Mois : décembre 2022

Yékri Yékra • la chronique radicale

Comme pour tous projets initiés par le collectif AFRIKADAA, l’espace radiophonique Yékri Yékra se veut tel un hub de recherche où oralité et réception auditive résonnent, questionnent et dialoguent en surpassant les limites diplomatiques. Haut-parlants des sans-voix, crieurs des silences. La voix, respirant et marronnant par ses vibrations, peut éclairer un regard enfermé dans sa pensée et dans sa prison sémantique. La mission est donc de donner la parole aux voix longtemps éclipsées, les faire résonner et trembler. Entre chroniques, pause musicale et performances, Yékri Yékra devient bande passante contée. Le collage sonore d’une radicalité artistique différée où la mémoire collective et l’archivage radical y sont réactivées !

Yékri Yékra • Tèt nèg

Yékri Yékra a oun projé di kolektif AFRIKADAA. Li chonjé atò a oun mayouri di lesprit ki ka pran kò andan oun radyo ki ka bail ounlo palò, kesyon épi dé ou trwa tòtòbyòtò. Ak sa, sa nou vlé sé jambé bordir-yan ka frennen nou driv. Oparlèr pou sé esclav-yan di silans. Antr kronik, lanmizik épi performans, Yékri Yékra ka divini oun kont ké so titim.

Pa şasé pli lwen oun konvwé kadansé ka sonnen konsa !

Yékri Yékra • the radical column

The Yékri Yékra radio space is intended to be a research lab where orality and auditory reception resonate, question and dialogue by surpassing diplomatic limits — as all projects initiated by AFRIKADAA. Speakers of the voiceless, shouters of silences. The voices that breathe can illuminate a look — locked in its thought and in a semantic prison. The mission is therefore to give voice to voices that have long been eclipsed, to make them resonate and quake.

Between chronicles, interludes and performances, Yékri Yékra becomes a [storytelling] tape. The sound collage of a deferred artistic radicality — the collective memory and the radical archiving are reactivated here!

Voici l’histoire des sans-voix contée par les griots du futur :

— Yékri Yékra de Jony Lerond
— Manifeste Révoltes silencieuses par Pascale Obolo et David Démétrius

— À ceux qui nous ont offensé par Alice Dubon
— Afrojazz Protest par Wilfried Nakeu

— Lecture de poèmes issus du recueil Pokoninon d’agneaupimenté par David Démétrius
[mes mythes, Aux Lauriers de Césaire, BotE, 3eme eye]

— Génération 1 et demie par Boulomsouk Svadphaiphane

— Lecture de poèmes issus du recueil de Raymond Charlotte par Paul-Aimé William
[A fleur a gout di san an ba soley a, Bombkapéte, Cayenne, Fanmtyenbe, Konspiration, La déambulation du monde, Liberté pour la Guyane, Mai 81, Pa monté ké ton pat chique, Une goutte de sang au soleil]

— Sé messie kriminèl pa ka joué par Jean-François Boclé
— Chants nocturnes pour les noires Amériques I par Jay [One] Ramier

— Djèli par Sarah Touré
— Chants nocturnes pour les noires Amériques II par Jay [One] Ramier

Des grains de poussières sur la mer ou la curation par parcimonie

Mardi 6 déc. 2022 à 10h52

par David Démétrius

Qu’aurai-je dû attendre d’une nouvelle exposition sur la Caraïbe[s] créolophone à base français, s’intitulant Des grains de poussière sur la mer et se sous-titrant Sculpture contemporaine des Caraïbes françaises et d’Haïti ?

En tant que corps caribéen, je devrais sûrement [je ne sais pas], de façon optimiste, en attendre beaucoup de cette démarche. Plier l’échine et être reconnaissant du travail entrepris, et cela, depuis quatre ans. Mais désolé de commencer ce texte par l’incompréhension et l’exaspération ! Une incompréhension du titre choisi [et gardé, malgré ces fameuses années, de recherche ?, en background et ayant la volonté de faire de cette exposition une itinérance en France Métropolitaine !] qui paraissait beaucoup plus sexy et poétique en anglais Dust Specks on the Sea [et encore si j’enlève de ma tête la référence m’apparaissant immédiatement]. Le texte curatorial ainsi que le discours d’Arden Sherman, curatrice de l’exposition confirma le pire « En 1964, effectuant un voyage d’état en Martinique, Guadeloupe et Guyane française, Charles de Gaulle survole en avion la mer des Caraïbes, et décrit les îles comme autant de « grains de poussière sur la mer » ». Quand nous connaissons la politique coloniale et le positionnement de De Gaulle sur ces territoires, où vouloir en venir en commençant de la sorte une exposition sur les Caraïbes françaises ? Surtout quand l’exposition, et je sous-entends le propos curatorial, ne se positionne aucunement sur la question [mais je reviendrai très vite dessus].

Je reprends le fil de ma pensée – devrais-je entendre par grains de poussières sur la mer la région qu’est celle de la Caraïbe[s] ? de laquelle les artistes-x, ici présentes-x, ainsi que moi- même provenons ? On pourrait me rétorquer l’utilisation de « poussières de terre » selon Édouard Glissant [devant avoir les oreilles sifflant depuis quelques années maintenant et le dos bien large car il, Glissant, est à mon grand bonheur, cité et présent de toutes parts pour le meilleur mais aussi et surtout pour le pire – en vue de justifications à toutes sauces…] mais lisons-le réellement, essayons de comprendre ou alors de déchiffrer sa pensée et faisons-le ensuite apparaitre dans nos citations ! Ce même Glissant reprendra la citation dans son Discours en la déjouant de son contexte initial, « Décrire c’est transformer. […] Entre l’Europe et l’Amérique, je ne vois que des poussières. Attribué à Charles de Gaulle, à l’occasion d’un voyage en Martinique. »* Même si le texte se tente ensuite à être critique cela reste soit détaché et de surface « révélatrice de la perspective surplombante […] une perspective dont les racines plongent dans l’Histoire de la France comme puissance coloniale dans les Antilles » soit farfelu « évoque l’effet mystérieux et presque surnaturel que peut susciter une vue aérienne de l’archipel des Caraïbes ». En ce qui me concerne le titre a été de poussière et doit retourner à la poussière…

Si je dois continuer sur mon incompréhension, attardons-nous cette fois-ci sur la notion de sculptures présente dans le sous-titre et devant être, si ma lecture était bonne de celui-ci, une exposition dont le point de départ et le liant narratif serait ce médium. La question du pourquoi la sculpture ? fut posée à Arden Sherman dont elle répondit être sensible et passionnée depuis de nombreuses années, mais encore ? Elle confirmera, cependant, que la sculpture est peu présente ici mais pouvant être ressentie par le biais d’autres médiums. Encore une fois, si propos curatorial il y avait, je n’aurai pu que lui donner raison et la rejoindre sur ce point mais… celui- ci est à l’état de la sculpture dans cette exposition c’est-à-dire à l’état d’absence ou bien caractérisé par les traces de poussière présentes dans le titre. Où sont donc les Minia Biabiany ?

Sandra Dessalines ? ou encore Carlos Adaoudé et l’école bushinenge ? Une sculpture[S] bien trop [marronne ? caribéenne ? conceptuelle et spirituelle ?] incompréhensible pour celleux ne voulant et surtout ne pouvant réellement la décrypter. Des grains de poussières sur la mer équivaut donc à non pas se retrouver face à un travail de recherche réflexif autour ou à partir de la sculpture caribéenne mais face à un moteur de recherche dans lequel y ont été placé, dans un fourre-tout, les mots clés Caraïbes-françaises-artistes-Haïti tout en lésinant sur la notion de sculpture.

Comme prédit plus haut, l’incompréhension s’accompagne d’une certaine forme d’irritation. Celle-ci me venant de l’irrespect à l’encontre de certaines œuvres et donc des corps-artistes-x auxquelles elles renvoient. Je pense aux œuvres Écume de ma mère et Les Tiags de mon Oncle de Jérémie Paul, œuvres sentimentales pour l’artiste, au regard du discours plastique et esthétique à l’estime des figures que peuvent être celles de la famille. Restons un petit instant sur Les Tiags de mon Oncle, travail ouvert à la considération du détail et à la douceur de béatilles. Comment ne pas se sentir froisser face à la défaveur de l’attitude curatoriale que de placer cette pièce en hauteur [et quand je parle d’hauteur, traduire cela en un point culminant – demandant une gymnastique oculaire pour appréhender au pire un détail, au mieux un dérisoire îlot… de santiags]. Un travail pouvant quasiment passer inaperçu si l’idée ne nous venait point de lever les yeux dans ce sas, saisit dès notre arrivée par ces grands formats, Untitled, de Julie Bessard. C’est toujours dans ce sas – à interpréter d’avoir été un défi et une faille à investir convenablement – que se situe un second travail irrespectueusement exposé, Key Escape de Ronald Cyrille. Cette embarcation, de nouveau placée en hauteur, ayant à son bord toute l’Histoire de son propos, prend ici le large et foukan dans les hauteurs du malheureux oubli. Je pourrai de même relever et proposer une discussion à partir de Les amulettes et les trophées – l’huître de Gaëlle Choisne dont la poésie et la force du message, exprimées par la figure de l’huître, sont emportées par la marée du dispositif scénographique et se voient échouées telles une huître seule sur ce mur blanc.

Malgré tout cela, j’aimerai apporter une note positive à cette exposition car il y en a bien une, qui est celle que les artistes exposées-x possèdent de réels univers esthétiques manifestant la fascinante pluralité du génie caribéen et de ce que veut dire vivre plastiquement la Caraïbe[s] et son/ses corps. En dépit d’une direction précise, forte et d’une proposition discursive riche [curatorialement parlant], les artistes ont réussi à exister dans ce chaos – ne s’apparentant aucunement à celui à l’origine de la création de toute chose en contexte caribéen mais plutôt à ce dont on sait déjà –, et pour celleux présentes à apposer un discours qui était jusqu’ici absent.

Pour répondre à ma question de départ, je n’attendais donc rien d’une exposition sur la Caraïbe[s] portée par des collègues-x non-caribéennes-x. On pourra me faire porter le chapeau du discours communautariste mais s’il faut l’être – communautariste – pour avoir de la qualité quand une exposition porte sur la Caraïbe[s] ; je suis prêt à en payer le prix.

C’est pour cela que je prends la décision, exprimé par ce geste radical et je m’en excuse d’avance auprès des artistes, de ne pas accompagner ce texte de visuels. Un respect que je porte au travail et aux personnalités des artistes – dont le travail n’a aucunement été respecté – et symétriquement exprimer le rejet d’une opération curatoriale défectueuse [pour ne pas dire néfaste pour l’esthétique caribéenne].

Je ne peux que vous dire à très vite… mais en attendant,

« Écoutes dans le Vent
Le Buisson en sanglots,
C’est le Souffle des Ancêtres. »**

Merci à Raphaël Barontini, Julie Bessard, Jean-François Boclé, Alex Burke, Vladimir Cybil Charlier, Gaëlle Choisne, Ronald Cyrille Aka B.Bird, Jean-Ulrick Désert, Kenny Dunkan, Édouard Duval-Carrié, Adler Guerrier, Jean-Marc Hunt, Louisa Marajo, Najja Moon, Ricardo Ozier-Lafontaine, Marielle Plaisir, Michelle Lisa Polissaint, Tabita Rézaire, Yoan Sorin, Jude Papaloko Thegenus pour votre travail !

Des grains de poussière sur la mer. Sculpture contemporaine des Caraïbes françaises et d’Haïti,

Ferme du Buisson, Noisiel du 15 oct. 2022 au 29 janv 2023

* Je me dois de te remercier, Yana Langston, pour le rappel de cette citation de Glissant. Je suis conscient que ce texte contient des lacunes [cf. un échange récent que l’on a eu ensemble] mais c’est aussi un moyen d’accueillir des critiques [sûrement les tiennes ?] à cette propre critique d’exposition. Bien à toi !

**Birago Diop, Souffles

NAKOMITUNAKA

Le 4 déc. 2022 — à 20h07

Par PAW et David Démétrius

UNE CRITIQUE DE L’EXPOSITION « SHÉHÉRAZADE, LA NUIT » AU PALAIS DE TOKYO FAIT EN MOINS D’1 SEMAINE PAR DEUX MEMBRES D’AFRIKADAA, LE MAXIMUM QUE L’ON PUISSE PROPOSER QUAND A ON RIEN À FAIRE. VRAIMENT. ILS PARLENT DE SALOPERIES, DE JOIES, DE TRAHISONS, D’ECHOES CARAÏBES LORSQUE L’ON TOURNE LE DOS À L’EN-NUIT. ET ILS SE MARRENT BIEN.

P.S : le serein OU soukou est cette passerelle en fin de journée, précédant l’en-nuit où les monstres sortent faire malédiction • dans la mythologie kamite-antillo-guyanaise ! 

Retrouver la critique en version traitement de texte sur ce lien.

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