Il s’agit également de célébrer une diversité, celle des cultures présentes dans le quartier où s’étend l’expérience. C’est pour cette raison que les différents enregistrements qu’il nous est donné à entendre ont été récoltés dans ce quartier multiculturel de Château Rouge Barbès mais aussi dans la ville originaire du collectif « Le cercle Kapsiki » : Douala, au Cameroun.

La ville est un espace bien singulier pour une installation, déjà sursaturée de signes. Dans un espace urbain, on marche vite. On suit les signes, comme des automates. Un panneau stop, un passage piéton. Le feu est rouge. Il devient vert. Un calao, ça signifie quoi ? Je vois l’oiseau, et je m’évade ? Quel est ce nouveau signe à assimiler ? En réalité, cette installation nous invite et nous incite à marcher, à nous promener ou plutôt à flâner. Nous intégrons la figure du flâneur de moins en moins répandue dans des villes moins adaptées à ce genre d’activités anormalement lentes pour un espace urbain C’est une autre façon d’aborder l’art. Le sortir de l’espace autoritaire de la galerie. Espace qui peut en décourager plus d’un, c’est la galerie qui vient à eux. Et ce genre d’initiative prend tout son sens dans la situation sanitaire actuelle. Beaucoup de lieux culturels et de rencontres ont vu leurs portes se fermer. En 2021, flâner dans la rue et se laisser conter des histoires prend une tout autre dimension. Alors que certains espaces de monstration se retrouvent fermés au public, nous avons pris l’habitude de sortir moins, uniquement pour ce qui est nécessaire, mais certainement pas pour flâner. Ce type d’installations au sein même de la ville, peut être perçu comme une respiration, pour la culture. Le calao, un oiseau porte bonheur. Voir des oiseaux aussi colorés dans une ville meurtrie par une situation compliquée, est peut-être, en réalité, porteur d’espoir.

Assya AGBERE, née le 1er Novembre 2002 est étudiante à la Haute Ecole des Arts du Rhin à Mulhouse depuis 2019.

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