Mois : mai 2021

LA FONDATION H :  EXIL PARISIEN
EN CONVERSATION AVEC MARGAUX HUILLE…

LA FONDATION H :  EXIL PARISIEN EN CONVERSATION AVEC MARGAUX HUILLE…

La Fondation H, créée en 2017, par l’homme d’affaires malgache Hassanein Hiridjee, ouvre en 2019 un espace d’expositions à Antananarivo, Madagascar.

En Septembre 2020, la fondation inaugure un nouvel espace en France, à Paris, 24 rue Geoffroy l’Asnier, à deux pas de la Cité Internationale des Arts.

Afrikadaa avait rencontré Margaux Huille, la directrice de la fondation, avant le confinement. C’était l’occasion de découvrir la Fondation H, sa manière de concevoir les expositions, ses projets et objectifs.

L’artiste Maya-Inès Touam est en résidence à la Fondation H – Paris depuis le 1er Mars. Du 19 mai au 6 juin 2021, elle présente dans l’exposition Fil d’Exil des œuvres créées in situ. Nous avions évoqué le processus de collaboration, de l’élaboration de l’exposition.

Extrait de l’entretien avec Margaux Huille, directrice de la Fondation H. À paraître dans le prochain numéro d’Afrikadaa, Les Révoltes Silencieuses.

Propos recueillis par Flavien Louh, le 9 Mars 2021. | Temps de lecture 9 min.

Avant de rejoindre la Fondation H, Margaux Huille voyage pendant un an et demi sur le continent africain à la rencontre d’artistes du Sénégal à l’Afrique du Sud. Elle travaille quelques années aux côtés du collectionneur Matthias Leridon et dès 2014 au développement de la foire d’art contemporain 1-54 auprès de Touria El Glaoui.

Flavien Louh : D’où parles-tu ? Quel est ton rôle au sein de la Fondation H ?

Margaux Huille : À la Fondation H, depuis le mois de novembre, je suis en charge de penser et mettre en œuvre le projet global de la fondation c’est-à-dire notamment de nos activités à Madagascar, à Antananarivo, qui est le cœur de la Fondation.

Et puis, je suis responsable de nos activités ici, dans l’espace dans lequel on se trouve, le pôle parisien de la fondation, qui est très récent.

Il a ouvert en septembre 2020. J’essaye de faire en sorte que ces deux lieux se répondent et que les activités vis-à-vis des artistes, du public, soient cohérentes, ambitieuses.

La Fondation H – Paris 24 rue Geoffroy l’Asnier, 4e arrondissement © Fondation H

Chaque expo est différente ici ! On essaye de se donner la liberté de se réinventer à chaque fois, de tester des formats, de voir ce qui marche, ce qui ne marche pas. De penser un lieu un peu plus ouvert à l’expérimentation. De laisser de vraies cartes blanches à des artistes…

F. L. : Justement comment arrivez-vous à faire ce lien entre ces deux lieux, ces deux capitales ?

M. H. : Déjà c’est très nouveau pour nous ! On expérimente.

La Fondation H a été créée en 2017. Elle est reconnue d’utilité publique depuis 2018 à Madagascar, où on a ouvert un espace début 2019.

Notre espace d’exposition à Madagascar est donc plus ancien. C’est vraiment le cœur de notre identité. Le président de la Fondation H est un homme d’affaires malgache, il vit à Madagascar, sa vie entière est construite là-bas.

Il y a, en étant à Madagascar, un côté insulaire qui rend tout un petit peu plus compliqué, donc le fait de venir ici nous permettait aussi de créer un nouveau souffle pour les projets. D’avoir des points d’ancrage à deux endroits du monde qui puissent se répondre. Ça paraissait juste !

Et l’idée de développer ce deuxième lieu à Paris, qui a ouvert en septembre 2020 donc il y a 6 mois, était de réussir à nous ouvrir à une perspective plus internationale.

Chaque expo est différente ici ! On essaye de se donner la liberté de se réinventer à chaque fois, de tester des formats, de voir ce qui marche, ce qui ne marche pas. De penser un lieu un peu plus ouvert à l’expérimentation. De laisser de vraies cartes blanches à des artistes…

On fait travailler chaque artiste invité à la Fondation H avec un commissaire, un critique, ou encore un écrivain, qui écrit un texte qui accompagnera l’artiste, il n’y a pas de règle, c’est très ouvert.

L’idée est de mettre en contact des artistes avec des auteurs, des gens de l’écrit au sens large…

Pascale Obolo d’Afrikadaa va écrire sur M’barka Amor, qui est l’artiste qui prend le relais après le projet de résidence et d’exposition de Maya-Inès Touam.

La Fondation H est partenaire de la Cité Internationale des Arts avec qui on travaille main dans la main, notamment à travers le Prix Paritana[1] depuis 2016, des projets de résidences, des workshops.

Maya-Inès Touam nous a fait la proposition d’occuper l’espace en résidence pendant un peu plus de deux mois. Cette résidence aboutira à 3 semaines d’exposition. Pour l’expo de Maya-Inès, la Fondation H a proposé à la Cité Internationale des arts de réfléchir à un / une commissaire et Fannie Escoulen, qui est une grande spécialiste de la photographie au niveau international, s’est proposée d’écrire sur le travail de Maya-Inès Touam. Tout cela crée des échanges très riches.

La Fondation H est malgache, donc on est conscients de la réalité dans laquelle on évolue, et donc de la scène locale malgache. Mais la vocation de la Fondation H est d’être ouverte sur le continent africain dans son ensemble et sur la diaspora, notamment avec notre espace ici, à Paris… L’idée est de pouvoir s’ouvrir à plein de réalités.

FL : D’ailleurs  quel est le lien de Maya-Inès Touam avec Madagascar ?

M. H. : Aucun ! On n’est vraiment pas dédiés à la scène artistique malgache.

La Fondation H est malgache, donc on est conscients de la réalité dans laquelle on évolue, et donc de la scène locale malgache. C’est important et on travaille beaucoup, notamment à Madagascar, avec des artistes malgaches. Mais la vocation de la Fondation H est d’être ouverte sur le continent africain dans son ensemble et sur la diaspora, notamment avec notre espace ici, à Paris… L’idée est de pouvoir s’ouvrir à plein de réalités.

De la même façon, on ne travaille pas exclusivement avec des auteurs d’origine africaine ou de la diaspora. Pour les auteurs et les critiques, on est très curieux de créer des passerelles avec d’autres personnalités, avec des gens qui viennent d’ailleurs, avec un regard tout autre qui peut apporter d’autres choses. On se donne pas mal de liberté dans notre façon de voir les expos qu’on monte et les projets.

Maya-Inès Touam est Franco-Algérienne, elle vit à Paris. Elle nous a fait une proposition qui s’appelle Fil d’Exil où elle travaille sur la migration et l’exil, forcé ou volontaire, de populations d’Afrique de l’Ouest et du Maghreb vers la France. Elle a un regard sur cette France que l’on voit illustrée ici [une carte de la France créée par l’artiste est présentée, NDLR] qui est un mélange en fait, qui est tellement complexe dans son identité, dans sa culture, du fait de ces migrations.

Il n’y a pas de rapport direct avec Madagascar, même si elle en parle.

Maya-Inès Touam en pleine création lors de sa résidence à la Fondation H – Paris ©Maya-Inès Touam

L’artiste Maya-Inès Touam nous a proposé d’utiliser l’espace de la Fondation H à Paris comme un espace de résidence pendant deux mois.

FL : Les jeudis sont ouverts au public jusqu’à l’ouverture de l’exposition…

M. H. : En fait, c’est très particulier… C’est aussi une expérimentation… L’artiste Maya-Inès Touam nous a proposé d’utiliser l’espace de la Fondation H à Paris comme un espace de résidence pendant deux mois. On a quand même vocation à être tourné vers le public et créer un dialogue avec le public, ici parisien.

Et donc on s’est dit avec elle que ce qui pourrait être intéressant c’est d’ouvrir, une fois par semaine son studio au public, à qui le souhaite. C’est très ouvert, c’est vraiment un jour d’ouverture classique, gratuit, de 11h à 17h, qui permet aux gens qui seraient intéressés aussi de voir la progression du travail d’un artiste.

Par exemple, cette carte qui est devant nos yeux, Maya-Inès Touam est en train de travailler dessus mais la semaine prochaine elle aura une toute autre forme.

Maya est habituée à recevoir du public dans son atelier et ça nous a semblé être une réponse intéressante à ce projet !

Tous les jeudis, il y aura plusieurs choses différentes à voir donc il ne faut pas hésiter à venir toutes les semaines et puis ensuite avoir le plaisir de voir l’exposition finie.

On va aussi beaucoup documenter ce processus de création, poster sur notre site, sur les réseaux sociaux, ce qui permettra de voir l’évolution des différentes pièces qu’elle crée ici, et comment un artiste pense un projet comme celui-là ; comment il le met en œuvre.

FL : Vous avez travaillé avec Joël Andrianomearisoa ou Malala Andrialavidrazana ce qui permet aussi, j’imagine, de toucher beaucoup plus de monde :

M. H. : On n’a jamais travaillé avec Joël sur une exposition entre nos murs. En fait, on l’a simplement, à petite échelle, soutenu sur le mécénat du Pavillon Malgache à la Biennale de Venise en 2019 [c’est le premier pavillon de Madagascar à la Biennale, NDLR].

Mais effectivement Malala, elle, a travaillé avec nous directement ; elle a inauguré l’espace parisien avec une très belle exposition qui s’appelait Les échos du monde [Les échos du monde du 3 septembre au 30 octobre 2020, Fondation H – Paris].

Et oui, effectivement, Malala a une aura qui nous dépasse, et c’était très important, primordial de pouvoir travailler avec une artiste comme elle, qui tout à coup, nous amène toute son expérience, son réseau bien entendu aussi, sa façon de travailler, ses conseils… Malala est ainsi comme la marraine symbolique de la Fondation H – Paris.

On est le réceptacle qui permet peut-être à cette révolte de toucher un plus grand nombre de gens

FL : Qu’en est-il des autres artistes moins visibles, le thème du prochain numéro d’Afrikadaa est les révoltes silencieuses : est-ce que ça te parle tout ça, ce genre d’engagement ?

M. H. : Bien sûr, ça me parle !

Des artistes moins visibles… je pense que le plus un joli exemple, c’est la prochaine exposition qu’on va présenter à la Fondation H – Tana, qui ouvrira le 17 avril. C’est un artiste qui s’appelle Tahina Rakotoarivony [Tahina Rakotoarivony : Nofy an-tsary (Rêve imagé), du 17 avril 2021 Au 04 juin 2021, Fondation H Antananarivo].

Tahina, c’est un très bon exemple de cette notion je pense. C’est une personne qui depuis 20 ans évolue sur la scène culturelle et artistique malgache, qui est extrêmement engagée, qui a créé IS’ART – qui a été pendant ces 20 dernières années la plateforme commerciale la plus visible à Tana – et qui en parallèle a développé une pratique artistique qui lui est propre.

Tahina, c’est un homme qui a réussi contre vents et marées à tenir le cap de ce qu’il pensait être juste…

Il a créé un groupe, il a créé des échanges, il a créé des interactions, il a soutenu financièrement des artistes en vendant leur travail. Ce que lui a fait avec son entourage, avec la scène culturelle à Tana, c’est remarquable !

Mais est-ce silencieux ? Peut-être, je ne sais pas si « silencieux » c’est le bon mot, parce qu’il ne l’est pas, Tahina… C’est silencieux pour nous en fait, à notre regard, à nous.

Quand tu arrives à Tana et que tu commences à explorer la scène locale, c’est omniprésent son mouvement, toutes ces collaborations qu’il a créé.

Donc pour nous, d’inviter quelqu’un comme lui à présenter son travail et une nouvelle série sur le thème de la résilience à la Fondation H – Tana, c’est une façon de mettre en lumière son travail, son investissement sur la scène locale, et peut-être [d’accéder] à un public un peu plus large que celui auquel il est habitué à parler.

Donc ça, à mes yeux, c’est une belle révolte silencieuse… On est le réceptacle qui permet peut-être à cette révolte de toucher un plus grand nombre de gens.

Tahina Rakotoarivony réalise une oeuvre éphémère à la Fondation H –Antananarivo © Fondation H

On a aussi un axe de réflexion sur des thématiques de formations et des modules d’accompagnement…

Et puis on a aussi un axe de réflexion sur des thématiques de formations et des modules d’accompagnement qui sont plus professionnalisants et qui donnent des cartes concrètes aux artistes, pour pouvoir créer un dossier de présentation… Leur donner éventuellement des contacts ; organiser des lectures de portfolio avec des artistes qu’on invite à la Fondation H…

FL : De plus, vous avez fait des visites virtuelles auprès des écoles… Est-ce amené à se développer de façon pérenne ou est-ce que ça fait partie des expérimentations ?

M. H. : Ça fait carrément partie des expérimentations !

Ces visites-là ont été faites en 2018–2019 parce que la Fondation H était mécène d’une exposition au Musée du Quai Branly qui s’intitulait Madagascar Arts de la Grande Île.

Parce que c’était la première fois depuis plus de 50 ans que l’art malgache était présenté de cette façon là dans un musée international de la stature du Quai Branly, il nous avait semblé important de réussir à créer un lien avec le public local à Tana.

Donc oui l’idée c’est deréussir à pouvoir remettre en place de tels formats.

Aujourd’hui avec nos expositions à nous, on n’en a pas forcément la capacité. L’ampleur de nos expos ne s’y prête pas forcément, cependant on essaye de le faire.

On est mécènes d’une exposition qui fait partie de la Saison Africa2020 qui s’appelle Memoria, récits d’une autre Histoire qui est présentée au Frac Nouvelle-Aquitaine / MECA. Et qui n’a pas pu, hélas, encore ouvrir au public mais qui est accrochée. 

On travaille en collaboration étroite avec le FRAC pour justement créer et/ou récupérer du contenu de médiation, mettre en place différents petits modules pour rendre l’exposition qui est à Bordeaux accessible à un public scolaire malgache.

Vues d’exposition de Mémoria : récits d’une autre Histoire

[1] Créé en 2016, le Prix Paritana « soutient la scène artistique malgache (artistes de nationalité malgache ou résidant à Madagascar) en organisant un prix d’art contemporain, remis chaque année à trois artistes ». Le Prix est ouvert à tous les mediums et « encourage le dialogue entre les cultures et rend possible la construction et la diffusion de projets artistiques à Madagascar et à l’international ». De plus, « présidé par Eric Dereumaux, Fondateur de la Galerie RX, le Prix Paritana est soutenu par la Fondation H et Air France. Il est organisé en collaboration avec la Cité internationale des arts et l’Institut Français de Madagascar », indique le site internet. Paritana​ [EN LIGNE] :  https://www.paritana.com/index.php/prix

Dû à la situation sanitaire, les visites du jeudi n’ont pas pu se tenir néanmoins, Maya-Inès Touam a travaillé à partir entre autres, de textiles, d’objets, et de photographies. Son exposition Fil d’Exil est programmée du 19 mai au 6 juin 2021 à la Fondation H – Paris. L’occasion de découvrir son travail dans l’intimité de l’espace parisien.
Maya-Inès Touam
Fil d’Exil
Exposition du 19 mai au 6 juin 2021
Fondation H Paris,
24 rue Geoffroy l’Asnier
75004 Paris, France
https://www.fondation-h.com/
Tahina Rakotoarivony
Nofy an-tsary (Rêve imagé),
Exposition du 17 avril 2021 au 4 juin 2021
Fondation H Antananarivo
Immeuble Kube D, Zone Galaxy Andraharo
Antananarivo, Madagascar
Du lundi au vendredi de 9h à 17h
Entrée libre
https://www.fondation-h.com/
Memoria, récits d’une autre Histoire
exposition du 5 février au 20 Novembre 2021
FRAC Nouvelle-Aquitaine / MECA
5 Parvis Corto Maltese
22800 Bordeaux
https://fracnouvelleaquitaine-meca.fr/
https://www.saisonafrica2020.com/fr

Illustration de couverture : Maya-Inès Touam à la Fondation H – Paris ©Maya-Inès Touam

La Fondation H… en quelques dates :  

2016     Création du Prix Paritana, organisé par l’Association PariAfrica.  
La Fondation H est mécène du Prix  

2017     Création de La Fondation H à Madagascar,  par Hassanein Hiridjee, PDG d’Axian  

2018     La Fondation H est reconnue d’utilité publique à Madagascar    
Mécène de l’exposition Madagascar : Arts de la Grande Île au Musée du Quai Branly  
2019    Ouverture d’un espace d’exposition à Antananarivo, Madagascar  
Première exposition avec Madame Zo : L’art au quotidien    
Mécène de Joël Andrianomearisoa pour le Pavillon Malgache
à la Biennale de Venise 2019  

2020    Ouverture d’un second espace d’exposition à Paris, France  
Exposition de Malala Andrialavidrazana : Les échos du monde    

2021     Mécène de l’exposition Memoria, récit d’une autre Histoire  
FRAC Nouvelle Aquitaine, Bordeaux    
Mécène de l’exposition Katia Kameli, Elle a allumé le vif du passé  
FRAC PACA, Marseille  
Expositions (sélection) :  

Maya-Inès Touam : Fil d’Exil, du 19 mai au 6 Juin 2021, Fondation H Paris  

Tahina Rakotoarivony : Nofy an-tsary (Rêve imagé), du 17 Avril au 4 Juin 2021, Fondation H Antananarivo  

Christian Sanna : Chère Embona, du 15 février au 26 mars 2021, Fondation H Antananarivo  

Christian Sanna : Lettres à Embona,du 2 décembre 2020 au 23 janvier 2021, Fondation H Paris  

Antananarivo Ligne 11, du 19 novembre 2020 au 22 janvier 2021, Fondation H et du 10 mars au 25 avril 2021, Hôtel de Ville, Antananarivo  

Malala Andrialavidrazana : Les échos du monde,du 3 septembre au 30 octobre 2020, Fondation H Paris  

Matchbox D. : Vices & virtues, du 28 juin au 31 juillet 2019, Fondation H Antananarivo  

Madame Zo : L’art au quotidien,du 22 mai au 7 juin 2019, Fondation H Antananarivo  

Joël Andrianomearisoa : J’ai oublié la nuit, du 11 mai au 24 novembre 2019, Pavillon Malgache à la 58e Biennale internationale d’art contemporain de Venise May You Live In Interesting Times  

Madagascar. Arts de la Grande Île, du 18 septembre 2018 au 1 janvier 2019, Musée du Quai Branly Jacques Chirac, Paris  

Les Fables du Calao », une installation sonore et visuelle dans le quartier de la Goutte d’Or

« Quand la vie devient poids et le moi, sujet aux abois On pense qu’il faut se frayer un chemin, se donner les moyens de réussir, demain, Je sais, pour toi il faut partir mais si partir c’est mourir un peu Partir vers l’inconnu c’est peut-être périr, c’est supporter cet affront qui n’a de réalité que celle du front Pense, pense à ceux qui sont partis hier, qui sont en vie, à ceux qui sont partis qui ont péri… » Les mots de la poétesse Ernis Ernis s’imposent à nos oreilles tandis que, des yeux, on cherche un oiseau, un calao aux couleurs vives, fièrement élevé. Celui-là, il est bleu. Je ne connaissais pas le quartier mais maintenant, je l’éprouve plus que si j’avais fait ma promenade en silence. Depuis avril 2021, il est possible d’apercevoir des calaos colorés en résine perchés dans les rues du quartier de la Goutte d’Or, dans le XVIIIe arrondissement. Ils sont l’initiative du Cercle Kapsiki, un collectif d’artiste créé en 1998 à Douala, au Cameroun, du collectif Mu, de l’institut des cultures d’Islam (ICI) et ce, en partenariat avec la Cité internationale des arts. L’institut des cultures d’islam se situe au cœur du quartier de la Goutte d’or. Il s’agit d’un lieu ouvert à tous dont le but est de faire connaître la diversité des cultures d’Islam contemporaines dans le monde. l’ICI veut valoriser l’héritage de ces civilisations trop peu connu. C’est un lieu d’échange, de dialogue, qui touche un large public. L’ICI accueille actuellement l’exposition « Zone Franche » dans le cadre de la saison Africa 2020. Cette installation a été réalisée dans le cadre d’un appel à projet lancé en 2019 : « embellir Paris », visant à agrémenter les espaces urbains. Les artistes Hervé Yamguen et Hervé Youmbi, membres du cercle Kapsiki,

ont donc effectué une résidence de trois mois à la villa Belleville afin de donner vie à ce projet singulier. Il ne s’agit pas seulement de servir la ville dans un but purement esthétique, cette installation questionne la place de l’art dans l’espace urbain. Chaque oiseau, géniteur d’une nouvelle expérience multi sensorielle. On marche dans la rue. Chaque silence, une respiration, avant de se retrouver bercé par le chant des oiseaux. Nos pas s’arrêtent devant un calao de couleur, se détachant du paysage urbain. Mais tout continue à vivre autour de nous, la ville s’anime tandis que nous écoutons les mots qui nous sont confiés. Le projet artistique est nommé « Les Fables de Calao », cette idée d’histoire qui nous est contée, on la retrouve effectivement alors qu’on navigue dans la ville. S’agit-il même peut être d’une transmission. Afin d’accéder aux enregistrements, il faut se munir de son téléphone portable ainsi que d’un casque ou d’une paire d’écouteur. Une histoire nous est alors contée, au fur et à mesure qu’on avance dans la ville. Chacun se retrouve seul avec le son dans ses oreilles. On marche donc dans la ville en cherchant l’oiseau totem, le point de repère, comme si l’animal allait prendre vie et nous conter une histoire. Un Calao est un oiseau, un thème important dans cette installation. En effet, on peut par exemple entendre les chants des espèces présentes à Paris, mais aussi des calaos à becs rouges. Ici, le Calao se dresse comme un symbole fort de l’art africain, il nous apparaît comme un guide, un totem s’élevant dans les airs pour nous guider. Une puissance spirituelle. Il se détache d’un environnement auquel il n’appartient pas naturellement et s’impose gracieusement. Il s’agit également de célébrer une diversité, celle des cultures présentes dans le quartier où s’étend l’expérience. C’est pour cette raison que les différents enregistrements qu’il nous est donné à entendre ont été récoltés dans ce quartier multiculturel de Château Rouge Barbès mais aussi dans la ville originaire du collectif « Le cercle Kapsiki » : Douala, au Cameroun.

La ville est un espace bien singulier pour une installation, déjà sursaturée de signes. Dans un espace urbain, on marche vite. On suit les signes, comme des automates. Un panneau stop, un passage piéton. Le feu est rouge. Il devient vert. Un calao, ça signifie quoi ? Je vois l’oiseau, et je m’évade ? Quel est ce nouveau signe à assimiler ? En réalité, cette installation nous invite et nous incite à marcher, à nous promener ou plutôt à flâner. Nous intégrons la figure du flâneur de moins en moins répandue dans des villes moins adaptées à ce genre d’activités anormalement lentes pour un espace urbain C’est une autre façon d’aborder l’art. Le sortir de l’espace autoritaire de la galerie. Espace qui peut en décourager plus d’un, c’est la galerie qui vient à eux. Et ce genre d’initiative prend tout son sens dans la situation sanitaire actuelle. Beaucoup de lieux culturels et de rencontres ont vu leurs portes se fermer. En 2021, flâner dans la rue et se laisser conter des histoires prend une tout autre dimension. Alors que certains espaces de monstration se retrouvent fermés au public, nous avons pris l’habitude de sortir moins, uniquement pour ce qui est nécessaire, mais certainement pas pour flâner. Ce type d’installations au sein même de la ville, peut être perçu comme une respiration, pour la culture. Le calao, un oiseau porte bonheur. Voir des oiseaux aussi colorés dans une ville meurtrie par une situation compliquée, est peut-être, en réalité, porteur d’espoir.

Assya AGBERE, née le 1er Novembre 2002 est étudiante à la Haute Ecole des Arts du Rhin à Mulhouse depuis 2019.