par PAW (Paul-Aimé WILLIAM) (21 Février 2022 à 18:20)
Nou pé ké janmen caou ca fouyé-difé ! Les brigades anti-négrophobies menées au quotidien par Jay Ramier s’exprime à travers son exposition personnelle dédiée à la musique noire comme pensée/force/projet de résistance & d’émancipation dans un magistère de lahars décolonisant et engloutissant fort musiquement les permanences raciales.
Refusant le blanchiment pacificateur des murs du centre d’art contemporain, l’artiste guadeloupéen nous projette dans ses limbés ๛exsanguent de toute lactation. Lieux approfondis de feuilles mortes d’histoires occultées et de fruits succulences d’horizon d’où la sentence fièrement flamme « accommodez-vous de moi, je ne m’accorde pas de vous1 » siffle subrepticement (nos f***** cold crushing, nos suffocations sublimes) dans les espaces blêmes du Palais de Tokyo. Delà l’oeuvre Selebwasyon fait siens les tracées du pater de l’artiste invitant à un lahar de sa noirceur hors du vernis de notre modernité raciste. Mer de grain de café (ō chivé grennen dans le sable), djouk l’en-messe (mè so djèz), ceinture (wachacha), livre saint (ō chanté noël), clé sans verrou (or les portes des cayennes du bourg sont toujours grandes ouvertes), dessin de la peintresse Clementine Hunter (ō claireté d’un peuple)… Ces matières d’une vie (an nèg sé an milénè) enfouaillent plus d’un récit antillais habité de cyclones et de nouveaux dieux qui veillent sur ces puissances et dignités muselées (mais ils diront que c’est foutaise, que ce ne sont que choses mortes, inertes. Nous clamerons que la mort chasse toute vie de toutes choses comme conque sans lambi or de l’illimité jà la vulve du conque trompette son pollen de verges à fleur fermentatives ๛)
« Juke, Jook, Jouk, Djouk »
Plus loin, une chaîne hifi découpée est accrochée sur un mur où est posé une photo agrandit peignant une fête midi-minuit rythmée de musique et de danse appartenant aux archives familiales de l’artiste. Cette chaîne hifi est la troisième du pater de Jay Ramier. Elle fait échos à l’autre agrandissement photographique sur le grand pan de mur à gauche représentant Ti-jay plein de joies et la grande personne heureuse posant (pas seulement pour la frime) avec leur toute première chaîne hifi, dernier cri. Une statuette Fang dorée est, par du ruban adhésif noir, liée en porte à faux à cette appareil-hifi. Cette assemblage de forme est succinctement baptisé comme un engin : Juke Joint. « Joint » est un argot africain-américain pour produit ou production. « Juke, Jook, Jouk, Djouk » est un mot wolof et bambara qui a traversé l’atlantique dans le ventre tremblant du bateau négrier et signifie « piquer en dansant » dans les pays-caraïbes (on dit aussi « piqué djouc » en africain-guyanais) ; le mot désigne également un bar dansant ou parfois de prostitution (pour piquer, jook gal, coquer, baiser, to jazz, faire l’amour) dans le Sud des USA et donnera en dérivant le cultissime juke-box. Et delà, ce juke-joint est une boîte à vent car « la chose à souhaiter c’est le vent2 », appareil apocalyptique à tam-tam I & II, grande machine à petits « orgasmes de pollutions saintes / alleluiah3 » qui réveille les liaisons insolubles que boucane les arts incrés, les lyannages prophétiques, les maâts, les philosophies et les luttes sociales et politiques des mondes noirs.
N’ai jamais su son métier… il m’avait offert sa chaîne ifi… étais venu la chercher dans sa case… Le séjour confiné était rempli de disc… depuis me suis tjrs dit que mon voisin était prof de musique à la retrait… La chaîne ifi donnait bien, lourd… confort suprême avec du Bad… m’en suis séparé pour m’offrir une paire de shoes… ne me rappelle plus si c’était avant ou après son premier avécé… un monsieur est venue la chercher… mais il manquait la télécommande avec la petite lumière rouge… il est parti sans… ai senti à ce moment là que cette appareil avait d’la valeur pour les avertis… toute grise avec lecteur cassette & cédé, prise jack, deux enceintes, une télécommande, ma première chaîne ifi… à côté de mon lit, objet précieux… au petit jour, celle de mes parents marche toujours… Zouk, Soka, Reggae… celle de mamie a toujours été là depuis ma naissance décorée d’une dentelle blanche… Radio, l’évangile du jour, les infos du matin, les émissions de neuf-heure-midi et sans oublier au déjeuner les avis de décès… celle de grand-père pareil… cédérom acheté chez Musique Music à Cayenne… Biguine, variété, musique carnaval, chanson pour enfant, Yeahyeah…
(GDL)
Le premier espace de l’exposition Gadé difé limé (GDL) est intime, reconnaissable à tout familier d’une vie antillaise cambriolée et mêlée aux heures mêmes du déracinement africain et de l’exportation hors du pays basal vers la putain de métropole. Autre-part, la seconde partie de GDL accueille les visiteur.e.s avec un graffiti « KEEP DA FIRE BURNIN’ » au lettrage explosif et à l’entour incrusté de paillettes. Cette façade est la reprise vocale en argot du titre de l’expo qui hommage l’auteur de Fire Next Time, James Baldwin et fame (variant féminin de hommager ; « fa-me », gloire en anglais et ancien mot pour femme il y a l’antan) qui fame donc la chanteuse africaine-américaine Gwen McCrae dont le titre d’un de ces morceaux donne ses lettres de noirceur à l’évènement. Ooh can u feel it? We can. Now move it on dancefloor. Love Love yeeah amour sur amour sur amour boum. Le second espace conçu par Jay Ramier est un éloge à la musique funk qui enflammait son adolescence au coeur des bombardements du hip-hop et qui donna des ailes, dans les années 80, à aka Jay One et son collectif da BadBC (Bad Boys Crew).
« Le funk est un genre musical ayant émergé vers le milieu des années 1960 aux États-Unis, dans la lignée du mouvement hard bop. Le terme funk provient de l’argot anglo-américain FUNKY, qui signifie littéralement « puant », « qui sent la sueur », insulte-traditionnellement-adressée-aux-noirs par les Blancos (WASP++) et reprise ensuite à leur compte par les artistes noirs tel que Horace Silver dans son morceau Opus de Funk (1953). »
(Encyclopédie ; texte remixé)
Dans une pièce sombre au paraître de salle de concert se rencontrent et s’unissent les oeuvres d’artistes proches ou lointains invités. Des allures (on ne parle plus d’oeuvres, plus de formes, plus de concepts, non aucun, mais d’allure comme des marronneur.e.s fuyant loin la plantation sous les bois pareil à des allures furtives) relatent des histoires aux fleurs jumelles dans un mouvement de sympathie entre les humanités artistiques. Ce ndiakhass de souffrance et de feu de sang (ndiakhass, mélange en wolof) se retrouve dans l’allure Carte du tendre de 1963 du suprême artiste haïtien Hervé Télémaque, dans quoi le mot sym-pathie-pathos prend tout sa folle négativité.
« Allures. « Ses allures sont du côté de Capesterre. » L’expression désigne (les esclavisé.e.s) et les lieux de fréquentation de l’esclavisé.e.s parti en marronnage. Ils peuvent se situer à proximité de l’habitation ou être beaucoup plus éloignés, en fonction des complicités dont l’esclavisé.e.s peut bénéficier ou des opportunités de travail qu’il peut trouver. »
(ISBN : 9782843140037 ; texte remixé)
Un dispositif cartographique vermoulu mesuré par un cadran romain ayant pour nombril le pôle nord fait plan des intourists de douces petites conquêtes en flèche. Des dentiers peints un coquillage rose et des étiquettes de voyages américains jonchent le dispositif en étagère. Au-dessus, une poupée acéphale et bicolore (noir et blanc) est poignardée dans le dos par un couteau traversant la latte supérieure. Cette mise en scène est ici-là comme pour narrer les catatonies de ce monde qui ne peut demeurer sans le meurtre d’humanités écartelées et jetées sans cap… oeil incendié aux quatre vents où échouent des ricanements et des chants de travail d’îles à sucres en ahanement de terre bananière l’unes l’autres pendu à même des isthmes au gouffre de l’indifférente brutalité. Nou pa sa soumoun, nous ne somme pas vos déchets. Sous-moun, sous-mounde, sous-monde, sous-humanité servis comme des amuses-gueule sur la table de diables (vyé-moun) ayant pris l’apparence de François Pinot et de Bernard Hayot.
Sous-mounde,
L’étude « Mère-Afrique » d’Hervé Télémaque épingle les micro-violences de la quotidienneté que traînaille les sous-mondes sur le bitume de nos sociétés négrophobes. On ne peut guère plus même garder, dans ces conditions indignes, la vision irréparable des tristes vieux jours passé à travers une représentation d’une « nourrice noire promenant un enfant blanc d’Afrikaners, le long d’une plage de Johannesburg interdites aux noires ». WHITE PERSONS ONLY, SUPRÉMATIE BLANCHE VICTORIEUSE. À coté de cette assomption quotidienne de l’anti-noirceur, les photographies de Martine Barrat rebaille les dynamites du ressentiment et de la dignité noire à celles et à ceux à qui l’on cloua une race dans la chair. CLAIMS POWER, HÈLER LA PUISSANCE NOIR. JOBS NOT JAILS, MÉTIERS OUI, INCARCÉRATION NON.
Plus haut, Sunday Service de Jay One relie deux petits spirituels en forme d’angelot annonciateur de musique bouchée sur une étagère à frange noire où est disposé au mitan un vinyle miroitant des invisibles (mais ils diront le vide, le néant. C’est deux jumeaux emmêlés dans des cordelettes sont les allégoriques de négrillons et de négrites crevé.e.s dans la plantation ou né.e.s dans le marronnage ou bien importé.e.s d’Afrique à fond de cale et qui eurent a joué tantôt ce qui souffla vie aux musiques noires africana : Candombe. Negrospiritual. Blues. Ragtime. Jazz. Samba. Be-Bop. Funk. Soul. Rap. Zouk. Compa. Drill…) Iels sont les poupées noires que quimboise le poète guyanais Léon-Gontran Damas dans son poème Limbé : « Rendez-les moi mes poupées noires / qu’elles dissipent / l’image sempiternelle / l’image hallucinante / des fantoches empilés féssus / dont le vent porte au nez / la misère miséricorde ».
Jay Ramier illustrait, il y a dix ans passé, le recueil de poème posthume Dernier escale de L-G. Damas et de vitesse ses paroles au couteau reviennent en ressacs comme une odeur de boucane. Un second poète habite l’espace étreint de lumière sympathique, Edouard Glissant incarné par une page manuscrite de son poème Chant d’Odono / sur les esclavages et leurs abolitions. Odono, Oh Odono, Oho Odono, cet ancêtre primordial qui connu le premier la boccanegra-atlantica du trois-mât, une tragédie-délire qui ne cessa de quitter-revenir les somatiques africaine-descendantes comme un hoquet.
Un troisième poète habite l’espace à travers la vidéo Marron, Anthony Jennings qui connu l’incarcération durant 31 ans dans l’une des nombreuses prisons négrophiles de l’atlantique noir. Cet homme noir et âgé est l’un des plus respectés gangsters de Brooklyn. Il a charbonné entre les années 70 et 90 ; ces histoires vécues à la façon d’un roman de Chester Himes ont inspiré de nombreux rappeurs de Brownville (NYC) et des scénaristes de passage qui s’empressaient aussitôt de les retranscrire dans leurs textes. Jay One le filme en drivant à travers les rues de l’en-ville croqueuse de chairs noires en le considèrant comme une allure « à l’intérieure même de cette contestation global qu’est le marronnage » au même titre que Glissant, dans son Discours antillais, désignait la figure du marron comme « héros populaire des Antilles » s’amalgamant bon gré mal gré par intoxication et aliénation coloniale à la posture incarcérable du bandit de droiture.
Anti-noirceur
Les effets de cette anti-noirceur structurelle s’observent aussi dans l’accablant portrait de Michel Zecler peint en icône par l’artiste Ariles de Tizi. Michel Zecler est cet antillais qui fut lynché en 2020 par des condés blancs dans son studio d’enregistrement à pAris après un contrôle abusif. Le lynchage, barbarie refoulée dans l’inconscient esclavagiste, béance de l’historicité de l’empire colonial français, est un passage à tabac en réunion réalisé majoritairement par un groupe de blancs sur des humanités exclusivement noires. Ainsi, on conclut toujours d’un lynchage même si cela n’a pas provoqué la mort de la victime. La noirceur de l’allure, du visage de Michel Zecler troué de plaies de sang s’immortalise sans beauté sur un fond de papier d’or encadré d’un bois sculpté mordoré afin que ses ferrements de terreur ne se dissipe pas sinistrement flat dans l’indigne et muette prose du racisme d’État qui blanchit systématiquement les bourreaux, les assassins, les meurtriers, les geôliers ; niant ainsi la vérité abrupte de la victime du supplice et légitimant de fait la brutalité viriliste des flics. À BAS LA POLICE.
blackboule toute suprématie, ō insondable respiration de lumières
Chacune des allures dans ce limbé lagunaire ๛ est une torche vive phosphorescence que ndiakhass les lassos de claireté élaborées et diffusées par Jay Ramier. Vif, le visage brûlants de Gwen McCrae en concert peint par Jay One à partir de la vidéo Keep The Fire Burning sur YouTube. Dense et mystique, le fichage du visage du grand-père de l’artiste Ydania Li-Lopez qui quitta sa Chine natale pour immigrer dans la Babylone nommée Etats-Unies d’Amérique. Digne, la posture souveraine de Queen Latifah présente par un découpé de la couverture de son album All Hail the Queen accompagnéed’une dédicace « to Jay One, Peace & Love ». Âpre, le poids glacial du calcul racial à travers l’utilisation d’instrument de coiffure pour cheveux crépus dans l’allure Funk, Heavy (funky et lourd). Appartenant à la famille Ramier, une tendeuse, des peignes afro à grandes dents adaptés aux cheveux crépu côtoient un fer à lisser d’antan utilisé pour imiter l’esthétique destructrice de la suprématie blanche : assouplir, brûler, torturer, conformer « à la lisse4 » le cheveux, et tout bien pesé, inoculer la maltraitance de soi généralisée aux humanités noires.
Funky, enfin, l’exposition où paradoxe total ! la musique ne s’entend qu’en l’effet ou voire qu’après l’allure et parfois sur le coup par l’activation exempli gratia de l’acte éditorial live du dernier numéro en date de la revue d’art contemporain AFRIKADAA, Les révoltes silencieuses. Deux jours auxquelles le public est convié à voyager dans les limbes des révolutions insulaires emmêlé d’une invitation à écouter l’épique des danseurs et musiciens de gwoka, les vibrations de la parole des poètes et les allures des artistes invité.e.s dans ce tremblement de vent et de drapeaux d’indépendance où « le malheur au loin de l’homme se mesure aux silences5 ». Ici même, nous voilà tous de loin en loin sur la maâture du grand soir ! le silence nous inonde, c’est l’errance kanmougué de la musique, surdité dont las les nègreries désavouent le verbe : marronner ๛
Delà nous saluons d’une insurrection d’échos de claireté les sous-mondes porteur.ses d’allures rebelles : Wélélé nou rhélé Jay Ramier l’atis selebwé jodia mil feu asou so projè fouyé-difé nou ca hélé Hugo Vitrani fan inconditionnel et commissaire de l’ekpozysion ōhō lésé difé pran’l oulélé Pascale Obolo à la flamme d’amitié de trente ans, les murs tremblent moulélé Gwen McCrae vwa badja laro ouaille nou rélé James Baldwin le scribe à la parole sereine ō maât moulélé Damas le nègre basal woulélé Okwui Enwezor l’oeil de poussières d’histoires ō cendres anba la tè ō sérélélé AFRIKADAA la revue d’art militante du futur rélélé Césaire l’habitant de la lagune hélélé Odono le vent d’enfance imaginaire oulélé l’art du Gwoka oh kasé le chant du fleuve Congo épa Sarah Maldoror cinéaste matador dont les brigades se poursuivent au poing épi mousélélé cé mounde-an ci té ca maron bitation l’état françè & sé esclavagist-an cé tout bagaj an lè yé chimin, hache couto fusi walali walala pou défen yé kô di dogue sé mèt-an ki té conten kayakaya la po yé gogo, yé jarè, yé lanmen. Zot couraj, zot balan, zot briga contre sé colon-yan qé yé institution plantation pé qé jin blié, nou qé soufflé « wélélé » bay zot aye tambou lévé sous-monde venté ! Zot tendé Gadé difé limé ! Bomb Bomb Bomb cé pété !
Roulos da playlist :
- Elephant Man – Jook Gal
- Gwen McCrae – Keep The Fire Burning
- Cameo – Word Up!
- Queen Latifah – Ladies First (feat. Monie Love)
- J Dilla – African Rhythms
- La rouge – Wie Zijne Wij (Bigi Banda)
- The Last Poets – When The Revolution Comes
- Erick Cosaque – Nou rivé
- Man’ Serotte – Bef’ danbwa
- L-G. Damas – Limbé
- Ervin Weeb – I’m Going Gome
- Jacques Coursil – Frantz Fanon 1952
- Miles Davis – The Doo-Bop Song
- Horace Silver – Opus de Funk
- $NOT & A$AP Rocky – Doja
- Quequette – Elle Me Dévore
1 Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal
2 Aimé Césaire, Torpeur de l’histoire
3 Aimé Césaire, Tam-Tam II
4 Juliette Smeralda, Cheveux d’appoint & Peau noire cheveu crépu, l’histoire d’une aliénation
5 Aimé Césaire, Torpeur de l’histoire
JAY RAMIER : KEEP THE FIRE BURNING (GADÉ DIFÉ LIMÉ)
Du 26/11/2021 au 13/03/2022 au Palais de Tokyo (13 Av. du Président Wilson, 75116 Paris)
PAW (Paul-Aimé WILLIAM) : Membre de la revue AFRIKADAA et doctorant en histoire de l’art de la Guyane (EHESS & IMAF).