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Biennale de Venise 2024 : baratin pseudo-profond (B2P) et un max de confusion sophistiquée

publié le 10/01/2025 par PAW (Paul-Aimé William)

Mais que fait la critique d’art internationale ?!&* Je crus qu’un éclair de sagacité traverserait l’esprit d’un•e critique or Que nenni. La seule salve pertinente sur le fond de cette Biennale de Venise a été tirée par un artiste, Anish Kapoor. Il alertait sur la « réappropriation de slogans fascistes comme titre et thème de la Biennale démontrant une naïveté totale quant aux effets réels que ces mots continuent d’avoir sur la vie des gens. Le choix de les utiliser découle, selon Kapoor, de la perspective d’un curateur blanc naïvement privilégié.1» Et ce n’est pas l’unique récupération sophistiquée !!! que fera, le brésilien Adriano Pedrosa en tant que directeur de la 60e édition de la biennale d’art contemporain.

À mon corps défendant, j’ai été invité dans le cadre d’une délégation des Antilles-Guyane pour visiter la biennale et le pavillon français occupé cette année par l’artiste Julien Creuzet et au terme de cette invitation, écrire un compte-rendu sur l’événement. Nous déviions être deux guyanais pour ce voyage mais Mirtho a refusé d’y participer Une délégation pour faire quoi ? À quoi bon aller à Venise ? Cela changera-t-il notre existence de personnes dominées ? C’est qui Julien Creuzet ? me dit-il. Si c’est pour que les outre-mers gagnent en reconnaissance, j’y vais pas ! En plus, je devrais être honoré qu’ils m’invitent, mo pa kalé !

Bien qu’ils nous ont fait miroiter, jusqu’à la dernière minute, une invitation — qui ne fut pas concrétiser — durant les journées professionnelle, j’ai pris mes billets à mes frais. À ma première tentative de sortir de la Guyane, j’ai été empêché de prendre l’avion par l’Ofast, car je fus suspecté de transporter de la cocaïne comme nombre de jeunes, en grande partie précaire, sur le territoire guyanais.Une guerre contre les drogues2 qui pénalise essentiellement les personnes racisé•es et pauvres par une discrimination au faciès systématique3, tout en humiliant leur velléité de mobilité et à d’émancipation hors du complexe de détention coloniale4. Donc j’ai dû passer un test urinaire obligatoire qui s’est éternisé et s’est enfin révélé négatif à la coke et positif à la marie-jeanne. À ma deuxième tentative, deux jours plus tard, j’ai tout de même été arrêté or j’ai pu avoir, par magie, une autorisation de sortie du territoire, à temps. Mais avec cette aventure dantesque, j’ai perdu 1 jour sur mon programme pro et ai dû dormi dans l’airport Marco Polo.  

En tout cas, je constate que les institutions françaises en Guyane, après avoir colonisé le territoire, ne se sentent guère étrangère. Ils sont bien chez eux et le prouvent.

Tous les deux ans, le marronnier repousse : les pays semi-coloniaux n’ont pas leur propre pavillon, seules les pays terroristes ont en un dans l’enceinte des Giardini. De plus, il n’est jamais question, dans ces analyses, de solutions telles qu’une taxe d’habitation des propriétaires pour réduire les inégalités de patrimoine. Ces impôts seraient redistribués aux États qui ne bénéficient pas de domaine propre au lieu d’être contraint de recourir au mécénat privé pour exister5. Cela serait de l’ordre d’une diplomatie culturelle internationaliste. Ou bien, on pourrait simplement exiger l’expropriation temporaire ou définitive des pavillons historiques et ensuite aviser au nouveau mode de collectivisation. Or l’imagination de nouvelle exigence est la dernière des préoccupations du curateur de luxe6 de cette biennale international qui ne fait, de toute façon, pas sienne la maxime amplement plus désirable :  « Intelligence and Consciousness are Everywhere. » 

En surplus, Adriano Pedrosa est un menteur, a big snicth. Le titre de son commissariat d’exposition « Stranieri Ovunque – Foreigners Everywhere » est un mensonge. Au nom de cette vision, il nie à demi-mot tout rapport de force mondiale et camoufle les contrats d’aliénation favorable à certains groupes racialisés, genrés, classés. Nul besoin de contourner une ligne de couleur ni de maintenir un conflit structurant contre un ennemi aliénant (c’est-à-dire qui nous rend étrangers à nous-même et  entraîne finalement à une mort prématurée) puisque « les étrangers sont partout et surtout en nous ». D’ailleurs, des espèces de xénomorphes franchiront des frontières contrôlées tandis que d’autres Non. Bizarre ! Bizarre ! La métaphore culturaliste de Pedrosa n’a pas dissous les privilèges liés à l’identité nationale… 

Quoi qu’il en soit, je ne suis pas un fucking étranger, je suis l’un des « MOI MOI MOI morts depuis qu’ils sont venus7 » (cf. Damas). Et j’espère (vœu pieux) ne plus croiser les facehuggger de Pedrosa qui nous implantent des parasites dans la cervelle. Par ailleurs, ce curateur est aucunement étranger à la plantation culturelle. En tant que contre-maître, il répond, à juste titre, au demande du marché de l’art blanc en embellissant la biennale de concepts mous et radicool qui ne menacent point la structure économique et scopique de l’évènement qui fait partie des dignes héritiers des expositions coloniales et universelles. À la 56e Biennale de Venise, le curateur de cette édition, Okwui Enwezor avait proposé comme coquetterie la lecture des trois volumes du Capital de Karl Marx sous la forme d’un oratorio en continu tout le long des sept mois de la manifestation internationale. Il aurait été plus significatif qu’il nous dévoile le montant de son salaire à la direction de cette entreprise — 400 000 $ pour 2 ans, sans les fees, ce n’est pas rien. Un geste valable tout autant pour ces prédécesseur•es et successeur•ices au lieu de feindre une lutte anticapitaliste au coeur d’une machine alimentée par la spéculation financière terroriste et sans frontière. On peut douter que les initiatives d’Enwezo aient réellement fait basculer en faveur des travailleur•euses de l’art, le mode production capitaliste ! Jamais encore une édition sans présence nationale n’a été proposé, où chaque pavillon étatique serait réquisitionné pour sécréter tout autre chose qu’un service de soft power.

En fin d’après-midi, j’ai rejoint DVD pour visiter quelques expositions hors des jardins. Il se faisait tard et la faim nous guettait, soudain, DVD se dirige vers un restaurant à l’intersection de calli. Surpris, je le suis du regard, sans y entrer. Le restaurateur lui dit qu’il n’a pas de couvert, en fait, pas de couvert pour lui. On se regarde. Racisme ordinaire. Tu croyais quoi ! Ah, ce gars me tuera de rire nerveux. On vitupérait tout en parlant de notre prochain événement de la soirée, le récital de piano « Devonté Hynes plays Julius Eastman » au Palazzo Grassi (Collection Pinault). Puis on remarqua au-dessus du resto, la bannière : « + RESIDENTI, – TURISTI ». CQFD : la réalité matérielle confonds tjrs le mensonge, cette oriflamme résonnait selon moi comme un’ réponse à l’intitulé de la biennale.

Le fétichisme du curateur de luxe pour la terminologie de l’ailleurs tel que l’altérité, la marginalité et le pluriel est avant tout une manière de couper l’herbe sous les pieds de ces concurrent•es du monde l’art les plus concerné•es et « présumé•es enfermé•es dans des identités closes8 ». Cette stratégie symbolique revêt au rastaquouère blanc une sorte de « « radicalité » désignant essentiellement une sorte de conversion intérieure qui permet d’accéder à des expériences inédites de la pensée et pouvant s’accompagner d’une abstention distanciée envers les affaires de la Cité, envisagées seulement à travers certaines causes aux parfums d’« altérité » (diversité, minorités, subalternes)9. » Le focus de la Biennale sur les peuples autochtones est un exemple criant. 

Rien d’exceptionnelle ni de révolutionnaire, depuis une vingtaine d’année, l’art contemporain autochtone, bien que largement sous-représenté, est présent sur la scène internationale telle que récemment à la Biennale d’art contemporain autochtone (BACA) ou bien ces derniers temps à Venise : 

« Ce fut entre autres le cas pour le Canada en 1995 avec Edward Poitras et en 2005 avec Rebecca Belmore ; de l’Australie en 1997 avec Emily Kame Kngwarreye, Judy Watson et Yvonne Koolmatrie et en 2009 avec Vernon Ah Kee ; et de la Nouvelle-Zélande en 2011 avec Michael Parekowhai. La 56e édition de la Biennale de Venise, en 2015, a une nouvelle fois ouvert grand ses portes à la diversité de l’art autochtone international en faisant la part belle aux productions en provenance du Pacifique avec, entre autres, la présence à l’Arsenale du choréographe vedette Lemi Ponifasio, originaire des Îles Samoa, qui avait conçu pour l’occasion Lagi Moana, un espace de rencontres et de performances. Du côté de l’Australie, l’art contemporain aborigène était représenté dans l’exposition internationale à la fois par une artiste appartenant à une communauté du désert, Emily Kame Kngwarreye, et par un artiste vivant en milieu urbain, Daniel Boyd. Le Pavillon australien et l’exposition collatérale Country exposaient également des œuvres produites en collaboration avec des artistes aborigènes. L’art contemporain autochtone des Amériques était aussi présent dans la lagune avec deux expositions indépendantes : Venice: Objects, Work and Tourism du Cherokee Jimmie Durham au Palazzo de la Fondazione Querini Stampalia et Ga ni tha (avec Marcella Ernest, Maria Hupfield et Keli Mashburn) au Campo dei Gesuiti. Une exposition de facture plus ethnographique était également présentée dans le pavillon de l’Institut italien d’Amérique latine, Voces Indígenas, qui restituait à travers une quinzaine de haut-parleurs les principales langues autochtones d’Amérique latine. Enfin, l’Afrique n’avait pas été oubliée puisque Wangechi Mutu, une Kikuyu (Kenya) qui vit aujourd’hui à New York, était une des rares artistes à avoir une salle entière du Pavillon international dans laquelle elle exposait une installation vidéo, une installation sculpturale et un tableau-collage. D’autres biennales dans le monde se sont également fait remarquer ces dernières années pour avoir inclus une forte présence autochtone dans leur programmation, au premier rang desquelles la Biennale de Sydney dont l’édition 2010 comprenait plusieurs artistes autochtones du Canada (Kent Monkman, Annie Pootoogook, Dana Claxton…) et celle de 2012 qui avait comme codirecteur artistique le Cri Gerald McMaster. À côté de cette présence autochtone de plus en plus marquée dans les grandes rencontres internationales, on assiste à la multiplication récente d’expositions consacrées exclusivement à l’art contemporain autochtone international. Celles-ci peuvent prendre la forme d’un dialogue entre artistes d’un même continent comme ce fut le cas avec Remix: New Modernities in a Post-Indian World en 2007-2008, qui rassemblait des artistes autochtones du Canada, des États-Unis et du Mexique ou, plus récemment, avec la nouvelle biennale de Santa Fe, SITElines.2014: Unsettled Landscapes, qui comprenait également quelques artistes non autochtones. Mais les plus spectaculaires de ces expositions sont sans conteste celles qui incluent des artistes autochtones du monde entier comme Close Encounters: The Next 500 Years en 2011 à Winnipeg, avec 30 artistes des Amériques, du Pacifique et d’Europe, ou Sakahàn : art indigène international en 2013 au Musée national des beaux- arts d’Ottawa, qui présentait pas moins de 150 œuvres de 80 artistes autochtones issus de 16 pays différents. Cette dernière exposition, première édition d’un rendez-vous quinquennal, a marqué un changement majeur dans la diffusion de l’art autochtone pour plusieurs raisons. Elle montrait d’abord, pour la première fois et à une échelle encore jamais atteinte, que l’art contemporain autochtone est bien une réalité planétaire. Qu’ils proviennent des Amériques, d’Europe, d’Asie, d’Afrique ou d’Océanie, ces artistes partagent une même communauté de destin : celle des peuples qui sont devenus minoritaires sur leur territoire ancestral et qui se battent aujourd’hui pour la reconnaissance de leurs droits et la survie de leur culture. La deuxième raison tenait à la qualité artistique des œuvres réunies par les commissaires et le groupe d’experts internationaux qui les avait conseillés.10 » 

Adriano Pedrosa prétend aussi qu’il aurait décolonisé la Biennale de Venise : « Et surtout, avec tant d’artistes présentés à Venise pour la première fois, la Biennale s’acquitte d’une dette historique envers eux. Elle a été décolonisée. Mais bien sûr, nous pouvons toujours décoloniser davantage.11 » 

Oh karaï ! 

Ce qu’il ne faut pas entendre. R.A.S, dans le monde de l’art blanc, il n’y plus rien à abolir. Ou peut-être que si. Comment peut-on décoloniser encore plus lorsque que l’on assure que ça été décolonisé ? Ce curateur joue le jeu de la suprématie blanche en créant le maximum de confusion sophistiqué (cf. Nelly Fuller). Ainsi selon lui, en servant de tremplin à des artistes marginalisé•es par le monde de l’art suprémaciste blanc, la Biennale de Venise pourrait prétendre s’être acquitté d’une dette historique envers eux. Cette illusion trahit la posture paternaliste coloniale de Pedrosa car il n’a jamais été fait mention de la part de ces artistes invité•es d’une demande de remboursement d’aucune sorte de dette, aucune. De plus, soit dit en passant, ce soi-disant solde ne signifie point l’interruption du processus de réparation ou de justice — dans tous les secteurs d’activité, la culture et l’art compris — liée à la Colonisation et au Maafa (atrocités et asservissements des africains et de diasporas africaines à travers le monde). J’oserai même dire que cette dette est insolvable et qu’il faudrait l’entretenir, la travailler, la rouler ad vitam negro infinitum.

L’exposition international à l’Arsenal et au Gardini se parcourt comme un grand catalogue ouvert donc mieux vaut acheter le catalogue au format papier au lieu de tomber dans le panneau comme des rats et se farcir des images vite oubliées. Le programme Nucleo Storico qui regroupe le travail d’artistes non-européen•ne et d’immigré•es italien•nes au 20e siècle est barbant. On dirait qu’un stagiaire a fait le récolement de toutes les pièces possibles sur le sujet en exploitant tous les data disponibles dans les collections à travers le monde (catalogues, articles, sites internet, inventaires etc.) Ce qui mène inévitablement à un accrochage médiocre des œuvres. Une gestion de marchandises qui aurait pu être dissimulée par un geste curatorial mieux réfléchi. 

Le projet de la biennale, Nucleo Contemporaneo, qui rassemble les artistes queer, outsider et autochtones nous confirme que le système de l’art contemporain a bel et bien digéré ces arts. « On devine, dans cette démarche, une volonté d’objectiver, d’encapsuler, d’emprisonner, d’enkyster12 » disait Frantz Fanon du souci affirmé des dominants de respecter les cultures marginalisées. Dans leur livre sur l’esthétique de la rencontre, les auteur•ices Baptiste Morizot et Estelle Zhong Mengua entendent par « digérer une œuvre : c’est-à-dire l’instrumentaliser pour ses propres besoins émotionnels et existentiels préformés, préexistants.13 » Sans réduire la multitude des résistances des artistes invités, ces derniers intègrent, bon an mal an, la typologie proposée par le philosophe mohawk, Taiaiake Alfred, situant les figures d’autochtones dans le domaine de l’art. Son analyse peut être remodelée pour évoquer les artistes queer ou outsider.

« « le vieil Indien » renvoie à la figure de l’artiste soumis. Aujourd’hui, plusieurs artistes autochtones ont rejoint l’ensemble des artistes pour demander des programmes de subventions aux paliers de gouvernement et figurer comme « Indien de service » dans les commémorations et dans l’industrie touristique. Ensuite viennent « les pommes rouges ». Comme la peau du fruit, sous l’apparat et les discours, la chair est blanche. Ce deuxième type d’artistes collabore et adhère aux valeurs et modes du système dominant. C’est le collaborateur qui parle le langage des blancs. La puissance symbolique du stéréotype, de l’Indien inventé, est leur caution. Comme pour le premier type, l’artiste figure dans tous les spectacles produits pour les touristes, principalement. Le troisième type, « le guerrier mystique », est de loin le plus intéressant. Il se dédouble : c’est le résistant par l’éloignement, par la politique ou par ses œuvres. C’est, quelque part, le « sauvage » qui a survécu et qui dépend de la sauvegarde de ses conditions d’existence traditionnelles. C’est aussi l’artisan, le conteur et le joueur de tambour. […] C’est encore celui, urbain, qui s’est ré-ensauvagé à partir des savoirs confisqués et réinterprétés par les Blancs : il est métissé à plusieurs égards. Il revient solidaire dans ses territoires et est guerrier dans ceux de l’autre, chamane pour les siens et visionnaire pour l’humanité. Ce sont celles et ceux que j’appelle les nouveaux Chasseurs-Chamanes-Guerriers par l’art.14 »

Ces typologies associée à l’analyse de la digestion ou l’indigestion d’oeuvres exposées impliquent soit de « fausse rencontre » (avec les vieux et les pommes rouges), soit la « non-rencontre » (d’avec les guerrier•es séparatistes). Ces modalités de formes et de réception désorientées dans le monde l’art contemporain, nécessite d’être réinventé en de nouvelles praxis constructives transformant les structures de la plantation spectaculaire (musée, exposition, foire, performance et biennale) en créant des éléments de désirs évinçant tout cadre digestive. Cependant, nous avons aussi besoin d’objet émotionnel de subsistance car nous ne pouvons pas rester cloîtrer dans un ciel intellectuel excluant des formes populaires. 

La prestation des différents pavillons nationaux est homogène. Je ne les ai pas tous fait or je n’ai pas non plus eu écho d’un must-see que je n’aurais pas survolé. Cette année, le pavillon indien n’est pas présent. Un espace dédié uniquement au travail d’un•e artiste autochtone dans cette État aurait été plaisant et informative puisqu’iels sont globalement invisibilisées. Sans surprise, le palazzo belge est une redite du programme de Vincent Meessen en 2015 qui avait cédé son espace à des créateurs africains parmi d’autres. Ai-je loupé quelque chose ? Je ne suis pas rendu au pavillon portugais. Intitulé « Greenhouse », le projet basé sur le « jardin créole » ne m’a pas convaincu puisque la réalité politique de ce moyen de subsistance réside dans le fait que « face à l’obligation de « faire nourrir » leurs esclaves, les maîtres ont choisi d’allouer à ces derniers des lopins de terre afin qu’ils puissent cultiver leur propre nourriture. En ayant l’autorisation de cultiver pour eux-mêmes ces espaces, les esclaves assumèrent leur première et seule responsabilité politique en rapport avec la terre des colonies. […] Cette responsabilité-là ne remet pas en cause l’organisation structurelle du monde colonial. Elle est parcellaire et subordonnée à la non-responsabilité globale de la gestion de la terre et de l’économie15. » 

En se distinguant nettement, le padiglione britannique était vraiment agréable et investit consciencieusement par l’artiste anglo-ghanéen John Akomfrah. Cela mériterait un’ analyse plus approfondie et cela, au risque d’être déçu au final par l’accumulation mollassonne (« multi-layered complexity ») de la proposition. La représentation du Canada par l’artiste Kapwani Kiwanga restitue de manière étincelante la dimension globale des petites perles de verre de l’île de Murano appelées « conterie » qui étaient autrefois utilisées comme pacotille (monnaie et objets d’échange) à travers le monde. Parmi les plus constructives, le pavillon du Darnemak est consacré à l’identité autochtone et à la mémoire du colonialisme à partir d’un ensemble de projet photographique d’Innutuq Storch, un jeune photographe originaire de  “Kalaallit Nunaat” (nom indigène pour le Groenland).

En changeant de perspective, Pascale m’avait dit lorsque je l’avais croisé dans les calli de la Sérénissime qu’elle allait écrire un texte sur l’hypocrisie des pavillons nationaux qui ont choisi comme représentant•e des artistes issu•es de minorité qu’ils méprisent et maltraitent à l’intérieur de leur état. LOL. N’y a-t-il pas d’autochtone celte en Belgique ? Et la France millénaire aurait pu sélectionner un artiste breton ! Ou bien, le terme autochtone sert-il de code pour ne désigner que les non-blancs, ceux hors de la blanchité ? 

Les membres du jury du Pavillon français qui ont choisi Julien Creuzet pour représenter la France à la 60e Biennale di Venezia sont des incapables ! Manquant de conscience historique et d’imagination, les institutions françaises sont toujours à la ramasse de plusieurs années sur les anglophones du nord. Actuellement, La France accueille pour la première fois le travail d’un artiste afrodescendant dans son palais vénitien, depuis longtemps devancé par les États-unies et le Royaume-Uni, malgré une présence afro-antillaise remarquable en Italie avec Guillon Lethière, ancien directeur de l’Académie de France à Rome (1807-1816). On peut maintenant subodorer que les prochain•es artistes représentant•s la France seront immanquablement une femme noire (suivant les représentations précédentes des UK et USA) ou soit une personne autochtone, mais pas de sitôt pour la Guyane ni pour les semi-colonies françaises dans le Pacifique (suivant la représentation de Jeffrey Gibson pour les Etats-Unis). L’idée que n’ont pas encore songé les juré•es français est de sélectionner un collectif d’artistes ! Et qui de plus légitime de faire trembler les murs de cette vielle pierre qu’AFRIKADAA ! Au final, j’aurais préféré qu’il choisisse l’ancienneté au lieu qu’un jeunot. Le groupe Fwomajé aurait pu faire l’affaire même si je doute qu’il ait accepté en raison de leur dédain du monde de l’art contemporain et de la France, enfin, j’y crois.

Revenant d’abord sur la phrase de Julien Creuzet en 2019 parlant du pavillon indépendant de la Guadeloupe à la Biennale de Venise : « Si c’est officieux ; c’est anecdotique.16 » déclarait l’actuel représentant du pavillon français. Il estimait aussi qu’un « artiste français c’est un artiste français — avec ses particularités17». Ce qui me fait dire que les mots de Rachida Dati, ministre de la culture lors du vernissage de son show à Venise, le désignant comme « la culture française à son meilleur18» ne l’ont pas contrarié ni fait grincer les dents. Pour l’Etat colonial, les particularités d’ un artiste français n’auront jamais la même valeur que la nationalité française, et le prouve : i pa ni nasyon matinik isi-dan. 

Dès ma première rencontre avec Julien Creuzet, je sus qu’il se retrouverait au pavillon français. À cette époque, j’étais stagiaire à l’Institut français de Paris en charge du pavillon français donc bien placé pour évoluer son éventuel nomination. Ma chargée de stage m’avait demandé entre autres de lui faire personnellement des dossiers sur les décoloniaux ; ils m’ont pris pour un imbécile, jamais. C’était un test mais je ne veux pas être un espion à leur solde. En plus, je scanne vite et ai l’oeil vif. 

Les phrases de Julien Creuzet prononcées quelques années plus tard m’ont donné confirmation qu’il lorgnait sur cette reconnaissance nationale et internationale, comme bon nombre artiste, somme toute. Mais il ne s’arrêtera pas là, il sera bientôt membre de l’Académie de beaux-arts, avec son sabre rouillé, le chemin est tout tracé. J’avais trouvé tout de même arrogant de considérer anecdotique* l’initiative — que je ne défends pas, non plus — du pavillon guadeloupéen, comme s’il saurait créer un moment historique* durant la Biennale vénitienne !? Voilà ce que j’essaierai d’observer : sa participation relève-t-il d’un moment mémorable* ? J’en reste perplexe.

Pour ne pas nous mettre dans l’embarras dans quelques décennies lorsque des jeunes nous demanderont des comptes sur la prestation globalement décevante de l’ensemble des expositions de la moitié des années 2020 présentant des artistes non-blancs, je tacherais de conduire une critique des plus implacable et précise sur ce bail non-renouvelable remis au plasticien martiniquais — une première dans un secteur institutionnelle dont la sélection et la garantie restent tjrs discriminatoires. Ils ne vont quand même pas investir un•e artiste dont le travail parle clairement d’indépendance par exemple. Et oui, cela existe. Or par cooptation, ils vont récompenser un•e artiste qui maintient un flou artistique, ni pour ni contre ni rien. Et cela plaît. Il y a tout un public de sousè (qu’on peut traduire par snitch) qui apprécie ou plutôt suivent sans comprendre le consensus totalement fabriqué pour le marché de l’art blanc. Certains de ces sousè auront l’honnêteté d’avouer leur incompréhension de ce travail plastique, d’autres attendrons qu’un•e interlocuteur•ice leur souffle que C’est abscons pour enfin se jeter tête la première dans une critique acerbe. Au final, dans les deux cas, iels n’arrivent pas à clarifier le sens de ce qu’iels ont lu, traversé, entendu, vu ou croisé.

L’exposition dont le titre — tout en longueur, Attila cataracte ta source aux pieds des pitons verts finira dans la grande mer gouffre bleu nous nous noyâmes dans les larmes marées de la lune — est l’expression par excellence du « baratin pseudo-profond » (B2P). 

Ce concept développé en 2022 dans un article en science économique19 a conduit une équipe de chercheurs à étudier le B2P appliqué au monde de l’art au cours d’une recherche intitulée « Bullshit makes the art grow profounder20 » publié par la Cambridge University Press. L’étude des scientifiques a montré que ce sont les titres en baratin pseudo-profond — tel que, par exemple « Evolving Model of Dreams » ou bien dans notre cas, ceux créer par Julien Creuzet — « qui, spécifiquement, améliorent la profondeur de l’art abstrait, par opposition à tous les autres titres ». Les savants suggèrent aussi que cette forme de baratin (bullshit) peut être appliquée à des domaines très variés comme l’art représentatif ou l’art contemporain21. Par bullshit, l’étude désigne « une absence d’attention portée à la vérité ou au sens » et tandis que par profondeur, iels entendent «une signification profonde ou une signification importante et largement inclusive». Ce qui revient à définir, selon elleux, le baratin pseudo-profond par ce qui se distingue « non pas par son mensonge, mais par sa supercherie ; le bullshit peut être vrai, faux ou dépourvu de sens, ce qui fait d’un discours du bullshit, c’est une attention implicite mais artificielle à la vérité et au sens.22 » 

Les résultats scientifiques ont permis au groupe de recherche de créer une théorie qui nous est dorénavant nécessaire pour saisir les esthétiques déterminantes du monde de l’art contemporain. Il est ainsi formulé « que le bullshit peut être utilisé efficacement comme une stratégie peu coûteuse pour impressionner les autres et gagner du prestige dans tous les domaines, sauf ceux où la performance est clairement et strictement objective. Maximiser ses compétences et son expertise dans un domaine est généralement un processus long et ardu. Cependant, la capacité à produire du bullshit satisfaisant, capable d’impressionner les autres en présentant sa personne et son travail comme impressionnants et significatifs, peut permettre à un individu d’obtenir du succès en demandant beaucoup moins de temps et d’efforts. […] Par exemple, dans des domaines artistiques tels que la musique, la poésie ou l’art, les compétences techniques ne sont probablement pas le seul facteur déterminant du succès. Ce qui est probablement tout aussi important, c’est la capacité à impressionner les autres en faisant en sorte que son œuvre apparaisse unique, profonde et significative (cf. Miller Miller, 2001). Une manière rapide et efficace d’impressionner les autres de cette manière est d’utiliser des affirmations qui impliquent, sans contenir de vérité ou de signification spécifiquement interprétable (c’est-à-dire du bullshit). Bien sûr, le terme “bullshit” dans ce contexte ne doit pas nécessairement porter une connotation négative. Si le but d’une œuvre d’art est d’inspirer un sentiment de profondeur chez les spectateurs, que ce sentiment provienne de l’art lui-même ou soit créé par le spectateur, cela n’a aucune importance. De telles situations peuvent être mises en contraste avec des circonstances où la vérité, plutôt que le plaisir ou la profondeur, est l’objectif principal (par exemple, la science ou la médecine), où l’utilisation du bullshit pour obtenir des avantages est contraire à l’objectif fondamental de la discipline.23 »

Pour faire plus simple, les poèmes en baratin pseudo-profond correspondants aux titres et monodies de Julien Creuzet manipulent à peu de frais la réception de son oeuvre en charmant et réduisant nos facultés cognitives à former une impression régulatrice des dimensions inhérentes à une oeuvre d’art. 

Un’ poésie sans aucune insubordination. 

Un chapelet de litanies composé de mots brumeux. 

Et un sabre pour le jardinage.

En philosophie, une seconde variété du B2P a été pensée par Gerald Cohen à partir de l’analyse pionnière de Harry Frankfurt qui considérait le baratin comme une « indifférence à la vérité24». Cette variété a été nommée « opacité inclarifiable » (unclarifiable unclarity), elle se caractérise par l’impossibilité de clarifier un baratin pseudo-profond « non pas parce qu’ils visent une opacité inclarifiable, mais plutôt parce qu’ils visent la profondeur.25 » Le rejet de tout énoncé lucide ou clarifiable (c’est-à-dire rendu non-profond) est jugé nécessaire pour trouver de la profondeur. Être inclarifiable permet ainsi de confisquer le sens et de rendre spécifiquement difficile la démonstration de l’absence de profondeur dans un B2P.

Bon nombre des jeunes artistes, critiques, curateur•ices minoritaires s’adonnent à ces formes d’« opacité inclarifiable » qui se trouvent être inoffensives et prédisent à tout projet radical une obsolescence programmée qui ne déplait pas au système de l’art contemporain. Le concept mobilisateur de « droit à l’opacité26 » utilisé par Julien Creuzet pour décrire l’orientation du pavillon français n’échappe pas à cette quête de profondeur. Ce droit-là reste timide et se fera désirer longtemps avant de s’engouffrer dans un épais atermoiement dû aux conflits inégalitaires incessants. Dans un’ situation d’acculturation d’une langue maternelle par exemple, le colon reconnaît l’existence de l’opacité du colonisé tandis que le colonisé constate la perte de cette opacité qui demeure inclarifiable pour les deux parties. Il n’existe pas de jurisprudence empirique27 de ce droit-là donc son application sera tjrs soumise à la spéculation selon les contextes. Au contraire, une jurisprudence fait « passer du droit à la politique28 », elle régule l’historique et le spatial selon une rotation culturale.

En reprenant, l’analyse de la philosophe Sophie Chassat sur « la complexité, un critique d’une idéologie contemporain », je considère la profondeur comme un outil d’intégration dans l’idéologie néolibérale du monde de l’art permettant d’être visible et récompensé. En refusant une destination finale, le dogme de la complexité et la promotion de la profondeur, nous plonge dans un laisser-faire macabre qui nous conduira « à la dispersion, à la confusion et à l’approximation de tout29 ».

Face aux problèmes généraux de notre rapport au racisme, ces arguments paresseux sur la nécessité d’apporter de la profondeur et de la complexité à une réponse augmentent le risque de n’en jamais faire le tour et de ne trancher quoi que ce soit qui puisse apporter des solutions déterminantes. Ces artifices intellectuels nous enferment plutôt dans l’inaction, l’entropie et la déresponsabilisation. 

Pour Sophie Chassat « l’heure est désormais au « crucial » ». Dans le cadre de simplification salutaire inhérente à notre subsistance et à l’encontre de l’extermination du vivant sur terre, « le « crucial » est ce point de l’espace et du temps où une décision s’impose.30 »  Pour parvenir à mener bien à nos combats révolutionnaires, il nous faut « sortir des ornières du tout-complexe », j’ajouterais en sus s’extirper de cette carcasse tout pétée du concept du tout-monde. 

Cette analyse du baratinnage poétique pseudo-profond de l’artiste martiniquais peut aussi être employé pour désigner ses volumes pendus à la charpente, celle-là même fabriqué pour l’évènement et qui supporte sa grande forme immersive. 

Et j’y viens cueillir le vice. 

Le choix de l’artiste d’inviter deux curatrices non-antillaises me pose question (pour être gentil,) en sachant qu’une n’a connu son travail qu’en 2019 lors de son exposition personnelle au Palais de Tokyo soit un peu tard31. J’avais même co-écrit un texte sous pseudonyme sur cette expo. Superficiel est le commissariat de ce pavillon. Je me demande bien, leur tâche pragmatique dans tout çà. Leur gène est palpable lorsqu’il faut parler du travail du  plasticien car il n’a pas besoin de curatrices pour penser l’accrochage de ces cintres tordus, formes mouvantes, lianes perroquets etc. puisque c’est lui qui l’imagine comme un opéra. La curation s’est surtout matérialisé dans la direction éditoriale du catalogue officiel publié aux éditions des Beaux-Arts de Paris. Je ne le recommande pas.  Les curatrices ont garnit leurs textes du catalogue de tous les concepts mobilisateurs possibles que l’on peut attacher au travail du plasticien. Par contre, dans ce Cyclone de mer32, un mot me pose problème : panafricain. Ce catalogue est présenté comme une « bibliographie panafricaine33 » voulue par l’artiste depuis 2021. C’est un blague ?!&*. De plus, la modalité de création de cette bibliographie basée sur un’ équipe de chercheur•euses est une copie conforme du projet de publication, imagi-nation nwar — généalogies de l’imagination radicale noire dans le monde francophone, du collectif sud-africain, Chimurenga, dans le cadre de la Saison Africa 2020 (reportée en 2021). Wow, quel hasard ?!&* ils ont eu la même idée en même temps. La moindre des choses, dans une démarche panafricaine est de reconnaître l’existence et les contributions de ces prédécesseurs. Ce que fait la curatrice en ne mentionnant pas le projet de la Bibliothèque Chimurenga démontre son instrumentalisation d’un mouvement de libération africaine pour son aura de radicalité & de hype du moment. Même le président raciste, Emmanuelle Macron se livre à ce genre confusion : « la francophonie est la langue du panafricanisme34 » soutenait-il en 2022. Ça ne m’étonne pas qu’au final à l’occasion de ce pavillon : « yé tout ka travay pou Macron35 »(iels travaillent toutes pour Macron)

Notre frère cadet, Julien Creuzet est un « power crafteur », terme que je conçois en m’inspirant du vocable « power user » en informatique. Cette notion s’appuie surtout sur l’histoire des sciences de la complexité largement développée dans le domaine militaire36 à partir de disciplines tel que la modélisation informatique, la théorie du jeu, la cybernétique, rendues possibles grâce à l’avènement des ordinateurs37. Cette théorisation de la complexité a influencé, depuis les années 70, les concepts de rhizome, de créolisation, de connectivité en réseaux vantant une vision du monde où la compréhension des phénomènes repose seulement sur un système unique défini par l’acronyme, inventé par l’armée américaine, nommé VUCA (pour Volatilité, Incertitude, Complexité et Ambiguïté)

« V = Volatilité : Caractérise la nature rapide et imprévisible du changement.

U = Incertitude (Uncertainty en anglais) : Indique l’imprévisibilité des événements et des problèmes.

C = Complexité : Décrit les forces et les problèmes entrelacés, rendant les relations de cause à effet peu claires.

A = Ambiguïté : Signale les réalités peu claires et les malentendus potentiels résultant de messages contradictoires.38 »

Un power crafteur est un artiste qui pratique de manière intensif plusieurs médiums et métiers (musique, poète, curateur, installation, vidéo etc.) en les associant à des disciplines cognitives en dehors du champs de l’art tel que la sonochimie ou la sociologie. Leurs créations sont des « végétations de désirs » (cf. Suzane Roussi-Césaire) qui nous distraient, pourtant, des conflits —dont elles sont inséparables — en cultivant un culte du divers devenu leur opium favoris.  Il est vrai que cette blue pill a des effets imaginatif remarquable, mais dans une situation où règne le pacte de la  blanchité, le narcissisme qu’elle provoque — ne pouvant être satisfait par le divers — y lé bloublou nou,  a bloublou y lé bay nou — conduit inévitablement à des formes phatiques (cf. Malinowski) en « donnant lieu à un échange profus de formules ritualisées, voire à des dialogues entiers dont l’unique objet est de prolonger la conversation39 » avec la suprématie blanche. 

Mais il existe des végétations de désirs — matière privilégiée des travailleur•euses — qui n’ont pas été encapsulées dans ce culte du divers. Elles sont les « fruits impatients de la Révolutions qui jailliront, inévitablement40 ». 

y lé bloublou nou, pa isi a 

a bloublou yé lé bay nou, pa isi a 

Je ne comprends pas comment on peut encore travestir, même avec un logiciel Blender-like, les sculptures racistes patriarcales coloniales comme celle de la fontaine des quatre parties du monde (1867) de l’Observatoire de Paris. Même si ce serait pour soit disant les animer en les pénétrant d’un sentiment d’émancipation41. Comprenons-nous bien, l’émancipation n’est pas la libération42. Les props, assets, shadings, layouts, animations, lightings ne changeront rien le fond de l’affaire. Dans l’idéologie patriarcale suprémaciste blanche, « la nymphe est la femme devenue idée43 » selon la philosophe Catherine Malabou dans son ouvrage Le plaisir effacé — Clitoris et pensée. Dans le monument, La fontaine des quatre parties du monde chaque nymphes est liée à un’ partie du monde — un partage du monde tout à fait raciale et coloniale réduisant le vivant à quatre catégories humaines. En plus d’être animé uniquement par le regard masculin blanc, « les nymphes sont des femmes « qui ne pissent pas » » et ne peuvent jouir car elles n’ont pas de sexe. La confusion entre jouissance et miction avait vraisemblablement atteint son paroxysme de scopophilie et de moquerie vicieuse, à l’époque, avec la représentation de quatre corps asexué aux attributs fem sur un’ fontaine. En effet, « la nymphe, parce qu’elle ne jouit pas, est le fantasme érotique par excellence. Femme idéale, elle n’a pas de clitoris. » Les nymphes de la vidéo 3D de Julien Creuzet ont-elles un clitoris ou ont-elles un con glabre et fermé donc inexistant ? L’artiste a-t-il effacer par inconscience le plaisir de ces nymphes en pratiquant un’ poétique patriarcale dont elles ne sont que « des expressions du fantasme masculin de la sculpture ; une matière malléable que l’homme façonne à l’envi. » ? Il aura pu au moins dans un’ démarche « panafricain », comme iels le prétendent, tout en résistant au modèle patriarcat hétérosexuelle procréateur, donner la parole aux nymphes grâce aux histoires du « kunyaza, autrement dit la stimulation du clitoris et des parties extérieures de la vulve pour favoriser les sécrétions vaginales par l’homme, avec, dans une autre mesure, le gukuna, est un rituel traditionnel d’étirement des petites lèvres de la vulve, qui se pratique entre femmes. Associé au kunyaza, le gukuna vise à accroître le plaisir sexuel de la femme44 » (cf. Léonora Miano et Wiki).

Le mémorable n’est historique ni anecdotique, il dépend de notre volonté sélective de se souvenir. En informatique, on parle de stockage à froid et de stockage à chaud. « Le stockage à froid consiste à archiver les données rarement utilisées dont une entreprise ne pense plus avoir besoin au cours des prochaines années, voire des décennies à venir ». Contrairement au mémoire chaude qui sont et doit être « consultées plus fréquemment et sont généralement stockées sur des supports conçus pour un accès rapide, avec plusieurs connexions et des performances élevées ». Alors, si et seulement si, cette édition de la biennale et les pavillons associés sont mémorables, c’est pour qu’on se souvienne froidement qu’il faut les dépasser. Dans un futur proche, on pourrait s’attendre (voeu) à ce que des intelligences et consciences artistiques acquièrent l’expertise nécessaire pour reconnaître un art honnête et perspicace, tout en veillant à ce que « leurs jugements d’une œuvre d’art ne soient pas affectés par la présence de baratin pseudo-profond.45 »

J’aurai quand même eu le bonheur durant mon séjour de rencontrer un groupe de meuf, Kewya et Yuwey de la Guyane, et Estelle de la Réunion. Mais je regrette de ne pas avoir pris de lunettes de soleil pour me protéger de toute cette derme, ça va finir par me trapper, m’handicaper encore plus, à force. Pour finir, j’ai repris de nuit le chemin de l’airport pour dormir sur un banc avant mon vol à six heure du matin ! 

PAW

PS : J’ai manqué malheureusement, à Venise, l’exposition « When Solidarity Is Not a Metaphor » de la Cité internationale.

SONIC WAVE STUDIO RECORDING OPENING

Le collectif AFRIKADAA propose une démarche résolument expérimentale avec SONIC WAVE STUDIO RECORDING. Ce projet s’inscrit en écho avec l’élaboration du prochain numéro de la revue POLITICS OF SOUND #2 : Les musiques  et les sonorités qui réparent les corps et les récits, et propose une re-configuration conceptuelle du studio d’artiste : il devient un studio d’enregistrement où les sonorités ne se contentent pas de s’écouter mais s’incarnent, se vivent, se pensent, se partagent comme un espace de résistance dans la joie. 

Dans le cadre de l’invitation lancée par l’artiste-curateur Yohann Quëland de Saint Pern, la revue AFRIKADAA se déploie, entre le 27 novembre et le 15 décembre 2024, comme manifeste en acte : SONIC WAVE STUDIO. L’espace The Window devient le lieu d’une expérimentation sonore au carrefour de la théorie et de la pratique. La musique, les voix, les silences, les cris et l’oralité s’y déploient comme des matières vivantes, des écologies mouvantes et polymorphes, où le son est vecteur de forces politiques et sociales. Le studio devient ainsi non seulement un lieu de création, mais de réparation, où les ondes sonores participent d’une reconquête, d’une guérison collective.

Pensé comme un laboratoire de recherche sonore, SONIC WAVE STUDIO se fait le miroir des révoltes et des soulèvements qui animent les battements de communautés qu’il rassemble, à travers les vibrations, espace-témoin des sonorités, les impulsions, les rythmes et les pulsations d’un monde en quête de transformation. L’écriture sonore, dans cet espace, n’est plus seulement une expression artistique, mais une pratique politique, un mode de résistance aux systèmes de domination qui régissent la cosmovision occidentale.

Cette expérience sera enrichie sous la curation de Pascale Obolo par les contributions des artistes, activistes et chercheur·es invité·es, Jamika Ajalon, Eric Blaze, le collectif Blekete, Myriam Omar-Awadi, Sika Gblondoumé, Sara Mychkine, Samuel Lamontagne, Roger Raspail, Helio Volana, Wilfried Nakeu, Lomani Mondonga, Alain Padeau qui font du SONIC WAVE STUDIO une cartographie vivante et mouvante d’objets sonores et de récits incarnés. En déplaçant et brouillant les frontières de la colonialité, du patriarcat, du capitalisme et du validisme, cet espace crée un nouveau cadre, un lieu de tension et d’expansion où des géographies matérielles et immatérielles se rencontrent et se redéfinissent–se brouillent et se dissolvent, ouvrant  un entre-monde où les voix se croisent et s’élèvent. 

À partir du mercredi 27 novembre 2024, nous vous invitons à faire vibrer le SONIC WAVE STUDIO et à incorporer les potentialités du son comme moyen de résistance et comme force de soin, où l’écoute devient un acte de libération. 

PROGRAMME

27/11 – 18h-21h

Ouverture du SONIC WAVE STUDIO – recording

Pulsations & transmissions — synesthésies du beatmaking avec Eric Blaze

+ jam-conversation avec Wilfried Nakeu, Lomani Mondonga & Alain Padeau

29/11 – 18h-21h

Réparations & vibrations — rythmiques corporelles avec Roger Raspail

30/11 – 18h-21h

Écoute  — Voodoo, Trans, Drum Psychélélique avec le collectif Blêkêtê

05/12 – 16h-21h

Poétiques du sonore — de l’oralité à la cérémonie avec Myriam Omar-Awadi, Helio Volana, Sika Gblondoumé et Sara Mychkine

09/12 – 18h-21h

Le Pan Afrikan Peoples Arkestra: Histoires et Écoutes par Samuel Lamontagne

11/12 – 18h-21h Fluid Code: A pre: anti-lecture sonic lab avec Jamika Ajalon

L’univers du Vodou sublimé par l’art contemporain

La Biennale Ouidah et sa programmation vertigineuse autour des « Arts et Cultures Vodun »

La Biennale Ouidah est l’une des plus importantes manifestations autour de l’art contemporain en Afrique. La Biennale de Dakar étant connue pour être le rendez-vous de référence autour de l’art contemporain sur le Continent Africain, la Biennale Ouidah se déroulant au Bénin pourrait devenir à son tour un rendez-vous culturel incontournable. Avec une seconde édition qui s’est déroulée du 25 juillet au 25 août 2024, les « Arts et Cultures vodun » se présentent comme étant un vivier d’inspirations aussi riches que vertigineux en raison de la richesse de la programmation. Celle-ci comprenait huit expositions, dont certaines se sont déroulées jusqu’au mois de septembre, réparties à travers différentes villes du Bénin. La Biennale Ouidah est le reflet d’un fort élan de créativité qui favorise la reconstruction de l’image du vodou.

Laboratorio Arts Contemporains, l’organisation à l’origine de cet événement a su mettre en lumière à la fois l’universalité et les esthétiques suscitées par le vaudou chez les artistes, que ce soit des musiciens, des cinéastes ou encore les photographes. L’action fédératrice de cette biennale ne se limitant pas aux communautés béninoises, elle a également attiré une audience internationale, tous conscients de l’évidence d’une proximité entre le Bénin et le reste du monde, laquelle se reflète dans le slogan « Si loin…si proche ? ».

Cet événement culturel au Bénin se distingue par une programmation éclectique incluant la majorité des disciplines artistiques (la mode, le design, les arts visuels (photographie, art plastique, cinéma), la littérature ainsi que la musique et la danse. Il en résulte alors un calendrier diversifié, rappelant par la même occasion que le vaudou se conçoit et se ressent à travers différents médiums artistiques et esthétiques : notamment à travers la musique, la danse ainsi que dans la singularité des costumes. Cette Biennale est spécifique dans la mesure où elle fédère de multiples expressions artistiques visant à interpréter le vaudou. 

L’hommage à Tatiana Carmine, un hommage à une force créatrice ainsi qu’à des esthétiques inspirées de la mer

   L’art contemporain en lui-même est un large champ d’exploration par excellence. Tandis que le vaudou peut se percevoir tel un univers dont seuls les initiés peuvent définir chaque pourtour. Les expressions artistiques désignées par « Arts et Cultures Vodun » nous entraînent alors dans une dimension où l’abstraction de la nature et du monde invisible font l’objet de multiples interprétations. L’exposition en hommage à Tatiana Carmine est le chemin le plus court pour comprendre cette dualité entre la communion des idées et l’interprétation personnelle. Une fresque murale réalisée par quatre artistes béninois : Simplice  Ahouansou, Midy, Kola, Togbe, Zansou et José à l’Auberge fleurie à Ouidah, donne une idée de la formidable créativité de cette artiste d’origine russe et de nationalité suisse. Il en résulte alors un mur avec des nuances de vagues, la couleur bleue étant prédominante. L’artiste peintre dispose de cette remarquable capacité à s’approprier une idée, de chercher à la restituer tout en y ajoutant une touche personnelle. C’est en cela que cette fresque interpelle, loin de la redondance, c’est un ensemble d’interprétations du mouvement des vagues, de la fluidité de l’eau, régit par l’élément naturel qu’est le vent, un hommage à Tatiana Carmine et par la même occasion un hommage à ce mouvement majestueux que la nature nous offre. De même, la créativité repousse les limites des palettes de couleurs, notamment par ses différentes nuances de bleu ainsi que les autres couleurs improbables qui se rajoutent à l’ensemble. Une même idée, différentes formes et couleurs, le vaudou est également cette source d’inspiration qui nous ramène à l’essentiel, à la force de la nature, dans sa fluidité et sa majesté. Chacun des quatre artistes ont également réalisé trois œuvres en plus de la fresque murale. Exprimant ainsi pleinement leurs personnalités à travers leurs styles respectifs, cet hommage est un riche alliage entre unité et diversité des perspectives.

 Suivre « Les pas perdus » de Roger Chappellu

L’exposition située à La Gallery sis à Cotonou du photographe suisse Roger Chappellu, traduit la sincérité de la démarche artistique dans la sublimation de la lumière. De prime abord, il pourrait s’agir d’une technique consistant à capter la lumière naturelle afin de donner des visages à des pierres ainsi qu’à d’autres éléments disposés minutieusement pour former des personnages. Mais pour le photographe, il s’agirait plutôt de reproduire une vision, car ses pierres, il les a recueillis lors de ces balades en montagne. L’artiste est doté d’une perception qui le pousse à déceler les expressions émises par les pierres, c’est ce qui les pousse alors à les cueillir et à reproduire à l’aide de la lumière naturelle cette vision contrastée.

Mais au-delà de cette forme d’art parfaitement concevable tant elle est sincère, il y a là une vérité criarde au-delà de l’esthétique suscitée par la lumière. Ces œuvres suggèrent que la nature nous regarde, qu’elle est plus vivace qu’on ne veut le croire. Le monde dans lequel nous vivons cohabite avec un autre. Les réactions suscitées peuvent être nombreuses : croyance, acceptation, remise en question ou scepticisme. Les œuvres de Roger Chappellu traduisent une abstraction qui met en évidence un autre monde. La plupart des expositions qui ont lieu durant la Biennale Ouidah sont une invitation à considérer les suggestions de l’esthétique naturelle du monde qui nous entoure, avec un affranchissement quant au monde tangible pour envisager ou même reconnaître l’évidence d’un autre monde, celui des Dieux et des ancêtres. Une exposition qui invite à envisager une nouvelle perception de la nature.

Exposition photographique : « Exposição RELIGARE – a Bahia no Benin » d’Arlete Soares, une nostalgie fraternelle

Des clichés en noir et blanc ou encore en couleur exposées dans la cour du Palais Agondji Ouidah. Une série réalisée par Arlete Soares (photographe de Bahia), immortalisant la visite au Brésil d’une délégation béninoise, comprenant Son éminence Daagbo Hounon Agbessi Houna I, ainsi que d’autres autorités religieuses et politiques, ainsi que des artistes du ballet populaire du Bénin – Ekpé. Une exposition qui rend compte de l’inauguration de la Casa do Benin à Salvador, ainsi que du rituel d’ouverture réalisé par Son éminence Daagbo Hounon Agbessi Houna I. Elles montrent également les rencontres avec des religieux dans les terreiros de Candomblé. Cette délégation a visité les terreiros les plus importants de Bahia, tels que Ilê Axé Opô Aganju, Gantois et Ilê Axé Opô Afonjá, en plus de Terreiro do Bogum, l’un des principaux lieux de préservation du Vodun. Les images révèlent les interactions entre les Bahanais et les Béninois dans ces espaces sacrés, dont les origines remontent au Bénin. Il figure également des images du voyage de la délégation bahianaise au Bénin. Ces photographies ravivent le souvenir de moments de célébration des retrouvailles entre peuples frères, après des décennies de séparation post-abolition. L’exposition RELIGARE vise avant tout à illustrer les liens profonds entre l’histoire culturelle de Bahia et la civilisation dahoméenne.[1]

L’exposition « Kosukosu » de Tognissè Aziakou, l’art de magnifier le sacré

« Kosukosu » fait partie de ces expositions qui révèlent toute la force de l’abstraction. Une fois photographiées par l’artiste, les statuettes en bois ne sauraient être perçues telles des objets inanimés, habillés à l’aide des tissus colorés. L’artiste a su révéler le caractère sacré qui leur est conféré, et ce en les mettant en avant de différentes façons. Ainsi, un changement de mise à échelle modifie la perception, l’amulette en bois devient alors une statue, rappelant ainsi que la taille originelle de l’objet sacré ne représente nullement sa signification et son importance. La sculpture s’accompagne alors d’une portée spirituelle magnifiée par une mise à l’échelle humaine. De même, l’omniprésence des trois statuettes à travers les différentes photographies, qu’elles soient posées ou encore tenues fermement dans les bras de cette femme âgée, témoigne de la valeur sentimentale qu’ils représentent pour elle. Des statuettes pour représenter l’omniprésence des êtres chers dans l’existence de cette femme. Cette dernière s’en remet à eux quotidiennement, d’où le cliché dans lequel les statuettes sont disposées tandis qu’elle consulte le Fa (un système de divination Inscrit en 2008 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité). La série de photographies réalisée par Tognissè Aziakou et exposée à la galerie Couleur Indigo à Ouidah, représente ainsi une dualité dans le caractère sacré qui est conféré à ces statuettes en bois. Loin de se limiter à l’évocation de symboliques rattachées à des objets, la démarche artistique révèle ainsi la haute considération dont ils font l’objet.

La Biennale Ouidah et sa programmation autour de l’art contemporain inspire une idée de diversité dans la représentation du sacré. Cette série d’expositions fait hésiter entre la recherche de similarités ou encore celle des singularités qui figurent entre chaque proposition artistique. Une troisième alternative parait également appropriée, celle de la recherche de la complémentarité. Cela apparait comme étant un chemin adéquat, permettant d’apprécier mais aussi d’appréhender ces différentes expressions artistiques. La Biennale Ouidah, par les thématiques qui la définissent : « Arts et Cultures Vodun », fascine, tout en repoussent les limites de l’abstraction.

Niry Ravoninahidraibe

Photo 1 : Hommage à Tatiana Carmine, Fresque murale, Auberge fleurie (Ouidah)

Photo 2 : Vernissage de l’exposition « Les pas perdus » de Roger Chappellu

Photo 3 : Exposição RELIGARE – a Bahia no Benin »d’Arlete Soares 

Photo 4 : Jumeaux, oeuvre issue de la série photographique  « Kosukosu » de Tognissè Aziakou

Photo 5 : Mystérieux, oeuvre issue de la série photographique « Kosukosu » de Tognissè Aziakou Copyright: Laboratorio Arts Contemporains – Biennale Ouidah arts et cultures vodun 2024 @Audace Aziakou – Rictus Mignonnou


[1] http://www.terceiradiaspora.blogspot.com/

Evuzock

Un peuple sans culture n’en est pas un !

“Un peuple sans culture n’en est pas un !”[1]

Ce lundi 22 juillet à 22heures, nous prenons le chemin retour en direction de nos domiciles respectifs. L’exclamation d’un visiteur repris en titre de cette chronique nous accompagne le long du trajet. Il faut dire que la restitution des archives Evuzock (1963-1978) de Lluis Mallart” commissariée par le Centre International pour le Patrimoine Culturel et Artistique (ci-après CIPCA) fût un moment emprunt de solennité, d’émotions et de partage.

Dans le cadre de cette chronique, nous avons choisi de parler de cette exposition sous l’angle de la médiation culturelle. Pour cause, les visiteurs sont venus en nombre[2] assister au vernissage de l’exposition et le lieu n’a pas désempli pendant tout le déroulé[3]. Ce fait contraste avec les dynamiques locales. Au Cameroun, l’accès de tous aux arts et à la culture demeure un sujet dans le champ artistique et les institutions culturelles peinent à mobiliser pour les faits artistiques en particulier les expositions d’art[4]. Il sied de souligner au sujet de cette exposition qu’elle est visible du 22 juillet – 25 septembre 2024 au CIPCA.

La démarche du CIPCA portée par Dame Fabiola Ecot Ayissi et exécutée par une équipe à taille humaine (Hassan Fifen Njoya, Meke Meke Michel, Azazou) s’inscrit de manière générale dans la valorisation du patrimoine culturel matériel et immatériel d’Afrique. Elle est mise en œuvre par une approche de travail avec et autour des communautés. Cette ligne curatoriale a balisé les actions du CIPCA dans la mesure où l’exposition intitulée “NYAMODO/NYAMINGA – Porteurs de savoirs : Exploration des archives Evuzock (1963-1978) de Lluis Maillart ! Gulmerà” constitue la deuxième articulation du Festival sportif et culturel Evuzok (FESTIZOCK) célébré en ce mois de juillet 2024 pour la 05eme fois consécutive. Pour rappel, l’objectif visé par ce festival est la redynamisation des traditions et de la culture Evuzock.

Au plan curatorial, comment mettre en œuvre des processus de restitution ? est un champ en friche et une problématique d’une éminente actualité pour les institutions et acteurs culturels mais aussi une attente réelle des communautés. L’exposition susmentionnée sur le patrimoine Evuzock avec remise solennel de supports digitalisés de 13 000 archives au Monarque, AZUZOA, Patrice MELOM, Chef des Evuzok est un premier pas en vue de la réactivation de ces savoirs ancestraux en terres camerounaises. Cette restitution s’entend par ailleurs comme une opportunité réelle d’enrichissement culturel pour le peuple Evuzock et par extension la nation camerounaise. Les communautés Evuzock et le public établi du CIPCA sont apparus comme les cibles naturelles des démarches de valorisation du patrimoine Evuzock.

La curation du CIPCA après deux ans d’investigation des archives remise au CIPCA en 2017 met en exergue trois dimensions des archives disponibles : (1) Evuzok : identité – connaissances médicinales – moments clés de la vie (naissance, initiation, mariage et mort) ; (2) mémoriel (hommage rendu aux aïeuls jadis informateurs) ; (2) patrimoine matériel et immatériel. La densité des médiums mobilisés fût une valeur ajoutée dans cette exposition : éléments de textes en éwondo et en français, photographie, enregistrements audios en éwondo, vidéo de contes inspirés des chantefables Evuzok. La programmation mise en place par le CIPCA fût une pédagogie utile pour les besoins de présentation des processus ayant conduit à l’exposition leur présentée et du contenu des archives. Il fût intéressant de noter pendant la session de questions & réponses, la diversité du public présent (métiers, âge, sexe, origines sociale et culturelle) et sa bonne compréhension des défis posés par l’acculturation ainsi que des enjeux entourant l’exploitation de ces archives.

Il fût aussi intéressant de prendre note des perspectives évoquées par les communautés elles-mêmes pour faire battre le cœur de ces archives : la jeunesse comme cible principale ; la transmission par l’oralité (conte) ; et, la capitalisation des moyens humains (formation) et technologiques. Les partenariats tissés avec le FESTIZOCK, la mise à contribution des autorités administratives, la présence du CIPCA dans des espaces de production et de conservation des savoirs de premier plan au Cameroun et à l’international ainsi que la médiatisation sont autant d’outils tangibles de mobilisation, de vulgarisation et d’appropriation en milieu communautaire de notions plurielles du patrimoine. L’urgence de ces exercices de valorisation de patrimoine est retranscrite dans l’acculturation ambiante que cristallisent aujourd’hui la disparition accélérée des langues vernaculaires et les savoirs ancestraux dans la société camerounaise en brassage continu. Sally Nyolo rappelait aux camerounais lors de la présentation de Tsali Tsa[1] que le processus de l’oubli n’est pas seulement une retombée du passé colonial mais aussi une conséquence du brassage culturel ou métissage et de transformation des espaces naturels en un “monde de buildings”.

Dans un espace avec une si grande densité culturelle (Kamerun, l’Afrique en miniature), il est important dans cet exercice de restitution de faire de la diversité un mouvement fédérateur. Inscrire ce type de projets dans une perspective de consolidation de l’identité nationale[2] permettrait d’éviter l’écueil du repli sur soi et de l’essentialisation. Il est salué à cet effet, l’invitation à la restitution des archives Evuzok du monarque Batoufam par le CIPCA dont le représentant à cette manifestation culturelle vit en ces projets artistiques un vecteur du tourisme domestique[3] [voire une économie du tourisme en particulier l’éco-tourisme, en écho au propos de Sally Nyolo susmentionné[4]]. Également, le passé colonial nous invite individuellement et collectivement à apprendre de notre passé via la production d’archives (orales, écrites et numériques) ; la consolidation du construit social par le biais des arts et de la culture ; et, la prise de conscience au temps présent de la valeur de notre patrimoine matériel et immatériel. Dans le champ artistique et en particulier curatorial, il est souligné très clairement la centralité dans des espaces subsahariennes et africains d’un dialogue constant entre l’art et la société ; ce pour des raisons historiques et sociologiques. Pour reprendre Ikram Ben Brahim, l’Afrique a besoin d’imaginaires[5].

Par Raïssa NJOYA, Agence Créations Contemporaines.

#unartistenousparle


[1] Exclamation d’un visiteur dénommé Colonel Mekulu qui nous a autorisé à le citer nommément dans cet article.
[1] Près de 200 personnes à vue d’œil.
[1] Talk – Chantefable – visite de l’exposition – cocktail dinatoire.
[1] L’art, c’est aussi de la pensée – Entretien avec Yves Xavier NDOUNDA, 2022. L’art c’est aussi de la pensée – Entretien avec Yves Xavier NDOUNDA (youtube.com), consulté le 23/07/2024
[1] Reportage sur le premier volume de la collection transmédia « Un soir au coin du feu », créée et réalisée par Sally Nyolo, Cameroon Radio Television (CRTV), Mars 2024 “Sally Nyolo ra-contre : entre réel et virtuel“ (youtube.com) , consulté le 23/07/2024
[1] Dans la doctrine, l’ouvrage intitulé « Régionalisation et action culturelle au Cameroun » commis par Remy MBIDA MBIDA postule que la régionalisation participe de la spatialisation fonctionnelle et efficace de la décision politique. La culture dans le processus de régionalisation en constitue le ciment.
[1] Lire aussi : L’urgence du tourisme domestique en Afrique, Beringer GLOGLO (Economiste, Fondateur du Cercle des Jeunes Économistes pour l’Afrique), 29 novembre 2021, Financial Afrik Tribune Économie du Tourisme: L’urgence du tourisme domestique en Afrique | Financial Afrik , consulté le 23/07/2024
[1] Op.cit (Reportage CRTV, Mars 2024).
[1] Ikram Ben Brahim, Maître-Assistante à l’Institut Supérieur des Beaux-Arts de Sousse en Tunisie, Intervention sur le processus de mise en place d’une exposition d’art, Série 111 : (re)penser les pratiques curatoriales en Afrique subsaharienne, Creations_Contemporaines (Prod) https://www.instagram.com/p/C8mlUvrooGy/?utm_source=ig_web_copy_link&igsh=MzRlODBiNWFlZA== , consulté le 23/07/2024

poupée N., Grace Seri Arsenic, Lausanne.

Poupée N., Grace Seri. Arsenic, Lausanne. 25 avril-28 avril 2024.

« C’est un simple poème

pour les mères les soeurs les filles jeunes filles que je n’ai jamais été

pour les femmes qui nettoient le ferry de Staten Island

pour les sorcières décharnées qui me brûlent

à minuit

en effigie

Parce que je mange à leur table

et dors avec leurs fantômes. »

Cicatrice, La Licorne noire, Audre Lorde.

Au seuil du rituel des réconciliations de Toyin, sujet du récit fictionnel poétique Poupée N. De Grace Seri, il y a, déposées, La Licorne noire d’Audre Lorde, La Charge Raciale de Douce Dibondo, Amours silenciées de Christelle Murhula, Voix de Linda Lê et Les perversions sexuelles de Félix Abraham. De la terre. Debout, un autoportrait de Zanele Muholi. Des invocations, à la fureur, à la noirité1, à la folie, aux voix-ouragans du silence, à la monstruosité, aux armes dont il a fallu s’emparer pour parler2. À celleux qui n’étaient pas censé.e.s survivre et qui ont choisi de ne plus s’excuser d’exister. Toustes guident Toyin à accomplir ce rituel, à (re)vivre la traversée, à écouter les voix des mort.e.s et des suicidé.e.s, l’Atlantique comme mémoire de la noirceur, « non/ lieu qui bouillonne à côté, ou au-dessous de toute ontologie discernable »3.

On franchit le seuil. L’espace s’étend. Fermé. Sur le mur, des portraits de May Ayim, Martha Ann Ricks, Teri Moïse, Ken Bugul, Victoria Santa Cruz, Saartjie Baartman, Aminata Sow Fall, Billie Holiday, Jeanne Nardal, Mbissine Thérèse Diop, Audre Lorde, Omoba Aina, Toni Morrison, Soraya Bonelli, Maya Angelou, Nina simone, Jessye Norman, Carolina Maria de Jesus.

Poupée N., Grace Seri. Arsenic, Lausanne. 25 avril-28 avril 2024.

1 La charge raciale, Douce Dibondo

2 https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/02/08/zanele-muholi-l-appareil-photo-est-devenu-l-arme-avec- laquelle-je-parle_6160959_3246.html

3 Trans*itude de la noirceur, noirceur de la trans*itude, Marquis Bey. Trou noir.

« avec ta voix à mon oreille

avec ma voix à ton oreille

essaie de me renier

je te pourchasserai

À travers les veines nocturnes de ma propre addiction

À travers toutes mes enfances insatisfaites

Tandis que ce poème se déploie Comme les feuilles d’un livre d’images

Je n’ai plus ni soeur ni mère ni enfants

Seulement un océan sans marées de femmes éclairées par la lune De toutes les ombres de l’amour

Apprenant la danse qui s’ouvre et se ferme Apprenant une danse de tendresse électrique Qu’aucun père et aucune mère ne leur enseignerait »

Cicatrice, La Licorne noire, Audre Lorde.

Des portraits des ancêtres se déploient des fils de coton. À leurs pieds, une petite commode en bois, un téléphone à fil violet. De l’autre côté, posé sur un tabouret, il y a Lanieka, un chien en porcelaine. On parcourt l’espace. Ça pourrait être une chambre d’adolescente, une chambre d’hôpital, la cellule où les mort.e.s sont mort.e.s et regardent les vivant.e.s, ça n’a pas d’importance. Au centre de la pièce, il y a le miroir. C’est à travers lui que Toyin entre et sort d’elle(s)-même. Dans le passage/« trou noir »4 où elle(s) se voi(ent) pour la première fois. Dans le passage/« trou noir »5 où elle devient/est devenue Poupée N. N de négresse.

Poupée N., Grace Seri. Arsenic, Lausanne. 25 avril-28 avril 2024.

4 La charge raciale, Douce Dibondo

5 Ibid.

Poupée N. est un récit qui ne ment pas. Un récit de la blès. Celle qui condamne les enfants noir.e.s à désigner la poupée noire comme laide et à refuser de jouer avec elle avant, parfois, d’éclater en sanglots et de quitter la pièce face à la question des psychologues Clark : « Peux-tu me montrer la poupée qui te ressemble ? ».6 L’éclatement et la déshumanisation comme expérience a-originelle de la noirceur, la chair comme les traces du continuum de la nécropolitique blanche.

Grace Seri commence l’écriture de Poupée N. peu après la mort de Georges Floyd. La narration, petit à petit, s’impose à elle et son itinéraire commence à l’île de Gorée. De l’étouffement d’un homme noir en 2020 par des policiers blancs aux Etats-Unis à l’île-mémoire du crime contre l’humanité qui n’a pas de fin, suivre les pas de la mort.

Poupée N., Grace Seri. Arsenic, Lausanne. 25 avril-28 avril 2024.

« Dans la blès, j’entrevois la part presque indicible de la charge raciale, celle de la fracture, celle de l’entaille ontologique. Les comportements et attitudes que les personnes noires mettent en place dans leur quotidien sont doublées d’une épaisseur historique et traumatique qui les habitent. Dans un article passionnant sur la blès et l’esthétique qu’elle comporte, Patricia Donatien-Yssa, maîtresse de conférences à l’université des Antilles et de la Guyane, analyse le rapport des auteur.ice.s caribéen.ne.s tel.le.s que la Jamaïcaine Erna Brodber ou le poète martiniquais René Ménil à la blès et à la manière dont elle fonde leur écriture. (…) Selon la chercheuse, le rôle des écrivain.e.s consisterait à faire jaillir tout le pus psychologique qui se cache derrière le silence, le renoncement et le refoulement engendré par la blès. Elle est donc une façon de traduire l’intériorité d’un traumatisme et les dégâts produits sur un.e individu. Je ne peux m’empêcher d’y voir la part la

6 Le trauma racial : vivre le racisme dans l’intimité, Politiser la santé mentale.

plus secrète de la charge raciale. Elles se rejoignent le silence historique, sa transmission intergénérationnelle et l’impossibilité de dire le mal-être de la condition noire est inguérissable. »

La charge raciale, Douce Dibondo.

Poupée N. est un rituel des réconciliations parce qu’il dit l’inguérissable. C’est un rituel qui purge, qui salit, qui vomit, qui rit la noirceur au visage de la blanchité. Il ne s’agit pas de réclamer son humanité dont la seule voix serait un devenir-blanc.he mais d’être, multiples, à la fois fille, soeur et mère, menteuse, bestiale, ancêtre, défaite et morte-née, feu, désir et mort, déviante, fantôme et tellement incarnée qu’on peut lécher ta sueur rien qu’en te regardant. Dans Poupée N., rien ne s’achève, ni ne commence. C’est le propre de la blès. La réconciliation n’est pas alors un aboutissement mais un geste, toujours renouvelé, celui d’aimer l’inguérissable : s’humaniser, non comme un devenir-blanc.h.e mais comme un devenir-noir.e.

Poupée N., Grace Seri. Arsenic, Lausanne. 25 avril-28 avril 2024.

« Ceci est un simple poème

Qui cohabite dans ma tête avec des rêves de grande femme noire

Ayant des bijoux dans les yeux

Elle danse

La tête prise dans un casque doré

Altière

Couverte de plumes

Son nom est Colossa

Ses cuisses sont comme des colonnes

Ou comme des chênes écorchés

Enfermés dans son armure

Elle danse

Avec de lents mouvements qui secouent la terre

Qui soudain changent

Et s’illuminent

Tandis qu’elle tournoie en riant

Le métal ouvragé sur ses hanches

Disparaît

Et sur le bord brillant

Une surprise

De poils noirs et crépus. »

Cicatrice, La Licorne noire, Audre Lorde.

Ni le premier ni le dernier.

Texte photos par Aez Nana Pinay. 

Il est difficile d’écrire sur « ce qu’il se passe en France ». Tout d’abord, moi je n’étais pas là. J’étais loin. À Amsterdam, pendant que Nahel a été assassiné, pendant que Alhoussein a été tué, pendant que Mohamed a été tué, pendant les révoltes qui ont suivies.

Je n’étais déjà pas là pendant les manifestations contre le projet de retraite. Je regardais tout ça depuis mon smartphone, dans mon lit, au taffe, à la pause, dans les couloirs de ma formation, dans le métro, en bus, à vélo. J’ai scrollé en boucle sur ce qu’il se passe en France sur les comptes Instagram des amis et de contrattaque.

Cette fois ci, contrairement à George Floyd, pas d’engouement médiatique en faveur de la victime. Le contraire. Silence radio du côté des institutions de Gôche. Et déferlement d’un racisme décomplexé à tous les niveaux. Pour ce qui est du racisme de la sainte trinité Etat-Police-Médias, on savait déjà. Mais partout ailleurs les masques tombent. La voisine, le boulanger, les collègues de travail, les connaissances et même les potes qui, un peu éméchés et secoués par des jeunes de quartiers se mettent à dire un fond de pensée qu’on ne savait pas qu’il était là.

J’ai regardé la cagnotte de soutien du flic assassin grimper en flèche, j’ai scrollé les noms, les montants, lu les commentaires, les mots de « soutien ». J’ai vu la cagnotte de Nahel, j’ai fait la même. Je ne pouvais pas m’empêcher d’y voir une course, une compétition. Celle qui amassera le plus aura gagné. Mais gagné quoi ? De l’argent certes, mais y’avait autre chose. Un affrontement symbolique dont je peine à formuler les termes. Quelque chose comme la victime, l’innocent, le vrai, serait celui qui collecte le plus d’argent. Quelque chose comme ça.

Aux dernières nouvelles on était à 1million six cent mille pour le flic contre cinq cent mille pour Nahel. 


La solidarité de celles et ceux qui nous haïssent m’effraie[1].

Le Deuil.

Pendant un long moment, j’ai évité d’en parler à mes ami.e.s. Je ne leur ai pas demandé « comment ça va ? ». Je ne leur ai rien demandé. Je ne leur ai pas dit mes condoléances.

Pendant un long moment, nous n’avons pas partagé notre chagrin.

Je n’ai pas partagé mon chagrin. Seulement avec Dieu – question de pudeur et d’impuissance.

A quelques personnes, j’ai avoué[2] mes crises de larmes.

Avec d’autres nous avons débité de tristes constats politiques. … Nous avons surtout échangé des soupirs et des silences.  Nos cils alourdis par le deuil. Un deuil qui ne sait pas trop se dire. Un deuil sans mots. Pudique et bizarre qui nous consume mais qui embrase aussi les villes. Un deuil pourtant familier à force de l’assassinat répétés de ces inconnus qui nous ressemblent (rassemble ?).

Adama, Zyed, bouna, Lamine, Alhoussein, et tous les autres. « Tous les autres… »

Un désespoir profond.

Il se mêle au chagrin et à la sidération. A la peur aussi. Je tente d’écrire et les mots de Baldwin répondent à mon mutisme. Ce mutisme a contaminé nos rangs. On ne sait que dire, comment le dire, le décrire. Organiser la pensée pour dire quoi ? Pour créer quoi ? Pour quoi ?

Ce qui est atroce et presque désespérant, dans notre situation raciale actuelle, tient au fait que les crimes que nous[3] avons commis sont si terribles et si indicibles, qu’accepter cette réalité mènerai littéralement à la folie. Alors pour se protéger lui-même l’être humain ferme les yeux, réitère compulsivement ses crimes et entre dans un obscurantisme spirituel que personne ne peut décrire[4]

Ici il me semble qu’il faut lire : « alors pour se protéger lui-même l’état, la police, le flic, le gouvernement, ferme les yeux, réitère ses crimes et entre dans un obscurantisme spirituel difficile à décrire »

Le gouvernement, ferme les yeux, réitère ses crimes..

Réitère ses crimes.

Cette conscience profonde que Nahel n’est ni le premier ni le dernier.

Que d’autres sont à venir.

Qu’on fauche les jeunes hommes noirs et arabes de ce pays,

 Comme des épis de blés.

Sans complexes.

Le Fascisme en marche et la profonde décadence morale[5] de ce pays me pétrifie. Les foyers de propagation fascistes sont toujours plus nombreux, toujours plus armés, toujours plus protégés et décomplexés. Les médias ont bien fait leur besogne. Les racistes se sentent pousser des ailes, et c’est avec un plaisir non feint que les voisins, collègues, connaissances, commercant.e.s, habitué.e.s du bar du coin, statuent sur la question et tranchent fermement en faveur de la répression[6] : Le meurtre se justifie pour une conduite sans permis. Imaginez alors pour une émeute. Le plaisir, la sécurité et la fierté qu’ils éprouvent à savoir nos corps matés par la police et l’appareil judiciaire est à mes yeux insensé. Aux leurs, il s’agit tout au plus d’un spectacle. A la fois fascinant, rassurant et répugnant, comme on regarderait un dératiseur faire le sale boulot : il fait la besogne que nous n’osons pas de peur de ne pas savoir s’y prendre et se salir les mains.

Mais à tous ceux qui jouissent de cette prédation organisée sur les corps non-blancs, sachez Ces plaisirs violents ont des fins violentes. Dans leurs excès ils meurent, telle la poudre et le feu que leurs baisers consument[7].

Le feu appelle le feu.

Les émeutes.

« L’engagement en faveur des émeutiers est un engagement en faveur de la destruction du monde dans lequel les catégories raciales sont pertinentes – emportant avec elles l’organisation de l’espace métropolitain et la division du travail qu’elles structurent. Le feu vient consumer des espaces qui, de toute façon, ne nous appartiennent pas – nous ne sommes pas chez nous dans ces HLM délabrés, ces écoles ne sont qu’au service de notre exclusion, ces transports en commun ne sont que le symbole de notre mise au travail et nos rêves brisés, ces commissariats ont pour seul fonction la violence sur nos corps. »[8]

Après les images d’explosions des tirs de mortiers, les pillages et les voitures en feu, l’heure est à la répression. De la prison ferme pour des broutilles. De la prison ferme pour « donner l’exemple ». L’avocat Rafik Chekkat relève les peines prononcées lors de comparutions immédiates à Marseille : 4 mois ferme pour être entrée dans un magasin sans rien prendre, 10 mois ferme pour deux pantalons Hugo boss, 12 mois pour un projectile. La plupart des condamnations n’ont aucune preuve, on s’appuie sur les PV des policiers. La vérité n’a pas d’importance, on veut faire passer un message.

A distance, je patauge d’impuissance, et me sens glisser dans une apathie désespérante. Je sais n’être pas seul à glisser. Je rentre à St Etienne.

APATHIE = DANGER

Le capitalisme ne perd pas le nord

J’arrête pas de penser à ces devantures de boutiques dont les vitrines saccagées ont été remplacées par de l’agglo. Au début j’ai cru que c’était des tags de manifestant.e.s. C’est écrit en gros, c’est shlag, de loin ça y ressemble. Mais non. Les commerçant.e.s y ont tagué les pourcentages de soldes. Parce que pendant que certain.e.s trimballent leur seum et leur deuil, ben c’est les soldes. Jusqu’à -70%.

Ce n’est pas la vie qui reprend son cours c’est le rythme inexorable du consumérisme. Moi j’avais oublié l’existence des soldes. Et je me dis que les saccages, les pillages et les vitrines brisées étaient nos mausolées. Nos monuments funéraires à la fois somptueux et grandioses. Les révoltes sont des cérémonies funéraires sans pareil. Les dégâts et les ruines immédiates qui en découlent sont des lieux de mémoire.

 Même si très vite il n’en reste rien. Le capital recouvre nos trophées avec les mêmes peintures que nous utilisions pour le détruire.

Le cynisme de ces devantures m’obsède un peu.

Ni le premier ni le dernier.

Il est trop tard. Ils ne peuvent pas nous endiguer, ni nous tuer, ni nous renvoyer. Il est trop tard. Il n’y aura jamais assez de flics, de charter ou d’avion pour nous tous.tes damné.e.s . La France qu’ils défendent est déjà morte, ses valeurs enterrées. Son idéal ne finit pas de se compromettre. Le ver est dans le fruit depuis trop longtemps. La République pourrie dans ses remparts. La France, son gouvernement, ses institutions et une société civile toujours plus nombreuse s’enfonce dans la barbarie. Rien n’y fait, les anciennes colonies et leurs sales gueules s’invitent dans le paysage, crament tout, prennent la mer inlassablement pour venir s’échouer sur les rives d’un eldorado en rade de dignité.

Nous sommes les damné.e.s, tous autant que nous sommes. Et chez nous la mort n’est pas une fin, mais un passage, une transition. Nos morts font toujours partie du vivant, ils nous habitent et influencent nos pas. Leur souvenir embrase nos cœurs, soulèvent des révoltes, et peut-être nous ouvriront-ils à des chemins inconnus que le désespoir nous dissimule.

Les morts ne sont pas morts.

Aez Nana Pinay : Comédien.ne, Dramaturge, Metteur.euse en scène, Chercheur.euse. Diplômé.e Master Arts de la scène, Théâtres, performances et sociétés.


[1] Voir les mots de Djimi Diallo : « On a vu l’assassin de Nahel devenir millionnaire en quelques jours grâce à la solidarité de toutes celles et ceux qui nous haïssent. » dans Djimi Diallo, « Il n’y a plus rien à piller. », lundimatin#391, 11 juillet 2023. <https://lundi.am/Il-n-y-a-plus-rien-a-piller >

[2] Je dis « avouer », comme un coupable. D’où me vient ce vocabulaire, et pourquoi ai-je honte de mon chagrin ?

[3] Je suis toujours fasciné par sa capacité à dire « nous ». Comment fait-il, à cet instant, pour dire « nous » ? Dans ce « nous » il y a le meurtrier et la victime. Comment fait-il pour ne pas céder à la séparation. Dans son nous, il y a Emmet Till, ses bourreaux, et toute l’Amérique ségréguée.

[4] Baldwin James, Blues pour l’homme blanc, Zones, 2020. A propos : «  James Baldwin a écrit cette pièce en 1964 en réaction à l’assassinat de son ami Medgar Evers, militant des droits civiques, abattu devant son domicile du Mississippi le 12 juin 1963 par un suprémaciste blanc. […]  » Dans ma pièce, écrit-il, il est question d’un jeune homme qui est mort ; tout, en fait, tourne autour de ce mort… ‘’

[5] Pardon je suis Chrétien.

[6] Faïza Zerouala, Racisme : « Après la mort de Nahel, mes collègues étaient en roue libre », Mediapart, 18 juillet 2023. < https://www.mediapart.fr/journal/france/140723/racisme-apres-la-mort-de-nahel-mes-collegues-etaient-en-roue-libre >

[7] Shakespeare, Romeo et Juliette.

[8] Djimi Diallo, « Il n’y a plus rien à piller. », lundimatin#391, 11 juillet 2023. <https://lundi.am/Il-n-y-a-plus-rien-a-piller >

Jury des diplômes à toutes épreuves

10 juin 2023, 20:41 par Samir Ramdani.

INTRODUCTION

Ce printemps 2019, Olivier Dollinger m’a appelé pour me proposer de présider pendant trois jours le jury des diplômes de cinquième année de l’école d’art dans laquelle il enseigne. C’était un remplacement d’urgence, les délais étaient courts, je lui rendais service. Nous nous apprécions sans être très proches, nous nous connaissons depuis environ dix ans.

Je suis flatté, honoré. Je réponds oui, avec grand plaisir. D’autant plus que j’ai étudié dans cette école. La charge affective était forte.

Ce jury sera composé de Jean-Marc Chapoulie, Julie Béna et Rémi Parcollet, que je connais peu ou pas.

L’épreuve du diplôme se déroule sur trois jours. 

Les étudiants accrochent leurs œuvres dans différentes salles de l’école. Nous (les juré.es) allons de salle en salle pour voir les travaux. Dans un premier temps, chaque étudiant.e nous présente son travail, puis ensuite, nous échangeons avec lui.elle.

Entre chaque passage, le jury se réunit vingt minutes en huis clos pour discuter. Il y a quatre étudiant.es à voir par demi-journée. En fin de journée nous délibérons à nouveau sur chaque cas et statuons sur l’obtention des diplômes, des mentions et félicitations. Nous annonçons les résultats dans la foulée à chaque étudiant.e , un.e par un.e, en huis-clos, lui.elle face à nous. Les journées sont donc particulièrement longues et éprouvantes. 

À la fin des épreuves, le jury est tenu de rédiger un rapport à destination du Ministère de la Culture. Si mes souvenirs sont bons, ce texte doit donner son avis sur le niveau (général de la promotion, sur l’organisation et le déroulement des diplômes, sur les conditions d’accueil du jury par l’école, et d’autres remarques éventuelles)

DÉROULEMENT DES DIPLÔMES

Le premier jour, dès les premières délibérations les débats sont assez vifs. La première étudiante est française blanche non-Arabe et nous raconte, dans un diplôme ouvert au public, l’importance de sa conversion à l’Islam dans son travail suite à sa rencontre de son mari, un jeune Marocain. Durant la délibération, les remarques déplacées fusent, surtout de la part de Jean-Marc qui estime que : « Peut-être que le vrai problème, c’est qu’elle se soit mariée avec ce mec, qu’elle se soit convertie ». J’ai beau chercher, je ne trouve pas de justification intellectuelle ou pédagogique à de tels propos. Et à ce moment précis, je sens une appréhension pour les prochaines délibérations. Les passages d’étudiant.es s’enchainent… et plus ça va, plus les débats se passionnent entre moi et le reste du groupe. Les deux premiers jours ont été ponctués de plusieurs débats houleux. Pendant les délibérations du deuxième jour, le ton monte à plusieurs reprises lorsque je m’exprime sur des thèmes raciaux ou de représentation de minorités (des thèmes que j’ai l’habitude d’aborder et que je maîtrise), le ton monte, le ton monte, jusqu’au moment où Jean-Marc, en plein débat, excédé par un soupir d’agacement de ma part, hausse le ton de manière significative au point que je me sente menacé physiquement. Il me crie : « bah alors parle ! vas-y dis ce que tu penses ! vas-y dis ! vas-y dis ! » soit pour me provoquer, soit pour m’intimider.

Je lui rétorque : « j’ai rien dit ! j’ai rien dit ! J’ai rien dit ! »

Paradoxalement, c’est à moi qu’Olivier demande de me calmer. Et pas à l’agresseur. Personne ne réagit, personne ne recadre Jean-Marc, personne ne prend ma défense.

À partir de ce moment, je décide de réduire les échanges avec lui. Alors, je lui donne raison, j’acquiesce à ce qu’il dit car j’ai peur que le ton monte à nouveau. En cas de nouveau conflit, je ne pourrais visiblement pas compter sur les autres juré.es. Je me soumets désormais au jugement de mes collègues. Les discussions continuent et j’évite d’intervenir et me terre momentanément dans un silence. Intérieurement je suis très tendu, mes collègues continuent de débattre entre eux, prennent des décisions, et écrivent l’appréciation d’une étudiante. Quelques minutes plus tard mes collègues cherchent les mots pour une autre appréciation. Je propose une phrase. Jean-Marc me dit qu’il ne comprend pas, il répète ma phrase avec circonspection et scepticisme, j’ai à peine le temps de m’expliquer, qu’il passe à autre chose comme si ce que je disais n’avait aucun poids.

La tension monte en moi, je sens qu’il y a un problème entre nous deux. Juste à côté, les rares moments où je le croise, le regard d’Olivier est glacial et fuyant. J’ai une grosse boule au ventre. Plus tard, je ferai d’autres propositions de phases. Critiquées, refusées ou simplement ignorées, aucune ne sera retenue. J’observe quelque chose en moi : la qualité de mon français baisse avec la montée du stress. Depuis le début de la session, c’est de plus en plus visible. J’ai des trous de mémoire pour les références, je bafouille… 

Entre mes rares tentatives de participer au débat, dans ma tête, je ne pense plus qu’à une chose : je me sens exclu du groupe. Personne ne me regarde. Je suis éliminé. J’angoisse à mort. Nous devons encore statuer sur quelques étudiants, et je sens que ça va être compliqué. Et d’ailleurs, à partir de ce soir, ni Jean-Marc, ni Olivier, ni Rémi ne me demanderont mon avis sur quoique ce soit jusqu’à la fin du diplôme. Seule Julie me demande à deux ou trois reprises si je veux ajouter quelque chose après une présentation d’étudiant.es où chaque juré s’est longuement exprimé, ou pendant une pause entre deux passages. Quand j’accepte de prendre la parole, aussitôt, tout le monde se retire me laissant seul avec l’étudiant comme s’ils ne voulaient pas entendre ce que j’ai à dire. Les prises de parole de Rémi et Jean-Marc sont très longues. Elles se présentent comme des questions mais les étudiants ne sont pas toujours en mesure d’y répondre, étant donné la quantité d’informations, de commentaires, de considérations qu’elles contiennent. Et moi je suis là avec ma boule, et mon mutisme, à retenir mes larmes quand Julie me fait signe pour parler. Je n’arrive pas à savoir si elle fait ça par pitié ou pour cacher aux étudiants ce qui se passe. J’ai peur que les étudiants comprennent. Peu de moments dans ma vie m’ont fait me sentir aussi inapte, incompétent, incapable, inutile, lourd, idiot. Je n’écoute même plus ce qui se dit, je fais semblant, si je bouge trop les yeux je vais craquer. Entre deux passages, je vais vite aux toilettes pour pleurer un bon coup et je reviens tout frais pour continuer à faire illusion…

Vendredi matin 8h, j’ai dormi deux heures. Je bois mon café seul à la terrasse d’un café. Olivier passe, me voit et me rejoint. Fini la bise habituelle, il me tend la main. Gros silence. 

Je dis : je n’aurais pas dû venir, il faut que tu saches que là, c’est dur pour moi…

Il dit : Et pour nous, tu crois que c’est pas dur ? J’ai jamais vu un jury pareil (il n’en a fait que deux avant celui-ci).

Je dis : Moi j’ai jamais vu un prof appeler les étudiantes asiatiques en criant leur nom par la fenêtre en imitant leur accent.

Il dit en bafouillant : il y a des choses sur lesquelles nous pouvons tomber d’accord mais…

Je lui dis : Pour être clair, je vais rester, je vais finir ce travail, mais je le fais pour les étudiants, pas pour vous !

Les autres arrivent et nous arrêtons de parler du problème.

Pendant ces trois jours de travail, j’ai entendu Jean-Marc parodier les étudiantes chinoises en parlant avec un pseudo-accent chinois. Au minimum, à trois reprises.

Quand il faisait ces blagues il nous regardait avec un grand sourire comme pour nous enjoindre de rire avec lui, tout le monde souriait bêtement, sauf moi.

La punition auto suggérée :

Dernières délibérations, j’étais comme un Zombie.

Vendredi était le jour des formulaires à remplir. Il fallait rédiger une lettre pour le Ministère et recopier au propre les notes et appréciations, et peut-être d’autres documents que j’ignore, bref un travail assez long. Évincé, je n’ai participé à l’élaboration ou rédaction d’aucun de ces documents.

Voilà les possibilités qui s’offraient à moi :

  • Essayer de participer aux discussions, ce qui était impossible étant donné que j’étais intellectuellement, moralement et physiquement disqualifié et diminué.
  • Ne rien faire du tout. Ni discuter, ni remplir les documents (qui demandaient un certain temps). Ce qui aurait renforcé mon image d’incompétent, d’inapte, que les autres jurés construisaient sciemment ou pas.
  • M’occuper de la mise au propre des brouillons sur les documents officiels, c’est-à-dire recopier bêtement des textes à la main. Un travail laborieux qui ne demande aucune réflexion et qui a l’avantage de limiter mon contact avec Jean-Marc et Olivier tout en montrant ma bonne volonté pour terminer au plus vite.

J’ai donc choisi la troisième option. Julie a aussi fait une partie importante de la mise au propre.

L’ATTITUDE DES MEMBRES DU JURY

C’est Olivier qui nous a invités, il travaille sur place. Il avait au moins moralement la responsabilité du bon déroulement de ce jury. Je pense qu’Olivier n’a pas fait son travail. Il aurait dû réagir vite et peut-être en informer la direction. Il n’a pas proposé de recueillir mon témoignage. Il n’a pas organisé de médiation ou de discussion. Son unique approche pour régler le problème était de me dire de me calmer et de me faire comprendre que j’étais le problème. Il n’a, à ma connaissance, jamais recadré Jean-Marc pour son comportement agressif. Ni pour ses blagues racistes puisque Jean-Marc a récidivé jeudi soir alors même que je l’avais notifié verbalement à Olivier le matin même.

Olivier a été témoin et complice de mon ostracisme et s’en est satisfait.

Olivier a été témoin et complice actif du fait que j’ai cessé de participer aux décisions du jury de manière progressive. Il est également complice du fait que je n’ai participé à aucune conclusion.

Il n’a pas posé les conditions de délibérations sereines.

Concernant Jean-Marc, il a été le premier responsable de mon éviction avec le soutien sans faille d’Olivier.

Jean-Marc a utilisé le mode de l’intimidation dans un contexte professionnel et officiel.

Dans les premiers moments où j’avais encore une parole entendue, chacune de mes interventions suscitaient un agacement très perceptible ; et particulièrement quand j’abordais des questions inscrites dans le champ des études décoloniales.

L’agacement a vite fait place à la remise en question systématique de tout ce que je disais.

Jean-Marc affectionne les parodies et blagues racistes, mais n’est pas en reste sur les réflexions sexistes ou homophobes que j’ai pu entendre au restaurant ou dans l’enceinte même de l’école.

Rémi Parcollet n’a pas été aussi actif qu’Olivier et Jean-Marc dans cette mise au ban. Cela dit, Rémi n’a jamais pointé le dysfonctionnement du jury et n’a rien fait pour arranger les choses. À chaque intervention, Rémi prenait longuement la parole, lui-même le reconnaissait. Il semblait satisfait de mon éviction. La première journée, nous avons eu quelques débats vifs sur des thèmes décoloniaux sur lesquels il est peu informé, pas compétent et très sceptique sur l’ensemble du champ de recherche.

Pendant mon silence, Julie Béna a été la seule à me proposer de prendre la parole deux ou trois fois en fin de discussion avec les étudiants mais jamais à des moments importants pour partager des prises de décisions cruciales. Nous avons eu avec Julie quelques débats vifs sur des thèmes décoloniaux sur lesquels elle est, elle aussi, peu compétente. Elle n’a aussi jamais pointé le problème et n’a rien fait non plus pour arranger les choses.

ÉVICTION D’UNE PAROLE

À propos de l’éviction de ma parole, les enjeux symboliques sont forts. En effet, comme évoqué plus haut, aucun de mes collègues de jury n’est compétent et ne s’intéresse au champ de recherche décolonial. À chaque évocation des problématiques de représentation de minorités ou des mécanismes de domination sociale, raciale, de genre, leur réaction était celle d’une mécompréhension et d’un rejet de mes observations. Des observations qui étaient vues comme une forme d’hystérie (« Samir, calme-toi ») provoqué par un tempérament trop émotionnel qui me rendait hors sujet et incompétent.

Il est difficile de ne pas y voir l’invalidation d’un domaine de recherche entier par le biais de la disqualification d’une personne. Concernant ce champ de recherche, il n’a, par ailleurs, plus à prouver sa légitimité au regard de son ancrage universitaire, artistique, culturel, ou au regard du contexte politique que nous traversons (phénomène #Metoo, immigration, décomplexion des comportements et paroles racistes). Ces juré.es ne voulaient tout simplement pas entendre parler de racisme institutionnel. L’idée selon laquelle leur monde de l’art puisse être traversé par des mécanismes de domination en tout genre leur semble être soit un fantasme, soit un sujet trop mineur pour être évoqué dans une école d’art ou lors d’un diplôme. Or j’ai constaté lors de mes différentes interventions en école d’art que ces questions étaient de plus en plus demandées par les étudiant.es. Que ce soit par les femmes (majoritaires en écoles d’art), les personnes racisé.es (de plus en plus nombreuses en écoles d’art) ou des étudiant.es non cis ou non hétéronormé.es, eux aussi, de plus en plus visible dans les écoles.

Dans plusieurs de mes interventions orales, mes collègues pouvaient comprendre que j’établissais un lien de compétence entre l’origine d’un.e étudiant.e et sa capacité à être pertinent.e politiquement. Autrement dit, c’est, par exemple, l’idée selon laquelle ce sont les femmes qui sont à l’origine des mouvements féministes et ce sont les personnes racisé.es qui sont à l’origine des luttes et pensées émancipatrices décoloniales…

Même s’il y a des exceptions, ce lien de compétence n’en est pas moins un fait sociologique mesurable.

Malgré son caractère de vérité historique et sociologique, ce lien est sans cesse remis en question par mes collègues. C’est aussi l’évocation de ce lien qui provoque les débats les plus enflammés.

La mise en lumière de ce lien est mal reçue par les intellectuel.les blanc.hes parce-qu’elle remet en question leur pertinence à parler des thèmes de dominations raciales.

Les arguments spontanés qui me sont opposés reposent la plupart du temps sur un héritage intellectuel très européanocentré que l’on peut qualifier d’universaliste et qui consiste à penser que tout le monde devrait pouvoir parler de tous types de sujets dans la bienveillance et bienséance pure qu’induit la liberté d’expression chèrement acquise. De prime abord, ce projet semble tout à fait louable et souhaitable. Après tout, c’est vrai, pourquoi un réalisateur français blanc serait critiquée pour faire un film sur les femmes Kurdes mais pour un public français ?

Peut-être parce que la lunette universaliste a pour principe d’ignorer les contextes particuliers de production, de pensées et d’images ? Que ce réalisateur transporte dans son regard son lot de réflexes orientalistes, de naïveté et de présupposés ? Que l’universaliste n’intègre évidemment pas l’acquis sociologique élémentaire qui nous apprend qu’un point de vue n’est jamais pur et objectif ? Que le point de vue d’un auteur est fatalement intéressé et inscrit dans un milieu qui le conditionne ? Et que les principes universalistes ont été les meilleurs outils rhétoriques de la propagande coloniale civilisatrice ? 

Dans les réactions de mes collègues jurés il y avait de ça.

Jean-Marc affectionne les blagues racistes mais il se sent aussi parfaitement capable de m’expliquer ce qui est raciste ou pas.

Dans leurs attitudes disqualifiantes il n’y a pas, à proprement parler, de racisme frontal évident. Eux-mêmes ne se voient surtout pas comme des personnes racistes ou discriminantes, et pourtant le résultat est là, sans appel. Quand on prend du recul sur la situation, dans ce jury de cinq personnes, c’est tout de même un drôle de hasard que la seule personne que l’on fait taire soit non-blanche et portant une parole critique anti-raciste. Autrement dit, puisqu’il y a un lien évident entre mes origines et mes compétences sur les questions raciales et sociales, et qu’il y a également un lien entre mon approche décoloniale de l’art et mon éviction, on peut conclure que mon ostracisme porte un caractère racial.

Ils auraient pu me dire : « Samir, tu vois du racisme et de la domination partout, et ça biaise ton jugement donc on ne tiendra plus compte de ce que tu dis. Entre nous, gens de gauche, il n’y pas de racisme car le racisme on sait le voir aussi bien que toi et probablement mieux que toi l’hystérique. Ne t’en fais pas, tout est sous notre contrôle ».

CONTEXTE SUR L’AFFAIRE DES JURÉS

10 juin 2023, 20:31.

Le collectif Afrikadaa souhaite faire une mise au point à propos de l’affaire des jurés du diplôme de fin d’année des Beaux-Arts de Toulouse impliquant le texte de Samir Ramdani, intitulé Jury des diplômes à toutes épreuves publié dans le dernier numéro de la revue AFRIKADAA. Nous proposons également à la lecture sur notre site internet (ce qui n’était pas encore le cas) l’article afin que vous puissez l’apprécier à sa juste valeur.

– Samir Ramdani a écrit son témoignage 2 jours après la fin du diplôme en pensant qu’il était important de consigner des faits l’intimidation, du dénigrement et du harcelement dans un cadre officiel institutionnel sur fond de racisme. Samir Ramdani à hésité pendant un an avant de faire des démarches auprès de la direction de l’école pour signaler les faits énoncés. Cette dernière ne semblait pas au courrant de l’existence d’un problème.

– Samir Ramdani a donc demander à l’école une enquête administrative auprès de la direction des Beaux-Arts de Toulouse et du ministère de la culture qui encadre légalement les DNSEP.

– La direction a donc interrogé chaque juré. Les faits de comportements discriminants ont globalement été niés par les membres du jury à l’exception des imitations d’accent asiatique qui ont été confirmés par la seule femme du groupe Julie Béna, qui s’est d’ailleurs désolidarisé du droit de réponse.

– Suite à l’enquête, aucune personne n’a été sanctionnée.

Après avoir reçu le mél. de demande de « droit de réponse », le collectif AFRIKADAA a soulevé plusieurs incohérence de la part des membres du jury et des questions à propos de cet événement. Afin de s’auto-défendre de ce genre d’intimidation, veillez prendre connaissance de ces éléments :

1. L’article n’est pas publier sur le site internet donc ils ne se sont pas renseigner plus que cela.

2. Quels sont les compétences du jury incriminé pour juger qu’une question est   décoloniale ou pas ? Compétences basées sur des faits matériels (articles, oeuvres jugés par des pairs ou des critiques d’art, diplôme d’études sur la question décolonial, parcours militant etc.)

3. Quel sont les propos de Samir qui à pousser à bout ledit jury ?  La fragilité blanche est une technique récurrente dans ce genre de cas.

4. Si Mr. Olivier Dollinger a informé le directeur pédagogique, n’y a-t-il pas de preuve de cette échange par mail ou de compte rendu écrit comme il convent à la suite de ce genre d’information ?  pourquoi, ce document n’est pas soumis à l’appréciation de tous-tes ?

5. N’étant pas présent au moment du jury. Nous demandons un audit de cet affaire au sein de L’école d’art afin que les accusation de blague raciste de Jean-Marc Chapoulie et les attaques visant les membre du jury soit tiré au claire ?

6. L’article est une témoignage qui ne serait souffrir d’aucune censure ou rature de la revue d’art contemporain et cela vaut comme tout témoignage de guerre.

Collectif AFRIKADAA

Droit de réponse : « Jury des diplômes à toutes épreuves »

6 juin 2023, 10:39.

Une demande de droit de réponse nous a été soumise à la suite de la publication du texte de Samir Ramdani, intitulé Jury des diplômes à toutes épreuves, au sein de notre dernier numéro « Racisme, discrimination, … Où en sont les écoles d’art ? ». Le reste du jury considérant que l’article « met en cause directement les personnes signataires de la présente lettre », voici leur droit de réponse : 

Nous avons pris connaissance avec consternation de l’article publié sur votre site internet et dans votre revue Afrikadaaa de février 2023, intitulé « Jury des diplômes à toutes épreuves » sous la plume de Samir Ramdani.

Outre que cet article contient des allégations diffamatoires et injurieuses qui portent atteinte à notre réputation et à notre honneur et à l’égard desquelles nous réservons nos droits à réparation, nous tenons à préciser par le présent droit de réponse que les faits rapportés par l’auteur de cet article sont faux.

Samir Ramdani, était le président de ce jury de DNSEP en juin 2019 à l’Isdat de Toulouse. Il avait donc la prérogative de pouvoir parler en premier pour chaque étudiant.

M. Ramdani a d’emblée discriminé la première étudiante que nous avons reçue, « française blanche et non arabe » (dixit) en jugeant qu’elle ne pouvait recevoir son diplôme sous le motif qu’elle n’était pas légitime sur les questions décoloniales. Le travail artistique de cette étudiante ne portait aucunement sur les questions décoloniales. M. Ramdani nous dit alors, autres membres du Jury, ne pas être qualifiés pour évaluer cette étudiante, n’étant pas nous-mêmes racisés.

Comment, dès lors, envisager les critères d’évaluation des travaux des étudiants ? Mr Ramdani a systématiquement refusé de débattre des questions artistiques et a continué ses invectives envers le jury sur des questions politiques, le plus souvent hors sujet. Le dernier jour des délibérations, il est allé jusqu’à pousser à bout un membre du jury qui s’est mis à pleurer en disant « je n’en peux plus Samir, stop ».

Olivier Dollinger, représentant de l’école pour le diplôme, a dès le deuxième jour informé le directeur pédagogique des difficultés à mener sereinement ce diplôme. Olivier Dollinger est intervenu énergiquement auprès de tous les membres du jury, afin d’apaiser la situation, en replaçant les enjeux de ce diplôme pour et auprès des étudiants.

Les accusations de blagues racistes émaillant l’article à l’endroit de Jean-Marc Chapoulie sont totalement calomnieuses et injurieuses.

Sur les attaques personnelles d’incompétence, de racisme, de sexisme, d’homophobie et de violence de M. Ramdani visant des membres du jury, nous dénonçons collectivement des propos diffamatoires et injurieux voués à soutenir et crédibiliser l’écriture d’un récit affabulateur.

Nous sommes par ailleurs surpris qu’un article contenant de telles allégations mensongères et graves à l’encontre de membres d’un jury de DNSEP puisse paraître dans une revue soutenue par l’ANdEA (Association Nationale des Écoles d’Art), sans que personne de la rédaction d’Afrikadaaa, ni de l’ANdEA, n’ait tenté d’en vérifier les sources avant publication.

Olivier Dollinger, Remi Parcollet, Jean-Marc Chapoulie

IBRAHIM BALLO : DONNE LA PAROLE

Le 27 mars 2023 à 9h30

Par Etienne Taye

Au cœur du 17ème arrondissement, la galerie Carole Kvasnevski a exposé le travail de Ibrahim Ballo. Du vendredi 17 janvier jusqu’au samedi 25 février, ont été projetées sept de ses peintures, accompagnées d’une courte vidéo dans leur salle de projection au sous-sol.

Entre poésies et voyages, la peinture d’Ibrahim Ballo raconte des histoires, et plonge nos regards à travers le sien, à travers celui de ses protagonistes. Notre attention est happée et une errance s’ensuit. Tantôt teintée de lyrisme, construite par la chaleur des corps et déformée par l’étincelle de  nos histoires : les formes prennent vie comme elles prendraient feu. Le travail pictural présenté se veut manifeste de ces dernières années de recherche, il incorpore le tissage, technique et motif chers à l’artiste. Cette pratique lui vient des femmes de sa communauté, le peuple Sénoufo, pour qui la couture, et particulièrement le tissage du coton, sont au cœur de la réalisation de vêtements. Dans sa peinture, le tissu prend son importance à différents niveaux.

Ibrahim Ballo, Donnez-moi la parole, detail, 2022, 105 x 96,5 cm, acrylique, tissage et broderie de coton sur jeans, Galerie Carole Kvasnevski

Depuis plusieurs années il intègre du tissu, en petites boules cousues, en traits, en carreaux, en croix, le tissage est toujours présent et vient créer des motifs, couvrir, cacher, dévoiler. Ces incrustations dans sa peinture, sont autant d’hommages d’Ibrahim Ballo à son patrimoine culturel et historique. Sa peinture se veut être une partie dans le tout que sont les savoir-faire traditionnels du Mali. Ses systèmes de représentation s’inscrivent dans des traditions iconographiques et picturales qui exposent sous nos yeux un territoire à travers le temps, des rencontres entre tradition et modernité.

Ibrahim Ballo, Donnez-moi la parole, detail 2, 2022, 105 x 96,5 cm, acrylique, tissage et broderie de coton sur jeans, Galerie Carole Kvasnevski

Depuis 2019, les toiles intègrent le jean dans leur processus de création. Cette introduction de matière dans sa démarche vient ajouter une complexité supplémentaire, discutant toujours de l’histoire de son pays, cette fois ancrée dans un contexte international, mêlant migration, exploitation et domination. Au fur et à mesure de sa recherche, le travail de Ibrahim Ballo prend en épaisseur, le jean devient la toile support, et une nouvelle strate vient s’ajouter à la complexité du processus. Cette forme s’enrichit et se construit à la manière d’un palimpseste, un parchemin déjà utilisé, sur lequel on vient graver plusieurs fois, et qui porte en lui les souvenirs de tout ce qui a été dit, et qui offre la liberté de raconter tant encore.

Ces peintures discutent de ce qui est venu avant elles, et contemple les possibilités de tout ce qu’il pourrait advenir. Les strates qui composent les objets de l’artiste nous racontent différentes histoires, et plus elles se superposent plus l’histoire va loin. Et on voyage aussi loin qu’on peut se laisser transporter, aussi loin que les mémoires vont, aussi loin que l’espoir tend, aussi loin à faire le tour du monde. Le travail d’Ibrahim Ballo est témoin, de son temps, de son imbrication dans des dynamiques historiques, politiques et géographiques complexes, encore engagées.

Ibrahim Ballo, Considération, 2022, 125×100 cm , acrylique, tissage, et, broderie sur toile, Galerie Carole Kvasnevski

Au coeur et à la surface de ces palimpsestes, les protagonistes représentés invitent à un imaginaire plus intime. Dans Considération, on fait face à un duo de silhouettes qui exploitent deux systèmes de représentation souvent utilisés par le peintre dans ses formats : la réserve noire sur laquelle il vient tisser (à gauche), et la réserve noire sur laquelle il vient peindre un motif.

Ibrahim Ballo – Pensée jaune (2022) – 89 x 89 cm – acrylique, tissage et broderie sur Jeans – Galerie Carole Kvasnevski
Ibrahim Ballo – Regard ambitieux – détail – (2022) – 107 x 88,5 cm – acrylique, tissage et broderie de coton sur jeans – Galerie Carole Kvasnevski

Ces motifs aplanissent les corps, et les font remonter à la surface du tableau, les figures nous font face, soudainement prises au premier plan. Ces réserves et ces trames ajoutent en complexité aux différents systèmes de représentation de profondeur et de stratification déjà présents. Les corps semblent être des abîmes dans lesquels le regard plonge et vient donner vie. En utilisant, puis en mettant à mal les représentations traditionnelles de la profondeur dans l’espace de ses peintures, Ibrahim Ballo met en scène une échappée au regard occidentalocentré et sa construction, et par la même occasion, ses personnages viennent nous happer.

Cette toile, presque éponyme à l’exposition, résume bien le voyage du regard dans l’imaginaire du peintre. Ce format, comme la majorité de ceux exposés, nous met face à un personnage seul, isolé. Cet instant saisi et choisi se veut manifeste de la vie des protagonistes, une métonymie de leur vécu, défini par l’esseulement. Dans la vidéo qui accompagne les toiles, l’artiste dénonce les systèmes qui participent à la marginalisation, l’exclusion et les inégalités. Sa peinture nous invite donc à donner sens, offrir une voix et un son aux corps qui, silenciés et réduits, s’offrent comme des figures contemplatives et réflexives devant nous.

Ibrahim Ballo, Donnez-moi la parole, 2022, 105 x 965 cm, acrylique ,tissage, et broderie de coton sur jeans, Galerie Carole Kvasnevski

En acceptant l’invitation d’Ibrahim Ballo à prendre corps dans ses peintures, nous sommes renvoyé.e.s à nos conditions face à elles. Les toiles nous emmènent avec elles à la frontière de la marge et du centre. Et si l’on connaît cet esseulement, nous tournons alors le dos et faisons face à des imaginaires qui nous sont familiers. En cette mesure, le travail de Ibrahim Ballo ne permet pas de mensonge : il s’offre aux yeux et se dévoile aux regards qui connaissent ces solitudes et ces histoires, en restant silencieux aux regards qui ne savent pas leur donner sens.

Ibrahim Ballo est un jeune artiste né à Bamako en 1986, où il travaille et vit aujourd’hui. Il obtient son Master au Conservatoire Balla Fasseké Kouyaté en 2017, sous la direction d’Abdoulaye Konaté, dont il est l’élève. Cette exposition est une restitution de sa résidence au Couvent de la cômerie au centre Montévidéo, qui a eu lieu fin 2022 à Marseille.