Biennale de Venise 2024 : baratin pseudo-profond (B2P) et un max de confusion sophistiquée

publié le 10/01/2025 par PAW (Paul-Aimé William)

Mais que fait la critique d’art internationale ?!&* Je crus qu’un éclair de sagacité traverserait l’esprit d’un•e critique or Que nenni. La seule salve pertinente sur le fond de cette Biennale de Venise a été tirée par un artiste, Anish Kapoor. Il alertait sur la « réappropriation de slogans fascistes comme titre et thème de la Biennale démontrant une naïveté totale quant aux effets réels que ces mots continuent d’avoir sur la vie des gens. Le choix de les utiliser découle, selon Kapoor, de la perspective d’un curateur blanc naïvement privilégié.1» Et ce n’est pas l’unique récupération sophistiquée !!! que fera, le brésilien Adriano Pedrosa en tant que directeur de la 60e édition de la biennale d’art contemporain.

À mon corps défendant, j’ai été invité dans le cadre d’une délégation des Antilles-Guyane pour visiter la biennale et le pavillon français occupé cette année par l’artiste Julien Creuzet et au terme de cette invitation, écrire un compte-rendu sur l’événement. Nous déviions être deux guyanais pour ce voyage mais Mirtho a refusé d’y participer Une délégation pour faire quoi ? À quoi bon aller à Venise ? Cela changera-t-il notre existence de personnes dominées ? C’est qui Julien Creuzet ? me dit-il. Si c’est pour que les outre-mers gagnent en reconnaissance, j’y vais pas ! En plus, je devrais être honoré qu’ils m’invitent, mo pa kalé !

Bien qu’ils nous ont fait miroiter, jusqu’à la dernière minute, une invitation — qui ne fut pas concrétiser — durant les journées professionnelle, j’ai pris mes billets à mes frais. À ma première tentative de sortir de la Guyane, j’ai été empêché de prendre l’avion par l’Ofast, car je fus suspecté de transporter de la cocaïne comme nombre de jeunes, en grande partie précaire, sur le territoire guyanais.Une guerre contre les drogues2 qui pénalise essentiellement les personnes racisé•es et pauvres par une discrimination au faciès systématique3, tout en humiliant leur velléité de mobilité et à d’émancipation hors du complexe de détention coloniale4. Donc j’ai dû passer un test urinaire obligatoire qui s’est éternisé et s’est enfin révélé négatif à la coke et positif à la marie-jeanne. À ma deuxième tentative, deux jours plus tard, j’ai tout de même été arrêté or j’ai pu avoir, par magie, une autorisation de sortie du territoire, à temps. Mais avec cette aventure dantesque, j’ai perdu 1 jour sur mon programme pro et ai dû dormi dans l’airport Marco Polo.  

En tout cas, je constate que les institutions françaises en Guyane, après avoir colonisé le territoire, ne se sentent guère étrangère. Ils sont bien chez eux et le prouvent.

Tous les deux ans, le marronnier repousse : les pays semi-coloniaux n’ont pas leur propre pavillon, seules les pays terroristes ont en un dans l’enceinte des Giardini. De plus, il n’est jamais question, dans ces analyses, de solutions telles qu’une taxe d’habitation des propriétaires pour réduire les inégalités de patrimoine. Ces impôts seraient redistribués aux États qui ne bénéficient pas de domaine propre au lieu d’être contraint de recourir au mécénat privé pour exister5. Cela serait de l’ordre d’une diplomatie culturelle internationaliste. Ou bien, on pourrait simplement exiger l’expropriation temporaire ou définitive des pavillons historiques et ensuite aviser au nouveau mode de collectivisation. Or l’imagination de nouvelle exigence est la dernière des préoccupations du curateur de luxe6 de cette biennale international qui ne fait, de toute façon, pas sienne la maxime amplement plus désirable :  « Intelligence and Consciousness are Everywhere. » 

En surplus, Adriano Pedrosa est un menteur, a big snicth. Le titre de son commissariat d’exposition « Stranieri Ovunque – Foreigners Everywhere » est un mensonge. Au nom de cette vision, il nie à demi-mot tout rapport de force mondiale et camoufle les contrats d’aliénation favorable à certains groupes racialisés, genrés, classés. Nul besoin de contourner une ligne de couleur ni de maintenir un conflit structurant contre un ennemi aliénant (c’est-à-dire qui nous rend étrangers à nous-même et  entraîne finalement à une mort prématurée) puisque « les étrangers sont partout et surtout en nous ». D’ailleurs, des espèces de xénomorphes franchiront des frontières contrôlées tandis que d’autres Non. Bizarre ! Bizarre ! La métaphore culturaliste de Pedrosa n’a pas dissous les privilèges liés à l’identité nationale… 

Quoi qu’il en soit, je ne suis pas un fucking étranger, je suis l’un des « MOI MOI MOI morts depuis qu’ils sont venus7 » (cf. Damas). Et j’espère (vœu pieux) ne plus croiser les facehuggger de Pedrosa qui nous implantent des parasites dans la cervelle. Par ailleurs, ce curateur est aucunement étranger à la plantation culturelle. En tant que contre-maître, il répond, à juste titre, au demande du marché de l’art blanc en embellissant la biennale de concepts mous et radicool qui ne menacent point la structure économique et scopique de l’évènement qui fait partie des dignes héritiers des expositions coloniales et universelles. À la 56e Biennale de Venise, le curateur de cette édition, Okwui Enwezor avait proposé comme coquetterie la lecture des trois volumes du Capital de Karl Marx sous la forme d’un oratorio en continu tout le long des sept mois de la manifestation internationale. Il aurait été plus significatif qu’il nous dévoile le montant de son salaire à la direction de cette entreprise — 400 000 $ pour 2 ans, sans les fees, ce n’est pas rien. Un geste valable tout autant pour ces prédécesseur•es et successeur•ices au lieu de feindre une lutte anticapitaliste au coeur d’une machine alimentée par la spéculation financière terroriste et sans frontière. On peut douter que les initiatives d’Enwezo aient réellement fait basculer en faveur des travailleur•euses de l’art, le mode production capitaliste ! Jamais encore une édition sans présence nationale n’a été proposé, où chaque pavillon étatique serait réquisitionné pour sécréter tout autre chose qu’un service de soft power.

En fin d’après-midi, j’ai rejoint DVD pour visiter quelques expositions hors des jardins. Il se faisait tard et la faim nous guettait, soudain, DVD se dirige vers un restaurant à l’intersection de calli. Surpris, je le suis du regard, sans y entrer. Le restaurateur lui dit qu’il n’a pas de couvert, en fait, pas de couvert pour lui. On se regarde. Racisme ordinaire. Tu croyais quoi ! Ah, ce gars me tuera de rire nerveux. On vitupérait tout en parlant de notre prochain événement de la soirée, le récital de piano « Devonté Hynes plays Julius Eastman » au Palazzo Grassi (Collection Pinault). Puis on remarqua au-dessus du resto, la bannière : « + RESIDENTI, – TURISTI ». CQFD : la réalité matérielle confonds tjrs le mensonge, cette oriflamme résonnait selon moi comme un’ réponse à l’intitulé de la biennale.

Le fétichisme du curateur de luxe pour la terminologie de l’ailleurs tel que l’altérité, la marginalité et le pluriel est avant tout une manière de couper l’herbe sous les pieds de ces concurrent•es du monde l’art les plus concerné•es et « présumé•es enfermé•es dans des identités closes8 ». Cette stratégie symbolique revêt au rastaquouère blanc une sorte de « « radicalité » désignant essentiellement une sorte de conversion intérieure qui permet d’accéder à des expériences inédites de la pensée et pouvant s’accompagner d’une abstention distanciée envers les affaires de la Cité, envisagées seulement à travers certaines causes aux parfums d’« altérité » (diversité, minorités, subalternes)9. » Le focus de la Biennale sur les peuples autochtones est un exemple criant. 

Rien d’exceptionnelle ni de révolutionnaire, depuis une vingtaine d’année, l’art contemporain autochtone, bien que largement sous-représenté, est présent sur la scène internationale telle que récemment à la Biennale d’art contemporain autochtone (BACA) ou bien ces derniers temps à Venise : 

« Ce fut entre autres le cas pour le Canada en 1995 avec Edward Poitras et en 2005 avec Rebecca Belmore ; de l’Australie en 1997 avec Emily Kame Kngwarreye, Judy Watson et Yvonne Koolmatrie et en 2009 avec Vernon Ah Kee ; et de la Nouvelle-Zélande en 2011 avec Michael Parekowhai. La 56e édition de la Biennale de Venise, en 2015, a une nouvelle fois ouvert grand ses portes à la diversité de l’art autochtone international en faisant la part belle aux productions en provenance du Pacifique avec, entre autres, la présence à l’Arsenale du choréographe vedette Lemi Ponifasio, originaire des Îles Samoa, qui avait conçu pour l’occasion Lagi Moana, un espace de rencontres et de performances. Du côté de l’Australie, l’art contemporain aborigène était représenté dans l’exposition internationale à la fois par une artiste appartenant à une communauté du désert, Emily Kame Kngwarreye, et par un artiste vivant en milieu urbain, Daniel Boyd. Le Pavillon australien et l’exposition collatérale Country exposaient également des œuvres produites en collaboration avec des artistes aborigènes. L’art contemporain autochtone des Amériques était aussi présent dans la lagune avec deux expositions indépendantes : Venice: Objects, Work and Tourism du Cherokee Jimmie Durham au Palazzo de la Fondazione Querini Stampalia et Ga ni tha (avec Marcella Ernest, Maria Hupfield et Keli Mashburn) au Campo dei Gesuiti. Une exposition de facture plus ethnographique était également présentée dans le pavillon de l’Institut italien d’Amérique latine, Voces Indígenas, qui restituait à travers une quinzaine de haut-parleurs les principales langues autochtones d’Amérique latine. Enfin, l’Afrique n’avait pas été oubliée puisque Wangechi Mutu, une Kikuyu (Kenya) qui vit aujourd’hui à New York, était une des rares artistes à avoir une salle entière du Pavillon international dans laquelle elle exposait une installation vidéo, une installation sculpturale et un tableau-collage. D’autres biennales dans le monde se sont également fait remarquer ces dernières années pour avoir inclus une forte présence autochtone dans leur programmation, au premier rang desquelles la Biennale de Sydney dont l’édition 2010 comprenait plusieurs artistes autochtones du Canada (Kent Monkman, Annie Pootoogook, Dana Claxton…) et celle de 2012 qui avait comme codirecteur artistique le Cri Gerald McMaster. À côté de cette présence autochtone de plus en plus marquée dans les grandes rencontres internationales, on assiste à la multiplication récente d’expositions consacrées exclusivement à l’art contemporain autochtone international. Celles-ci peuvent prendre la forme d’un dialogue entre artistes d’un même continent comme ce fut le cas avec Remix: New Modernities in a Post-Indian World en 2007-2008, qui rassemblait des artistes autochtones du Canada, des États-Unis et du Mexique ou, plus récemment, avec la nouvelle biennale de Santa Fe, SITElines.2014: Unsettled Landscapes, qui comprenait également quelques artistes non autochtones. Mais les plus spectaculaires de ces expositions sont sans conteste celles qui incluent des artistes autochtones du monde entier comme Close Encounters: The Next 500 Years en 2011 à Winnipeg, avec 30 artistes des Amériques, du Pacifique et d’Europe, ou Sakahàn : art indigène international en 2013 au Musée national des beaux- arts d’Ottawa, qui présentait pas moins de 150 œuvres de 80 artistes autochtones issus de 16 pays différents. Cette dernière exposition, première édition d’un rendez-vous quinquennal, a marqué un changement majeur dans la diffusion de l’art autochtone pour plusieurs raisons. Elle montrait d’abord, pour la première fois et à une échelle encore jamais atteinte, que l’art contemporain autochtone est bien une réalité planétaire. Qu’ils proviennent des Amériques, d’Europe, d’Asie, d’Afrique ou d’Océanie, ces artistes partagent une même communauté de destin : celle des peuples qui sont devenus minoritaires sur leur territoire ancestral et qui se battent aujourd’hui pour la reconnaissance de leurs droits et la survie de leur culture. La deuxième raison tenait à la qualité artistique des œuvres réunies par les commissaires et le groupe d’experts internationaux qui les avait conseillés.10 » 

Adriano Pedrosa prétend aussi qu’il aurait décolonisé la Biennale de Venise : « Et surtout, avec tant d’artistes présentés à Venise pour la première fois, la Biennale s’acquitte d’une dette historique envers eux. Elle a été décolonisée. Mais bien sûr, nous pouvons toujours décoloniser davantage.11 » 

Oh karaï ! 

Ce qu’il ne faut pas entendre. R.A.S, dans le monde de l’art blanc, il n’y plus rien à abolir. Ou peut-être que si. Comment peut-on décoloniser encore plus lorsque que l’on assure que ça été décolonisé ? Ce curateur joue le jeu de la suprématie blanche en créant le maximum de confusion sophistiqué (cf. Nelly Fuller). Ainsi selon lui, en servant de tremplin à des artistes marginalisé•es par le monde de l’art suprémaciste blanc, la Biennale de Venise pourrait prétendre s’être acquitté d’une dette historique envers eux. Cette illusion trahit la posture paternaliste coloniale de Pedrosa car il n’a jamais été fait mention de la part de ces artistes invité•es d’une demande de remboursement d’aucune sorte de dette, aucune. De plus, soit dit en passant, ce soi-disant solde ne signifie point l’interruption du processus de réparation ou de justice — dans tous les secteurs d’activité, la culture et l’art compris — liée à la Colonisation et au Maafa (atrocités et asservissements des africains et de diasporas africaines à travers le monde). J’oserai même dire que cette dette est insolvable et qu’il faudrait l’entretenir, la travailler, la rouler ad vitam negro infinitum.

L’exposition international à l’Arsenal et au Gardini se parcourt comme un grand catalogue ouvert donc mieux vaut acheter le catalogue au format papier au lieu de tomber dans le panneau comme des rats et se farcir des images vite oubliées. Le programme Nucleo Storico qui regroupe le travail d’artistes non-européen•ne et d’immigré•es italien•nes au 20e siècle est barbant. On dirait qu’un stagiaire a fait le récolement de toutes les pièces possibles sur le sujet en exploitant tous les data disponibles dans les collections à travers le monde (catalogues, articles, sites internet, inventaires etc.) Ce qui mène inévitablement à un accrochage médiocre des œuvres. Une gestion de marchandises qui aurait pu être dissimulée par un geste curatorial mieux réfléchi. 

Le projet de la biennale, Nucleo Contemporaneo, qui rassemble les artistes queer, outsider et autochtones nous confirme que le système de l’art contemporain a bel et bien digéré ces arts. « On devine, dans cette démarche, une volonté d’objectiver, d’encapsuler, d’emprisonner, d’enkyster12 » disait Frantz Fanon du souci affirmé des dominants de respecter les cultures marginalisées. Dans leur livre sur l’esthétique de la rencontre, les auteur•ices Baptiste Morizot et Estelle Zhong Mengua entendent par « digérer une œuvre : c’est-à-dire l’instrumentaliser pour ses propres besoins émotionnels et existentiels préformés, préexistants.13 » Sans réduire la multitude des résistances des artistes invités, ces derniers intègrent, bon an mal an, la typologie proposée par le philosophe mohawk, Taiaiake Alfred, situant les figures d’autochtones dans le domaine de l’art. Son analyse peut être remodelée pour évoquer les artistes queer ou outsider.

« « le vieil Indien » renvoie à la figure de l’artiste soumis. Aujourd’hui, plusieurs artistes autochtones ont rejoint l’ensemble des artistes pour demander des programmes de subventions aux paliers de gouvernement et figurer comme « Indien de service » dans les commémorations et dans l’industrie touristique. Ensuite viennent « les pommes rouges ». Comme la peau du fruit, sous l’apparat et les discours, la chair est blanche. Ce deuxième type d’artistes collabore et adhère aux valeurs et modes du système dominant. C’est le collaborateur qui parle le langage des blancs. La puissance symbolique du stéréotype, de l’Indien inventé, est leur caution. Comme pour le premier type, l’artiste figure dans tous les spectacles produits pour les touristes, principalement. Le troisième type, « le guerrier mystique », est de loin le plus intéressant. Il se dédouble : c’est le résistant par l’éloignement, par la politique ou par ses œuvres. C’est, quelque part, le « sauvage » qui a survécu et qui dépend de la sauvegarde de ses conditions d’existence traditionnelles. C’est aussi l’artisan, le conteur et le joueur de tambour. […] C’est encore celui, urbain, qui s’est ré-ensauvagé à partir des savoirs confisqués et réinterprétés par les Blancs : il est métissé à plusieurs égards. Il revient solidaire dans ses territoires et est guerrier dans ceux de l’autre, chamane pour les siens et visionnaire pour l’humanité. Ce sont celles et ceux que j’appelle les nouveaux Chasseurs-Chamanes-Guerriers par l’art.14 »

Ces typologies associée à l’analyse de la digestion ou l’indigestion d’oeuvres exposées impliquent soit de « fausse rencontre » (avec les vieux et les pommes rouges), soit la « non-rencontre » (d’avec les guerrier•es séparatistes). Ces modalités de formes et de réception désorientées dans le monde l’art contemporain, nécessite d’être réinventé en de nouvelles praxis constructives transformant les structures de la plantation spectaculaire (musée, exposition, foire, performance et biennale) en créant des éléments de désirs évinçant tout cadre digestive. Cependant, nous avons aussi besoin d’objet émotionnel de subsistance car nous ne pouvons pas rester cloîtrer dans un ciel intellectuel excluant des formes populaires. 

La prestation des différents pavillons nationaux est homogène. Je ne les ai pas tous fait or je n’ai pas non plus eu écho d’un must-see que je n’aurais pas survolé. Cette année, le pavillon indien n’est pas présent. Un espace dédié uniquement au travail d’un•e artiste autochtone dans cette État aurait été plaisant et informative puisqu’iels sont globalement invisibilisées. Sans surprise, le palazzo belge est une redite du programme de Vincent Meessen en 2015 qui avait cédé son espace à des créateurs africains parmi d’autres. Ai-je loupé quelque chose ? Je ne suis pas rendu au pavillon portugais. Intitulé « Greenhouse », le projet basé sur le « jardin créole » ne m’a pas convaincu puisque la réalité politique de ce moyen de subsistance réside dans le fait que « face à l’obligation de « faire nourrir » leurs esclaves, les maîtres ont choisi d’allouer à ces derniers des lopins de terre afin qu’ils puissent cultiver leur propre nourriture. En ayant l’autorisation de cultiver pour eux-mêmes ces espaces, les esclaves assumèrent leur première et seule responsabilité politique en rapport avec la terre des colonies. […] Cette responsabilité-là ne remet pas en cause l’organisation structurelle du monde colonial. Elle est parcellaire et subordonnée à la non-responsabilité globale de la gestion de la terre et de l’économie15. » 

En se distinguant nettement, le padiglione britannique était vraiment agréable et investit consciencieusement par l’artiste anglo-ghanéen John Akomfrah. Cela mériterait un’ analyse plus approfondie et cela, au risque d’être déçu au final par l’accumulation mollassonne (« multi-layered complexity ») de la proposition. La représentation du Canada par l’artiste Kapwani Kiwanga restitue de manière étincelante la dimension globale des petites perles de verre de l’île de Murano appelées « conterie » qui étaient autrefois utilisées comme pacotille (monnaie et objets d’échange) à travers le monde. Parmi les plus constructives, le pavillon du Darnemak est consacré à l’identité autochtone et à la mémoire du colonialisme à partir d’un ensemble de projet photographique d’Innutuq Storch, un jeune photographe originaire de  “Kalaallit Nunaat” (nom indigène pour le Groenland).

En changeant de perspective, Pascale m’avait dit lorsque je l’avais croisé dans les calli de la Sérénissime qu’elle allait écrire un texte sur l’hypocrisie des pavillons nationaux qui ont choisi comme représentant•e des artistes issu•es de minorité qu’ils méprisent et maltraitent à l’intérieur de leur état. LOL. N’y a-t-il pas d’autochtone celte en Belgique ? Et la France millénaire aurait pu sélectionner un artiste breton ! Ou bien, le terme autochtone sert-il de code pour ne désigner que les non-blancs, ceux hors de la blanchité ? 

Les membres du jury du Pavillon français qui ont choisi Julien Creuzet pour représenter la France à la 60e Biennale di Venezia sont des incapables ! Manquant de conscience historique et d’imagination, les institutions françaises sont toujours à la ramasse de plusieurs années sur les anglophones du nord. Actuellement, La France accueille pour la première fois le travail d’un artiste afrodescendant dans son palais vénitien, depuis longtemps devancé par les États-unies et le Royaume-Uni, malgré une présence afro-antillaise remarquable en Italie avec Guillon Lethière, ancien directeur de l’Académie de France à Rome (1807-1816). On peut maintenant subodorer que les prochain•es artistes représentant•s la France seront immanquablement une femme noire (suivant les représentations précédentes des UK et USA) ou soit une personne autochtone, mais pas de sitôt pour la Guyane ni pour les semi-colonies françaises dans le Pacifique (suivant la représentation de Jeffrey Gibson pour les Etats-Unis). L’idée que n’ont pas encore songé les juré•es français est de sélectionner un collectif d’artistes ! Et qui de plus légitime de faire trembler les murs de cette vielle pierre qu’AFRIKADAA ! Au final, j’aurais préféré qu’il choisisse l’ancienneté au lieu qu’un jeunot. Le groupe Fwomajé aurait pu faire l’affaire même si je doute qu’il ait accepté en raison de leur dédain du monde de l’art contemporain et de la France, enfin, j’y crois.

Revenant d’abord sur la phrase de Julien Creuzet en 2019 parlant du pavillon indépendant de la Guadeloupe à la Biennale de Venise : « Si c’est officieux ; c’est anecdotique.16 » déclarait l’actuel représentant du pavillon français. Il estimait aussi qu’un « artiste français c’est un artiste français — avec ses particularités17». Ce qui me fait dire que les mots de Rachida Dati, ministre de la culture lors du vernissage de son show à Venise, le désignant comme « la culture française à son meilleur18» ne l’ont pas contrarié ni fait grincer les dents. Pour l’Etat colonial, les particularités d’ un artiste français n’auront jamais la même valeur que la nationalité française, et le prouve : i pa ni nasyon matinik isi-dan. 

Dès ma première rencontre avec Julien Creuzet, je sus qu’il se retrouverait au pavillon français. À cette époque, j’étais stagiaire à l’Institut français de Paris en charge du pavillon français donc bien placé pour évoluer son éventuel nomination. Ma chargée de stage m’avait demandé entre autres de lui faire personnellement des dossiers sur les décoloniaux ; ils m’ont pris pour un imbécile, jamais. C’était un test mais je ne veux pas être un espion à leur solde. En plus, je scanne vite et ai l’oeil vif. 

Les phrases de Julien Creuzet prononcées quelques années plus tard m’ont donné confirmation qu’il lorgnait sur cette reconnaissance nationale et internationale, comme bon nombre artiste, somme toute. Mais il ne s’arrêtera pas là, il sera bientôt membre de l’Académie de beaux-arts, avec son sabre rouillé, le chemin est tout tracé. J’avais trouvé tout de même arrogant de considérer anecdotique* l’initiative — que je ne défends pas, non plus — du pavillon guadeloupéen, comme s’il saurait créer un moment historique* durant la Biennale vénitienne !? Voilà ce que j’essaierai d’observer : sa participation relève-t-il d’un moment mémorable* ? J’en reste perplexe.

Pour ne pas nous mettre dans l’embarras dans quelques décennies lorsque des jeunes nous demanderont des comptes sur la prestation globalement décevante de l’ensemble des expositions de la moitié des années 2020 présentant des artistes non-blancs, je tacherais de conduire une critique des plus implacable et précise sur ce bail non-renouvelable remis au plasticien martiniquais — une première dans un secteur institutionnelle dont la sélection et la garantie restent tjrs discriminatoires. Ils ne vont quand même pas investir un•e artiste dont le travail parle clairement d’indépendance par exemple. Et oui, cela existe. Or par cooptation, ils vont récompenser un•e artiste qui maintient un flou artistique, ni pour ni contre ni rien. Et cela plaît. Il y a tout un public de sousè (qu’on peut traduire par snitch) qui apprécie ou plutôt suivent sans comprendre le consensus totalement fabriqué pour le marché de l’art blanc. Certains de ces sousè auront l’honnêteté d’avouer leur incompréhension de ce travail plastique, d’autres attendrons qu’un•e interlocuteur•ice leur souffle que C’est abscons pour enfin se jeter tête la première dans une critique acerbe. Au final, dans les deux cas, iels n’arrivent pas à clarifier le sens de ce qu’iels ont lu, traversé, entendu, vu ou croisé.

L’exposition dont le titre — tout en longueur, Attila cataracte ta source aux pieds des pitons verts finira dans la grande mer gouffre bleu nous nous noyâmes dans les larmes marées de la lune — est l’expression par excellence du « baratin pseudo-profond » (B2P). 

Ce concept développé en 2022 dans un article en science économique19 a conduit une équipe de chercheurs à étudier le B2P appliqué au monde de l’art au cours d’une recherche intitulée « Bullshit makes the art grow profounder20 » publié par la Cambridge University Press. L’étude des scientifiques a montré que ce sont les titres en baratin pseudo-profond — tel que, par exemple « Evolving Model of Dreams » ou bien dans notre cas, ceux créer par Julien Creuzet — « qui, spécifiquement, améliorent la profondeur de l’art abstrait, par opposition à tous les autres titres ». Les savants suggèrent aussi que cette forme de baratin (bullshit) peut être appliquée à des domaines très variés comme l’art représentatif ou l’art contemporain21. Par bullshit, l’étude désigne « une absence d’attention portée à la vérité ou au sens » et tandis que par profondeur, iels entendent «une signification profonde ou une signification importante et largement inclusive». Ce qui revient à définir, selon elleux, le baratin pseudo-profond par ce qui se distingue « non pas par son mensonge, mais par sa supercherie ; le bullshit peut être vrai, faux ou dépourvu de sens, ce qui fait d’un discours du bullshit, c’est une attention implicite mais artificielle à la vérité et au sens.22 » 

Les résultats scientifiques ont permis au groupe de recherche de créer une théorie qui nous est dorénavant nécessaire pour saisir les esthétiques déterminantes du monde de l’art contemporain. Il est ainsi formulé « que le bullshit peut être utilisé efficacement comme une stratégie peu coûteuse pour impressionner les autres et gagner du prestige dans tous les domaines, sauf ceux où la performance est clairement et strictement objective. Maximiser ses compétences et son expertise dans un domaine est généralement un processus long et ardu. Cependant, la capacité à produire du bullshit satisfaisant, capable d’impressionner les autres en présentant sa personne et son travail comme impressionnants et significatifs, peut permettre à un individu d’obtenir du succès en demandant beaucoup moins de temps et d’efforts. […] Par exemple, dans des domaines artistiques tels que la musique, la poésie ou l’art, les compétences techniques ne sont probablement pas le seul facteur déterminant du succès. Ce qui est probablement tout aussi important, c’est la capacité à impressionner les autres en faisant en sorte que son œuvre apparaisse unique, profonde et significative (cf. Miller Miller, 2001). Une manière rapide et efficace d’impressionner les autres de cette manière est d’utiliser des affirmations qui impliquent, sans contenir de vérité ou de signification spécifiquement interprétable (c’est-à-dire du bullshit). Bien sûr, le terme “bullshit” dans ce contexte ne doit pas nécessairement porter une connotation négative. Si le but d’une œuvre d’art est d’inspirer un sentiment de profondeur chez les spectateurs, que ce sentiment provienne de l’art lui-même ou soit créé par le spectateur, cela n’a aucune importance. De telles situations peuvent être mises en contraste avec des circonstances où la vérité, plutôt que le plaisir ou la profondeur, est l’objectif principal (par exemple, la science ou la médecine), où l’utilisation du bullshit pour obtenir des avantages est contraire à l’objectif fondamental de la discipline.23 »

Pour faire plus simple, les poèmes en baratin pseudo-profond correspondants aux titres et monodies de Julien Creuzet manipulent à peu de frais la réception de son oeuvre en charmant et réduisant nos facultés cognitives à former une impression régulatrice des dimensions inhérentes à une oeuvre d’art. 

Un’ poésie sans aucune insubordination. 

Un chapelet de litanies composé de mots brumeux. 

Et un sabre pour le jardinage.

En philosophie, une seconde variété du B2P a été pensée par Gerald Cohen à partir de l’analyse pionnière de Harry Frankfurt qui considérait le baratin comme une « indifférence à la vérité24». Cette variété a été nommée « opacité inclarifiable » (unclarifiable unclarity), elle se caractérise par l’impossibilité de clarifier un baratin pseudo-profond « non pas parce qu’ils visent une opacité inclarifiable, mais plutôt parce qu’ils visent la profondeur.25 » Le rejet de tout énoncé lucide ou clarifiable (c’est-à-dire rendu non-profond) est jugé nécessaire pour trouver de la profondeur. Être inclarifiable permet ainsi de confisquer le sens et de rendre spécifiquement difficile la démonstration de l’absence de profondeur dans un B2P.

Bon nombre des jeunes artistes, critiques, curateur•ices minoritaires s’adonnent à ces formes d’« opacité inclarifiable » qui se trouvent être inoffensives et prédisent à tout projet radical une obsolescence programmée qui ne déplait pas au système de l’art contemporain. Le concept mobilisateur de « droit à l’opacité26 » utilisé par Julien Creuzet pour décrire l’orientation du pavillon français n’échappe pas à cette quête de profondeur. Ce droit-là reste timide et se fera désirer longtemps avant de s’engouffrer dans un épais atermoiement dû aux conflits inégalitaires incessants. Dans un’ situation d’acculturation d’une langue maternelle par exemple, le colon reconnaît l’existence de l’opacité du colonisé tandis que le colonisé constate la perte de cette opacité qui demeure inclarifiable pour les deux parties. Il n’existe pas de jurisprudence empirique27 de ce droit-là donc son application sera tjrs soumise à la spéculation selon les contextes. Au contraire, une jurisprudence fait « passer du droit à la politique28 », elle régule l’historique et le spatial selon une rotation culturale.

En reprenant, l’analyse de la philosophe Sophie Chassat sur « la complexité, un critique d’une idéologie contemporain », je considère la profondeur comme un outil d’intégration dans l’idéologie néolibérale du monde de l’art permettant d’être visible et récompensé. En refusant une destination finale, le dogme de la complexité et la promotion de la profondeur, nous plonge dans un laisser-faire macabre qui nous conduira « à la dispersion, à la confusion et à l’approximation de tout29 ».

Face aux problèmes généraux de notre rapport au racisme, ces arguments paresseux sur la nécessité d’apporter de la profondeur et de la complexité à une réponse augmentent le risque de n’en jamais faire le tour et de ne trancher quoi que ce soit qui puisse apporter des solutions déterminantes. Ces artifices intellectuels nous enferment plutôt dans l’inaction, l’entropie et la déresponsabilisation. 

Pour Sophie Chassat « l’heure est désormais au « crucial » ». Dans le cadre de simplification salutaire inhérente à notre subsistance et à l’encontre de l’extermination du vivant sur terre, « le « crucial » est ce point de l’espace et du temps où une décision s’impose.30 »  Pour parvenir à mener bien à nos combats révolutionnaires, il nous faut « sortir des ornières du tout-complexe », j’ajouterais en sus s’extirper de cette carcasse tout pétée du concept du tout-monde. 

Cette analyse du baratinnage poétique pseudo-profond de l’artiste martiniquais peut aussi être employé pour désigner ses volumes pendus à la charpente, celle-là même fabriqué pour l’évènement et qui supporte sa grande forme immersive. 

Et j’y viens cueillir le vice. 

Le choix de l’artiste d’inviter deux curatrices non-antillaises me pose question (pour être gentil,) en sachant qu’une n’a connu son travail qu’en 2019 lors de son exposition personnelle au Palais de Tokyo soit un peu tard31. J’avais même co-écrit un texte sous pseudonyme sur cette expo. Superficiel est le commissariat de ce pavillon. Je me demande bien, leur tâche pragmatique dans tout çà. Leur gène est palpable lorsqu’il faut parler du travail du  plasticien car il n’a pas besoin de curatrices pour penser l’accrochage de ces cintres tordus, formes mouvantes, lianes perroquets etc. puisque c’est lui qui l’imagine comme un opéra. La curation s’est surtout matérialisé dans la direction éditoriale du catalogue officiel publié aux éditions des Beaux-Arts de Paris. Je ne le recommande pas.  Les curatrices ont garnit leurs textes du catalogue de tous les concepts mobilisateurs possibles que l’on peut attacher au travail du plasticien. Par contre, dans ce Cyclone de mer32, un mot me pose problème : panafricain. Ce catalogue est présenté comme une « bibliographie panafricaine33 » voulue par l’artiste depuis 2021. C’est un blague ?!&*. De plus, la modalité de création de cette bibliographie basée sur un’ équipe de chercheur•euses est une copie conforme du projet de publication, imagi-nation nwar — généalogies de l’imagination radicale noire dans le monde francophone, du collectif sud-africain, Chimurenga, dans le cadre de la Saison Africa 2020 (reportée en 2021). Wow, quel hasard ?!&* ils ont eu la même idée en même temps. La moindre des choses, dans une démarche panafricaine est de reconnaître l’existence et les contributions de ces prédécesseurs. Ce que fait la curatrice en ne mentionnant pas le projet de la Bibliothèque Chimurenga démontre son instrumentalisation d’un mouvement de libération africaine pour son aura de radicalité & de hype du moment. Même le président raciste, Emmanuelle Macron se livre à ce genre confusion : « la francophonie est la langue du panafricanisme34 » soutenait-il en 2022. Ça ne m’étonne pas qu’au final à l’occasion de ce pavillon : « yé tout ka travay pou Macron35 »(iels travaillent toutes pour Macron)

Notre frère cadet, Julien Creuzet est un « power crafteur », terme que je conçois en m’inspirant du vocable « power user » en informatique. Cette notion s’appuie surtout sur l’histoire des sciences de la complexité largement développée dans le domaine militaire36 à partir de disciplines tel que la modélisation informatique, la théorie du jeu, la cybernétique, rendues possibles grâce à l’avènement des ordinateurs37. Cette théorisation de la complexité a influencé, depuis les années 70, les concepts de rhizome, de créolisation, de connectivité en réseaux vantant une vision du monde où la compréhension des phénomènes repose seulement sur un système unique défini par l’acronyme, inventé par l’armée américaine, nommé VUCA (pour Volatilité, Incertitude, Complexité et Ambiguïté)

« V = Volatilité : Caractérise la nature rapide et imprévisible du changement.

U = Incertitude (Uncertainty en anglais) : Indique l’imprévisibilité des événements et des problèmes.

C = Complexité : Décrit les forces et les problèmes entrelacés, rendant les relations de cause à effet peu claires.

A = Ambiguïté : Signale les réalités peu claires et les malentendus potentiels résultant de messages contradictoires.38 »

Un power crafteur est un artiste qui pratique de manière intensif plusieurs médiums et métiers (musique, poète, curateur, installation, vidéo etc.) en les associant à des disciplines cognitives en dehors du champs de l’art tel que la sonochimie ou la sociologie. Leurs créations sont des « végétations de désirs » (cf. Suzane Roussi-Césaire) qui nous distraient, pourtant, des conflits —dont elles sont inséparables — en cultivant un culte du divers devenu leur opium favoris.  Il est vrai que cette blue pill a des effets imaginatif remarquable, mais dans une situation où règne le pacte de la  blanchité, le narcissisme qu’elle provoque — ne pouvant être satisfait par le divers — y lé bloublou nou,  a bloublou y lé bay nou — conduit inévitablement à des formes phatiques (cf. Malinowski) en « donnant lieu à un échange profus de formules ritualisées, voire à des dialogues entiers dont l’unique objet est de prolonger la conversation39 » avec la suprématie blanche. 

Mais il existe des végétations de désirs — matière privilégiée des travailleur•euses — qui n’ont pas été encapsulées dans ce culte du divers. Elles sont les « fruits impatients de la Révolutions qui jailliront, inévitablement40 ». 

y lé bloublou nou, pa isi a 

a bloublou yé lé bay nou, pa isi a 

Je ne comprends pas comment on peut encore travestir, même avec un logiciel Blender-like, les sculptures racistes patriarcales coloniales comme celle de la fontaine des quatre parties du monde (1867) de l’Observatoire de Paris. Même si ce serait pour soit disant les animer en les pénétrant d’un sentiment d’émancipation41. Comprenons-nous bien, l’émancipation n’est pas la libération42. Les props, assets, shadings, layouts, animations, lightings ne changeront rien le fond de l’affaire. Dans l’idéologie patriarcale suprémaciste blanche, « la nymphe est la femme devenue idée43 » selon la philosophe Catherine Malabou dans son ouvrage Le plaisir effacé — Clitoris et pensée. Dans le monument, La fontaine des quatre parties du monde chaque nymphes est liée à un’ partie du monde — un partage du monde tout à fait raciale et coloniale réduisant le vivant à quatre catégories humaines. En plus d’être animé uniquement par le regard masculin blanc, « les nymphes sont des femmes « qui ne pissent pas » » et ne peuvent jouir car elles n’ont pas de sexe. La confusion entre jouissance et miction avait vraisemblablement atteint son paroxysme de scopophilie et de moquerie vicieuse, à l’époque, avec la représentation de quatre corps asexué aux attributs fem sur un’ fontaine. En effet, « la nymphe, parce qu’elle ne jouit pas, est le fantasme érotique par excellence. Femme idéale, elle n’a pas de clitoris. » Les nymphes de la vidéo 3D de Julien Creuzet ont-elles un clitoris ou ont-elles un con glabre et fermé donc inexistant ? L’artiste a-t-il effacer par inconscience le plaisir de ces nymphes en pratiquant un’ poétique patriarcale dont elles ne sont que « des expressions du fantasme masculin de la sculpture ; une matière malléable que l’homme façonne à l’envi. » ? Il aura pu au moins dans un’ démarche « panafricain », comme iels le prétendent, tout en résistant au modèle patriarcat hétérosexuelle procréateur, donner la parole aux nymphes grâce aux histoires du « kunyaza, autrement dit la stimulation du clitoris et des parties extérieures de la vulve pour favoriser les sécrétions vaginales par l’homme, avec, dans une autre mesure, le gukuna, est un rituel traditionnel d’étirement des petites lèvres de la vulve, qui se pratique entre femmes. Associé au kunyaza, le gukuna vise à accroître le plaisir sexuel de la femme44 » (cf. Léonora Miano et Wiki).

Le mémorable n’est historique ni anecdotique, il dépend de notre volonté sélective de se souvenir. En informatique, on parle de stockage à froid et de stockage à chaud. « Le stockage à froid consiste à archiver les données rarement utilisées dont une entreprise ne pense plus avoir besoin au cours des prochaines années, voire des décennies à venir ». Contrairement au mémoire chaude qui sont et doit être « consultées plus fréquemment et sont généralement stockées sur des supports conçus pour un accès rapide, avec plusieurs connexions et des performances élevées ». Alors, si et seulement si, cette édition de la biennale et les pavillons associés sont mémorables, c’est pour qu’on se souvienne froidement qu’il faut les dépasser. Dans un futur proche, on pourrait s’attendre (voeu) à ce que des intelligences et consciences artistiques acquièrent l’expertise nécessaire pour reconnaître un art honnête et perspicace, tout en veillant à ce que « leurs jugements d’une œuvre d’art ne soient pas affectés par la présence de baratin pseudo-profond.45 »

J’aurai quand même eu le bonheur durant mon séjour de rencontrer un groupe de meuf, Kewya et Yuwey de la Guyane, et Estelle de la Réunion. Mais je regrette de ne pas avoir pris de lunettes de soleil pour me protéger de toute cette derme, ça va finir par me trapper, m’handicaper encore plus, à force. Pour finir, j’ai repris de nuit le chemin de l’airport pour dormir sur un banc avant mon vol à six heure du matin ! 

PAW

PS : J’ai manqué malheureusement, à Venise, l’exposition « When Solidarity Is Not a Metaphor » de la Cité internationale.

  1. «  re-appropriation of fascist sloganism as the title and theme of the Biennale demonstrates an utter naivety of the real effects these words still bear on people’s lives. The choice to use it comes from the perspective of a naively privileged white male curator. » Gareth Harris, Anish Kapoor slams Venice Biennale title « Foreigners Everywhere » for evoking « néo-fascism », 16/04/2024 : https://www.theartnewspaper.com/2024/04/16/anish-kapoor-slams-venice-biennale-title-foreigners-everywhere-for-evoking-nationalist-neo-fascism
  2. La guerre contre les drogues est fondée sur le racisme. Il est temps de décoloniser les politiques des drogues, Ann Fordham, Consortium International sur les Politiques des Drogues (IDPC) en ligne sur : https://idpc.net/fr/news/2020/07/la-guerre-contre-les-drogues-est-fondee-sur-le-racisme-il-est-temps-de-decoloniser-les-politiques-des-drogues
  3. Passage de « mules » depuis la Guyane : les limites du tout-répressif, Mediapart, 11/03/2024, en ligne sur :  https://www.mediapart.fr/journal/france/110324/passage-de-mules-depuis-la-guyane-les-limites-du-tout-repressif?at_medium=custom3&at_campaign=67
  4. « un groupe d’experts sur les personnes d’ascendance africaine mandaté par les Nations Unies a constaté que « la guerre contre les drogues a su fonctionner bien plus efficacement en tant que système de contrôle racial qu’en tant que mécanisme visant à combattre l’usage et le trafic de drogues illicites ». L’application des lois anti-drogue a mené à des incarcérations de masse, des arrestations et des détentions arbitraires, ainsi qu’à un déferlement dévastateur de violences policières qui ont disproportionnellement affecté les personnes racisées à travers le monde. » » in La guerre contre les drogues est fondée sur le racisme, op. cit.
  5. voir. Pierre Bourdieu et Hans Haacke, Libre-échange, 1994
  6. Pinto, L.  (2019) . Pour une sociologie des intellectuels de luxe. Savoir/Agir, N° 47(1), 97-107. https://doi.org/10.3917/sava.047.0097.
  7. Poème de Léon Gontran Damas : « combien de MOI MOI MOI sont morts depuis qu’ils sont venus ce soir »
  8. Pinto, L.  (2019). Pour une sociologie des intellectuels de luxe, op. cit.
  9. Ibid.
  10. Uzel, Jean-Philippe « Caché sous nos yeux. L’art contemporain autochtone sur la scène internationale ». Inter no 122 (2016) : 26–29.
  11. « And above all, with so many artists being presented in Venice for the first time, the Biennale pays a historical debt towards them. It has been decolonized. But of course we can always decolonize further. » Marko Gluhaich, Adriano Pedrosa on Bringing Outsiders in at the Venice Biennale, 12/04/2024 : https://www.frieze.com/article/adriano-pedrosa-venice-biennale-2024-interview
  12. Fanon, F.  (2002) . Racisme et culture. Présence Africaine, N° 165-166(1), 77-84. https://doi.org/10.3917/presa.165.0077.
  13. Baptiste Morizot et Estelle Zhong Mengua, Esthétique de la rencontre : l’énigme de l’art contemporain, Paris : Seuil, 2018.
  14. Durand, G. (2018). Le ré-ensauvagement par l’art : le vieil Indien, les pommes rouges et les Chasseurs-Chamanes-Guerriers. Captures, 3(1). https://doi.org/10.7202/1055833ar
  15. Malcom Ferdinand, Une écologie décoloniale, chapitre 3. « La cale et le négrocène », « Perte de corps, perte de Terre ».
  16. « La scène caribéenne française, entre rêve et réalité », 18/07/2019, disponible sur : https://www.lequotidiendelart.com/articles/15704-la-scène-caribéenne-française-entre-rêve-et-réalité.html
  17. Ibid.
  18. Inauguration du Pavillon français – La Biennale di Venezia 2024, 0’27’’, Youtube, en ligne sur : https://www.youtube.com/watch?v=0G5QT0lf8CA
  19. Mario Kienzler, Daniel Västfjäll, Gustav Tinghög, Individual differences in susceptibility to financial bullshit, Journal of Behavioral and Experimental Finance, Volume 34, 2022 : https://doi.org/10.1016/j.jbef.2022.100655.
  20. Turpin MH, Walker AC, Kara-Yakoubian M, Gabert NN, Fugelsang JA, Stolz JA. Bullshit makes the art grow profounder. Judgment and Decision Making. 2019;14(6):658-670. doi:10.1017/S1930297500005386
  21. « For example, our proposed account predicts that attaching pseudo-profound bullshit titles to representational art would also increase the profundity of such art images, albeit to a lesser degree, as representational art lends itself to more objective assessments of quality and meaning (e.g., the accuracy of portrayal) compared to abstract art which welcomes more subjective interpretations. » Ibid.
  22. « Research examining peoples’ susceptibilities to pseudo-profound bullshit have utilized Frankfurt’s (2005) conception of bullshit as an absence of concern for truth or meaning. Thus, pseudo-profound bullshit is characterized not for its falsity but its fakery; bullshit may be true, false, or meaningless, what makes a claim bullshit is an implied yet artificial attention to truth and meaning. » Ibid. — « Consistent with past work (Reference Pennycook, Cheyne, Barr, Koehler and Fugelsang, Pennycook et al., 2015), participants were instructed that the definition of profound was to be taken as “of deep meaning; of great and broadly inclusive significance” prior to the start of the study. » Ibid.
  23. « We theorize that bullshit can be used effectively as a low-cost strategy to impress others and gain prestige in every domain except where performance is clearly and strictly objective. Maximizing one’s skills and competence in a domain is typically a long and arduous process. However, being able to produce satisfying bullshit that can impress others by presenting one’s self and one’s work as impressive and meaningful may allow an individual to obtain success in a way that requires much less time and effort. » Ibid. — « For example, in artistic endeavors such as music, poetry, or art, technical skills are unlikely to be the sole determiner of success. What is likely to be equally important is the ability to impress others by making one’s artwork appear unique, profound, and meaningful (Reference Miller Miller, 2001). A quick and efficient way to impress others in this manner is with claims that imply, yet do not contain, any specifically interpretable truth or meaning (i.e., with bullshit). Of course, “bullshit” in this context need not carry any negative connotation. If the goal of a piece of art is to inspire the feeling of profoundness in its viewers, whether this feeling originates from the art itself or is created by the viewer is of no consequence. Such situations may be contrasted with circumstances in which truth, rather than pleasure or profoundness, is a primary goal (e.g., science or medicine), where the use of bullshit to gain advantages is antithetical to the primary purpose of the discipline. » Ibid.
  24. « It is just this lack of connection to a concern with truth—this indifference to how things really are—that I regard as the essence of bullshit. » Ibid.
  25. « Many academics (including perhaps an especially high proportion of graduate students) are disposed to produce the unclarifiable unclarity that is bullshit, not because they are aiming at unclarifiable unclarity, but rather because they are aiming at profundity. » Ibid.
  26. Institut français, Présentation du projet de Julien Creuzet pour la Biennale de Venise 2024, 2’10’’, Youtube, en ligne sur : https://www.youtube.com/watch?v=8d-ftS7SiA8
  27. « la jurisprudence est un empirisme » in De Sutter, Laurent.  « Court éloge de la jurisprudence ». Qu’est-ce que la pop’philosophie ? Presses Universitaires de France, 2019. p.51-53. CAIRN.INFO, shs.cairn.info/qu-est-ce-que-la-pop-philosophie–9782130816348-page-51?lang=fr.
  28. Gilles Deleuze et Toni Negri, Contrôle et devenir, revue Futur antérieur, 1990, en ligne sur : http://lesilencequiparle.unblog.fr/2009/03/07/controle-et-devenir-gilles-deleuze-entretien-avec-toni-negri/
  29. Sophie CHASSAT, La complexité, un critique d’une idéologie contemporain, La Fondation pour l’innovation politique, 2023, en ligne sur : https://www.fondapol.org/etude/complexite-critique-dune-ideologie-contemporaine/
  30. Ibid.
  31. Institut français, Présentation du projet de Julien Creuzet pour la Biennale de Venise 2024, op. cit.
  32. Mélange des titres des textes des deux curatrice « Nos mots cyclone » et « Dans le dos des mots, dos à la mer et à l’envers : on t’a écrit le monde » in Catalogue de l’exposition du Pavillon français de la biennale de Venise 2024.
  33. Cindy Sissokho, « Nos mots cyclone » in Catalogue de l’exposition du Pavillon français de la biennale de Venise 2024, Julien Creuzet, artiste et chef d’atelier, 2024, p. 17.
  34. Courier international, Macron à la “reconquête” de l’Afrique : “La francophonie est la langue du panafricanisme”, 21 novembre 2022, en ligne sur : https://www.courrierinternational.com/article/influence-macron-a-la-reconquete-de-l-afrique-la-francophonie-est-la-langue-du-panafricanisme
  35. Punchline de Maïzy dans son morceau Bougé Cho (2024).
  36. voir aussi Andrew Culp, Dark Deleuze, édition divergence, 2019, p. 54.
  37. Sophie CHASSAT, La complexité, op. cit.
  38. Texte tiré du Wikipédia du terme : VUCA
  39. Roman Jakobson, « Linguistique et poétique », in Essais de linguistique générale, 1963.
  40. Suzanne Roussi Césaire, Le grand camouflage, p. 92 (modifié).
  41. En parlant de sa video inspiré des Quatre parties du monde, Julien C. dit : « We can see some emancipation, all the continent is a figure that start to be free and to dance in the air maybe in the ocean »/« Nous pouvons voir une certaine émancipation, tout le continent est une figure qui commence à être libre et à danser dans les airs peut-être dans l’océan », in Julien Creuzet, artist, Pavillon Français, Venice Biennale 2024, April 2024,  0’41sec., par Judith Benhamou Reports, Youtube, en ligne sur : https://www.youtube.com/watch?v=aeEQiu1dgfM
  42. voir. Rinaldo Walcott, The Long Emancipation: Moving toward Black Freedom, Duke university press, 2021.
  43. Catherine Malabou, Le plaisir effacé — Clitoris et pensée, chapitre 3, « Images sans sexe : Boccace, Warburg, Agamben », Rivages, 2020.
  44. Léonora Miano, Le souffle des femmes, Africulture, 22/10/21, en ligne sur : https://africultures.com/leonora-miano-le-souffle-des-femmes/
  45. Turpin MH, Walker AC, Kara-Yakoubian M, Gabert NN, Fugelsang JA, Stolz JA. Bullshit makes the art grow profounder. Judgment and Decision Making. 2019;14(6):658-670. doi:10.1017/S1930297500005386

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