Evuzock

Un peuple sans culture n’en est pas un !

“Un peuple sans culture n’en est pas un !”[1]

Ce lundi 22 juillet à 22heures, nous prenons le chemin retour en direction de nos domiciles respectifs. L’exclamation d’un visiteur repris en titre de cette chronique nous accompagne le long du trajet. Il faut dire que la restitution des archives Evuzock (1963-1978) de Lluis Mallart” commissariée par le Centre International pour le Patrimoine Culturel et Artistique (ci-après CIPCA) fût un moment emprunt de solennité, d’émotions et de partage.

Dans le cadre de cette chronique, nous avons choisi de parler de cette exposition sous l’angle de la médiation culturelle. Pour cause, les visiteurs sont venus en nombre[2] assister au vernissage de l’exposition et le lieu n’a pas désempli pendant tout le déroulé[3]. Ce fait contraste avec les dynamiques locales. Au Cameroun, l’accès de tous aux arts et à la culture demeure un sujet dans le champ artistique et les institutions culturelles peinent à mobiliser pour les faits artistiques en particulier les expositions d’art[4]. Il sied de souligner au sujet de cette exposition qu’elle est visible du 22 juillet – 25 septembre 2024 au CIPCA.

La démarche du CIPCA portée par Dame Fabiola Ecot Ayissi et exécutée par une équipe à taille humaine (Hassan Fifen Njoya, Meke Meke Michel, Azazou) s’inscrit de manière générale dans la valorisation du patrimoine culturel matériel et immatériel d’Afrique. Elle est mise en œuvre par une approche de travail avec et autour des communautés. Cette ligne curatoriale a balisé les actions du CIPCA dans la mesure où l’exposition intitulée “NYAMODO/NYAMINGA – Porteurs de savoirs : Exploration des archives Evuzock (1963-1978) de Lluis Maillart ! Gulmerà” constitue la deuxième articulation du Festival sportif et culturel Evuzok (FESTIZOCK) célébré en ce mois de juillet 2024 pour la 05eme fois consécutive. Pour rappel, l’objectif visé par ce festival est la redynamisation des traditions et de la culture Evuzock.

Au plan curatorial, comment mettre en œuvre des processus de restitution ? est un champ en friche et une problématique d’une éminente actualité pour les institutions et acteurs culturels mais aussi une attente réelle des communautés. L’exposition susmentionnée sur le patrimoine Evuzock avec remise solennel de supports digitalisés de 13 000 archives au Monarque, AZUZOA, Patrice MELOM, Chef des Evuzok est un premier pas en vue de la réactivation de ces savoirs ancestraux en terres camerounaises. Cette restitution s’entend par ailleurs comme une opportunité réelle d’enrichissement culturel pour le peuple Evuzock et par extension la nation camerounaise. Les communautés Evuzock et le public établi du CIPCA sont apparus comme les cibles naturelles des démarches de valorisation du patrimoine Evuzock.

La curation du CIPCA après deux ans d’investigation des archives remise au CIPCA en 2017 met en exergue trois dimensions des archives disponibles : (1) Evuzok : identité – connaissances médicinales – moments clés de la vie (naissance, initiation, mariage et mort) ; (2) mémoriel (hommage rendu aux aïeuls jadis informateurs) ; (2) patrimoine matériel et immatériel. La densité des médiums mobilisés fût une valeur ajoutée dans cette exposition : éléments de textes en éwondo et en français, photographie, enregistrements audios en éwondo, vidéo de contes inspirés des chantefables Evuzok. La programmation mise en place par le CIPCA fût une pédagogie utile pour les besoins de présentation des processus ayant conduit à l’exposition leur présentée et du contenu des archives. Il fût intéressant de noter pendant la session de questions & réponses, la diversité du public présent (métiers, âge, sexe, origines sociale et culturelle) et sa bonne compréhension des défis posés par l’acculturation ainsi que des enjeux entourant l’exploitation de ces archives.

Il fût aussi intéressant de prendre note des perspectives évoquées par les communautés elles-mêmes pour faire battre le cœur de ces archives : la jeunesse comme cible principale ; la transmission par l’oralité (conte) ; et, la capitalisation des moyens humains (formation) et technologiques. Les partenariats tissés avec le FESTIZOCK, la mise à contribution des autorités administratives, la présence du CIPCA dans des espaces de production et de conservation des savoirs de premier plan au Cameroun et à l’international ainsi que la médiatisation sont autant d’outils tangibles de mobilisation, de vulgarisation et d’appropriation en milieu communautaire de notions plurielles du patrimoine. L’urgence de ces exercices de valorisation de patrimoine est retranscrite dans l’acculturation ambiante que cristallisent aujourd’hui la disparition accélérée des langues vernaculaires et les savoirs ancestraux dans la société camerounaise en brassage continu. Sally Nyolo rappelait aux camerounais lors de la présentation de Tsali Tsa[1] que le processus de l’oubli n’est pas seulement une retombée du passé colonial mais aussi une conséquence du brassage culturel ou métissage et de transformation des espaces naturels en un “monde de buildings”.

Dans un espace avec une si grande densité culturelle (Kamerun, l’Afrique en miniature), il est important dans cet exercice de restitution de faire de la diversité un mouvement fédérateur. Inscrire ce type de projets dans une perspective de consolidation de l’identité nationale[2] permettrait d’éviter l’écueil du repli sur soi et de l’essentialisation. Il est salué à cet effet, l’invitation à la restitution des archives Evuzok du monarque Batoufam par le CIPCA dont le représentant à cette manifestation culturelle vit en ces projets artistiques un vecteur du tourisme domestique[3] [voire une économie du tourisme en particulier l’éco-tourisme, en écho au propos de Sally Nyolo susmentionné[4]]. Également, le passé colonial nous invite individuellement et collectivement à apprendre de notre passé via la production d’archives (orales, écrites et numériques) ; la consolidation du construit social par le biais des arts et de la culture ; et, la prise de conscience au temps présent de la valeur de notre patrimoine matériel et immatériel. Dans le champ artistique et en particulier curatorial, il est souligné très clairement la centralité dans des espaces subsahariennes et africains d’un dialogue constant entre l’art et la société ; ce pour des raisons historiques et sociologiques. Pour reprendre Ikram Ben Brahim, l’Afrique a besoin d’imaginaires[5].

Par Raïssa NJOYA, Agence Créations Contemporaines.

#unartistenousparle


[1] Exclamation d’un visiteur dénommé Colonel Mekulu qui nous a autorisé à le citer nommément dans cet article.
[1] Près de 200 personnes à vue d’œil.
[1] Talk – Chantefable – visite de l’exposition – cocktail dinatoire.
[1] L’art, c’est aussi de la pensée – Entretien avec Yves Xavier NDOUNDA, 2022. L’art c’est aussi de la pensée – Entretien avec Yves Xavier NDOUNDA (youtube.com), consulté le 23/07/2024
[1] Reportage sur le premier volume de la collection transmédia « Un soir au coin du feu », créée et réalisée par Sally Nyolo, Cameroon Radio Television (CRTV), Mars 2024 “Sally Nyolo ra-contre : entre réel et virtuel“ (youtube.com) , consulté le 23/07/2024
[1] Dans la doctrine, l’ouvrage intitulé « Régionalisation et action culturelle au Cameroun » commis par Remy MBIDA MBIDA postule que la régionalisation participe de la spatialisation fonctionnelle et efficace de la décision politique. La culture dans le processus de régionalisation en constitue le ciment.
[1] Lire aussi : L’urgence du tourisme domestique en Afrique, Beringer GLOGLO (Economiste, Fondateur du Cercle des Jeunes Économistes pour l’Afrique), 29 novembre 2021, Financial Afrik Tribune Économie du Tourisme: L’urgence du tourisme domestique en Afrique | Financial Afrik , consulté le 23/07/2024
[1] Op.cit (Reportage CRTV, Mars 2024).
[1] Ikram Ben Brahim, Maître-Assistante à l’Institut Supérieur des Beaux-Arts de Sousse en Tunisie, Intervention sur le processus de mise en place d’une exposition d’art, Série 111 : (re)penser les pratiques curatoriales en Afrique subsaharienne, Creations_Contemporaines (Prod) https://www.instagram.com/p/C8mlUvrooGy/?utm_source=ig_web_copy_link&igsh=MzRlODBiNWFlZA== , consulté le 23/07/2024