Une exposition aux confins de la technologie et de la spiritualité. Quand l’intelligence artificielle façonne le sacré.
L’exposition Dieu est algorithme, présentée dans la galerie parisienne Plateforme, interroge la manière dont les technologies numériques et l’intelligence artificielle redéfinissent les mythologies contemporaines et les récits sacrés. À travers un dialogue entre des artistes internationaux, le curateur, Rolando J. Carmona explore les croisements entre divin et machine, entre croyance et rationalité.
En effet, l’intelligence artificielle et la magie ont longtemps semblé appartenir à deux mondes distincts : l’un régi par la rigueur des mathématiques, l’autre par le mystère de l’invisible. Pourtant, l’exposition Dieu est algorithme tente de combler cet écart, explorant la façon dont les nouvelles technologies redéfinissent notre perception du réel et de l’au-delà.
Au cœur du projet, on trouve un ensemble de questions fondamentales : que se passe-t-il lorsque l’IA, en reproduisant des schémas aléatoires, touche au sacré ? Et si l’esthétique générative n’était pas seulement une répétition d’algorithmes, activité lucrative doublée d’une capacité de contrôle général, mais aussi un vecteur de spiritualité ?
Au-delà des aspects technologiques et spirituels, l’exposition met également en lumière les dimensions post-coloniales de l’IA et du numérique. Les systèmes de données, souvent conçus et centralisés dans des pays occidentaux, reproduisent des logiques de pouvoir et d’exclusion héritées de la colonisation.
Dans ce contexte, les artistes de « Dieu est algorithme » interrogent la possibilité d’une technologie décolonisée, capable de prendre en compte des perspectives culturelles et spirituelles non hégémoniques. Les langages divinatoires africains ou amérindiens, les systèmes de notation non linéaires et les pratiques rituelles du chiffrement ouvrent ainsi la voie à une redéfinition de notre relation aux algorithmes et aux intelligences artificielles, en y ajoutant leurs fondements spirituels.
Une exploration des nouvelles mythologies numériques
Les artistes présents interrogent ces questions en développant une relation inédite entre code informatique, rites ancestraux et pratiques mystiques. C’est une porte ouverte sur un monde où le mystique s’hybride avec les réseaux numériques.
Dès l’entrée, Zach Blas, états-unien basé à Londres, propose Spa Day on the Neon Isles (2019), une vidéo qui joue sur l’esthétique cybernétique et les hallucinations algorithmiques. Faisant partie de l’installation immersive The Doors, il y explore le psychédélisme, l’usage de drogues et l’intelligence artificielle, en mettant en lumière les liens entre la contre-culture californienne et la Silicon Valley.
L’œuvre s’inspire des écrits d’Aldous Huxley, du groupe The Doors et de Jim Morrison, surnommé « The Lizard King ». Elle présente une poésie générée par intelligence artificielle, basée sur les écrits de Morrison et des textes sur les nootropiques, récitée par un lézard généré par ordinateur inspiré du Barbaturex morrisoni, lézard préhistorique nommé d’après le chanteur. L’installation critique les aspirations transhumanistes de la Silicon Valley, où le microdosage de LSD et les nootropiques sont utilisés pour optimiser les performances mentales, en opposition à l’éthique libertaire des années 1960.
Dans The Eighth Day (2014), Esmeralda Kosmatopoulos, artiste franco-grecque installée au Caire et à Paris, repense le récit de la création en intégrant des entités artificielles et questionne l’idée d’une création alternative, où la génération artificielle se substitue au mythe divin. L’œuvre interroge le rôle des machines comme co-créatrices d’un monde réinventé.
Vue de l’exposition Dieu est algorithme, Plateforme, Paris, 2025
L’artiste numérique française Anne Horel nous plonge dans son univers de divinités de l’ère digitale avec DΛƬΛ ɖɛɨȶɨɛֆ – Fog Elf, un panthéon cybernétique où avatars et intelligences synthétiques prennent le relais des figures mythologiques classiques. Inspirée par la mythologie et la spiritualité, elle crée des créatures hybrides, mi-monstres, mi-dieux.
Ces entités incarnent notre époque numérique, où les icônes artificielles remplacent les divinités anciennes. Tels des avatars modernes, ces créatures représentent la fusion entre le monde virtuel du cloud et le monde physique, connectées par des « câbles » métaphoriques. L’artiste leur donne vie en les animant ou en les sculptant, créant ainsi des êtres à la fois protecteurs et inquiétants. Ces « datadéités » symbolisent une conscience collective née du numérique, reflétant nos traces digitales, nos croyances et nos peurs dans un monde en mutation.
Quand la technologie rencontre l’ineffable, l’intelligence artificielle comme oracle.
« Nous tenons pour acquis que seuls certains types de choses existent : les électrons mais pas les anges, les passeports mais pas les nymphes », déclare le texte introductif de l’exposition. Pourtant, l’évolution technologique a fait surgir des entités nouvelles : des IA autonomes, des systèmes quantiques insaisissables, des algorithmes capables d’auto-préservation. Face à cela, comment redéfinir les limites du réel et du possible ?
L’exposition s’attaque également à la notion de prédiction et de divination dans un monde algorithmique. Gregory Chatonsky, artiste français basé à Paris, confronte, avec The Case (2024), le spectateur aux récits automatiques générés par des IA, posant la question de la croyance en ces nouvelles entités prédictives.
Il imagine un monde où l’IA ne se contente plus d’exécuter des tâches, mais produit une réalité propre, affranchie des désirs humains. Il en dit lui-même que : « Derrière les statistiques et les calculs complexes, il n’y a sans doute aucune signification au sens traditionnel du terme. Les patterns que nous y cherchons ne sont peut-être que le reflet de notre propre besoin de donner du sens. Cette dernière n’est pas enfermée dans la boîte noire comme un trésor caché, mais émerge plutôt entre nous et celle-ci, dans l’entre-deux de cette relation dynamique et complexe que nous entretenons avec elle ».
Avec Silva ex Machina (2024), le mexicain Alfredo Salazar Caro utilise la photogrammétrie et des algorithmes personnalisés pour reconstruire un espace sacré artificiel, questionnant la place du divin dans la simulation. Il s’interroge : « Que se passe-t-il si nous traitons le hasard qui anime les esthétiques génératives comme une entité ou une énergie divine ? ».
Cela donne forme à une animation basée sur une sculpture de Xōchipilli, divinité mexica des fleurs et des plantes hallucinogènes, conservée au Musée nationale d’anthropologie de Mexico. Créée avec l’IA, l’œuvre montre des plantes jaillissant de la statue tournante, prolongeant ses gravures en une représentation naturaliste luxuriante. L’œuvre transpose ainsi Xōchipilli dans une simulation virtuelle, invoquant les pouvoirs médicinaux et la puissance du végétal.
Sylvain Manigaud, Medieval dystopie. 2025
Dans Médiéval Dystopia (2025), Sylvain Manigaud imagine un futur qui puise dans les codes du passé médiéval, transformant le cyberespace en une nouvelle terre de croisades numériques.
Une critique des récits technologiques
Santiago Torres (Soleil Noire, 2024), né à Paris d’une famille sud-américaine, explore le soleil source de lumière blanche. Le Soleil, bien qu’il nous apparaisse souvent doré ou rouge, est en réalité une source de lumière blanche pure. Cette perception colorée est due à la diffusion de la lumière dans l’atmosphère terrestre. Dans l’espace, les astronautes voient le Soleil comme une sphère blanche brillante sur un fond noir.
Le Soleil Noir est un symbole puissant dans l’art, la mythologie et les traditions spirituelles. Il représente une lumière cachée ou voilée, un contraste entre ombre et lumière, un cycle de destruction et de renaissance. L’artiste dit : « Historiquement, le “Soleil Noir” se retrouve dans les récits et croyances de nombreuses civilisations. Dans les traditions gnostiques, il représente l’intelligence divine cachée derrière les illusions du monde matériel. Il est une lumière voilée, que seuls les initiés, par leur cheminement spirituel, peuvent percevoir. Cette quête dépasse les apparences pour révéler une vérité cachée, une source lumineuse qui transcende la dualité entre l’ombre et la clarté. »
Dans l’art contemporain et numérique, ce symbole est utilisé pour explorer des thèmes comme l’invisible, le mystère de l’existence et la dualité. Le projet Soleil Noire illustre cette utilisation, en combinant les technologies génératives et le symbolisme sacré pour créer une expérience visuelle et spirituelle.
They dressed placentas and unknown skins (2024), vidéos génératives de l’artiste équatorien Oscar Santillan produites par trois réseaux neuronaux combinés s’introduit dans les zones d’ombre créées par la modernité : Les passés détruits, les différences ignorées dans le présent, les futurs inconcevables. Le futur, par nature infini et imprévisible, échappe à notre compréhension humaine. Paradoxalement, la modernité engendre des technologies comme l’intelligence artificielle, qui pourraient développer des futurs en opposition avec les principes modernes eux-mêmes.
extracto,Tabita Rezaire, Premium Connect, 2017, Video with led glow ,13min 04s
De la cybermagie à l’afrofuturisme
Si la technologie semble aujourd’hui tout dominer, certaines pratiques artistiques et culturelles lui opposent une résistance symbolique. Dans l’afrofuturisme, le technochamanisme ou le futurisme indigène, les artistes réinvestissent des savoirs ancestraux pour penser la modernité autrement.
Tabita Rezaire, artiste française et danoise, propose avec Premium Connect (2017) une critique des réseaux numériques et de leur rôle dans la perpétuation de certaines structures de pouvoir, rappelant la manière dont les institutions religieuses ont façonné l’histoire.
Cette artiste aux multiples facettes mêle art, technologie, spiritualité et thérapie en « santé-tech-politix ». Son travail vidéo, reconnu internationalement, critique l’internet comme outil d’oppression occidentale et appelle à sa décolonisation.
Dans Premium Connect (2017), Rezaire établit des parallèles surprenants entre le code binaire et la divination Yoruba. Elle explore les liens entre cyberespace et pratiques spirituelles, abordant des sujets variés comme les systèmes fongiques et les communications ancestrales. L’œuvre vise à déconstruire l’impérialisme culturel numérique et à promouvoir une reconnexion à soi.
L’argentine Sofia Crespo avec Fleeting Symmetries – Temporally Uncaptured, (2024) envisage la manière dont les IA réinterprètent et déforment nos perceptions de la réalité, offrant des visions quasi mystiques d’un monde en mutation. Il s’agit d’une série d’œuvres qui explorent les transitions temporelles imperceptibles dans les cycles de vie des organismes, y compris microscopiques.
L’artiste utilise des réseaux neuronaux pour générer des images à partir d’archives historiques, puis les imprime en cyanotype avant de les numériser. Cette série s’inspire d’Anna Atkins, pionnière de la photographie botanique avec son livre Photographs of British Algae (1843), dont le travail a été sous-estimé à l’époque.
Juan Covelli , “Tesoros especulativos”, 2020, 2024, Projet créé pour la restitution Le Trésor Quimbaya
Juan Covelli, artiste colombien, s’intéresse avec Tesoros especulativos (2020 – 2024) aux rapports entre technologies et cultures ancestrales, mettant en tension l’archéologie et le virtuel.
Il s’intéresse particulièrement aux nouvelles matérialités générées par l’ère numérique. Son travail artistique se concentre sur le potentiel technologique des archives numériques comme outil de création radicale pour réexaminer les arguments ancrés de rapatriement et les histoires coloniales. Il utilise la vidéo, la modélisation, les ensembles de données, le codage et l’IA pour créer des œuvres basées sur des installations IRL et URL qui combinent des pratiques historiques avec des modèles actuels d’affichage et d’esthétique numérique.
Kira Xonorika, du Paraguay, propose avec Visions (rose, quartz, salt) (2023), une création artistique qui fusionne l’innovation technoscientifique avec les perspectives futuristes des peuples autochtones. Elle propose une narration dépassant les catégories binaires traditionnelles, illustrant les échanges vivifiants entre le monde végétal, minéral et les entités non-humaines. L’œuvre met en lumière la diversité des intelligences, cruciales pour le développement de l’IA, ancrées dans une approche conceptuelle qui privilégie la symbiose entre différentes formes de vie. Cette vision s’inspire et dialogue avec les connaissances millénaires des cultures ancestrales, offrant ainsi une perspective novatrice sur l’interaction entre technologie avancée et sagesse traditionnelle.
Kira Xonorika ( Paraguay), “Visions” ( rose quartz, salt) , 2023
En réunissant ces artistes aux pratiques diverses, « Dieu est algorithme » dresse le curieux portrait d’un monde où la technologie s’érige en nouvelle divinité. Deux œuvres viennent compléter cette réflexion en proposant des expériences interactives où le spectateur est invité à interroger sa propre relation aux intelligences artificielles.
Avec Kauyumari Tatewari, Edgar Fabián Frías orchestre une cérémonie audiovisuelle qui réinvente le chant traditionnel Wixárika, d’un peuple autochtone du Mexique, en le fusionnant avec la musique électronique et une esthétique numérique. La performance navigue entre traditions ancestrales et contemporaines, mêlant une présence cérémonielle queer et une esthétique drag à un univers visuel saturé où l’iconographie Wixárika rencontre le langage de l’ère Internet.
En intégrant des éléments de hard house californienne et des rituels traditionnels, Frías crée un espace où le sacré et le numérique se rejoignent, culminant dans une prière dédiée à la Terre. Cette œuvre hybride agit comme un portail reliant spiritualité, culture ancestrale et innovation artistique contemporaine.
Le projet de Soliman Lopez, Manifesto Terricola, est un « document artistique ». Le 23 avril 2023, un texte artistique a été publié et introduit dans un glacier du Svalbard (78º15.359 N, 016º14.165 E). Ce document, conservé sous forme d’ADN encapsulé dans une oreille 3D biodégradable, explore l’état de l’humanité à travers des thèmes comme l’économie, l’éthique, l’environnement et l’art.
Il déclare qu’il s’agit d’envisager le stockage massif de données numériques dans l’ADN, offrant une solution durable et sans impact environnemental. À la croisée de l’art et de la science, elle propose une nouvelle perspective sur la préservation des informations et l’histoire de l’art.
Solimán López, Manifiesto Terrícola, 2023-2024
Vers de nouvelles formes de croyance ?
L’exposition propose une interrogation profonde sur notre rapport à la technologie. Si les grandes entreprises investissent dans l’efficacité de l’IA, pourquoi ne pas imaginer une intelligence artificielle plus fiable, plus humaniste, voire spirituelle ?
L’exposition, par sa diversité de médiums et d’approches, par la présentation d’artistes venus d’horizons multiples, questionne avec acuité notre époque : faut-il croire en la toute-puissance des algorithmes ? Ou faut-il, à l’inverse, les considérer comme de simples outils au service de nos imaginaires ?
« Dieu est un algorithme » ne prétend pas offrir de réponses définitives, mais invite à une réflexion collective sur la possibilité d’une technologie porteuse de mystères et de nouvelles formes de croyances. Dans un monde où les données régissent nos vies, il est peut-être temps d’envisager un dialogue entre le rationnel et l’ineffable.
Manuela de Barros
Artistes: Zach Blas ( USA), Anne Horel( FR), Juan Covelli (CO), Santiago Torres (Ve),Sylvain Manigaud ( FR) ,Edgar Fabián Frías
(USa),Esmeralda Kosmatopoulos (Gr),Alfredo Salazar Caro( Mxx), Sofia Crespo ( Ar) , Gregory Chatonsky ( FR), Tabita Rezaie, (Guy), Kira Xonorika ( Ur), Regina Demina ( Fr)
Curateur: Rolando Carmona/ ARTPLATEFORME / avec le soutien du Santiago Torres / Rafael Tovar
Manuela de Barros est philosophe et théoricienne des arts. Maîtresse de conférences à l’université Paris 8, ensayista, conférencière, ses travaux portent sur l’esthétique de l’art contemporain et des nouveaux médias, sur les Relations entre les arts, les sciences et les technologies, et sur les mods biologiques, antropologiques et environnementales apportées par les technosciences. Elle est l’auteure de Magie et technologie (Éditions UV, París) et » Arqueología de los medios. La tecnología desde una temporalidad difusa » (Editorial Herder, Ciudad de México).
Le commissaire:
Rolando J. Carmona
Auteur et commissaire indépendant, il vit entre Paris et Caracas. Son travail est axé sur les théories et les pratiques artistiques qui réfléchissent sur la poétique underground et la culture post digitale conçue depuis le Global Sur, mettant en lumière les nouvelles formes d’art et les corps désobéissants qui existent dans l’ombre de la modernité. Dans cette optique, ses projets actuels se concentrent sur la décolonisation des données, la magie et l’IA, les écosystèmes hybrides, le féminisme et la spiritualité, ainsi que la dynamique queer des corps BIPOC
A l’occasion de l’exposition de sa série Kush à la foire d’art contemporain africain AKAA (Also Known As Africa) 2024 qui s’est tenue du 18 au 20 octobre derniers, j’ai interviewé Delphine Diallo sur ce qui la guide dans sa pratique, et le changement de dimension induit en elle par son utilisation récente de l’Intelligence Artificielle générative MidJourney dans son travail. Cet échange m’a ouvert la porte sur les possibilités d’une pratique décoloniale et située de l’historiographie qui ne reposerait donc pas sur l’idéal d’une vérité historique à reconstituer intégralement – fixant une vision immuable du passé – mais plutôt sur le passé comme énonciation subjective au présent, d’une trace collective transmise à travers le temps, et qu’il s’agit de faire émerger par la parole. Dans les communautés africaines et afro-diasporiques, l’expérience du passé est marquée par l’absence de traces physiques, et l’évanescence des récits historiographiques. Toutefois, comme le souligne Seloua Luste Boulbina, il est possible d’étendre cette histoire fragmentaire par « l’imagination, la perception, la sensibilité, la raison »[1] car celle-ci « n’a pas besoin d’être mémorisée pour s’inscrire, définitivement, dans le corps »[2]. Dans le champ de l’art contemporain, des artistes se sont saisi·es de ces enjeux, et – revendiquant un lieu d’énonciation[3] propre – cherchent à reconstituer des mémoires historiques par la manipulation d’archives[4]. Le travail de Delphine Diallo se détache de cette pratique de l’archive, puisqu’elle les constitue, les fait émerger de sa conscience. Malgré tout, elle procède bien de la même nécessité de couturer l’abîme de l’histoire[5], cette impossibilité de forger un discours homogène, partagé et univoque sur le passé, lorsque les faits historiques peinent à émerger ou sont déchirés[6]. En effet, Delphine Diallo affirme chercher à « remettre l’histoire à sa place », en travaillant sur « une histoire qui a complètement été retirée du monde […], effacée de nos mémoires », celle des femmes noires de l’histoire africaine, et dont on ne parle plus aujourd’hui.
Collaborer avec la machine
Lorsque Delphine Diallo évoque l’Intelligence Artificielle (IA), je perçois qu’elle ne fait pas référence à une simple machine, un outil de travail, une chose dont elle disposerait à volonté et qui s’exécuterait pour elle. Elle emploie l’expression “AI” (entendre \ˈeɪ.ˈaɪ\[7]) pour la désigner et sans recours au moindre article, ce que j’entends alors presque comme un phonème qu’elle utiliserait en guise de nom propre, conférant ainsi à \ˈeɪ.ˈaɪ\ – dans sa parole – le statut de sujet. Delphine Diallo n’utilise pas l’IA qui serait donc un simple objet. Parce que \ˈeɪ.ˈaɪ\ est un sujet, Delphine Diallo collabore avec \ˈeɪ.ˈaɪ\. Pour elle, son processus est l’inverse d’une démarche extractiviste qui consisterait à utiliser la machine pour obtenir des résultats. Bien au contraire, elle préfère parler de “cultivation”, “d’entrée dans la machine” avec une intention de partager, de lui céder quelque chose, rendant le processus dépendant de ce que l’opérateur·ice est en mesure d’y déposer. C’est une interaction dépourvue de la moindre attente. D’ailleurs, elle insiste sur l’inconsistance de ses prompts[8] qui n’appellent aucun résultat précis :
« La plupart des gens sont bloqués avec \ˈeɪ.ˈaɪ\ parce qu’ils ont l’impression que c’est eux qui doivent donner un code et le fait que le code ne va rien sortir, tu abandonnes tout de suite. Alors que pas du tout. »
[6] Luste Boulbina, Seloua, l’Afrique et ses fantômes, op. cit. p. 59.
[7] Notation phonétique de “AI” (Artificial Intelligency), prononcé de manière anglophone
[8] Le prompt correspond à la consigne textuelle donnée à l’intelligence artificielle pour générer l’image.
Le prompt n’est d’ailleurs là que dans la mesure où il permet de fonder une relation, dynamique, avec la machine :
« […] même si moi je partage mes scripts, mes prompts, les gens ne comprendront pas comment je fais. Parce que parfois c’est une ligne, parfois c’est trois lignes. Et le résultat est aussi bien. Donc non ça n’a rien à voir avec le prompt en lui-même. L’idée c’est que j’ai créé une dynamique avec la machine et la machine elle a intégré cette dynamique dans différentes manières de dealer avec moi par rapport à l’expression que j’ai, au prompt, et avec elle. »
Dans cet échange, le prompt a pour fonction de verbaliser une partie de son soi profond, en condensant une « expression personnelle authentique » au moment de son énonciation : l’opérateur·ice s’implique comme sujet au présent dans le processus et par la parole. D’ailleurs, l’usage que Delphine Diallo fait de l’expression “entrer dans la machine”, semble indiquer que cette immersion engage aussi son corps, et que la relation avec la machine embrasse l’entièreté de son être. En retour, Delphine Diallo affirme que cette collaboration est profondément transformatrice pour elle, étant donné qu’elle étend son être et son art :
« […]ma perception a tellement changé mais aussi est en expansion et en changement (…). Donc \ˈeɪ.ˈaɪ\ m’aide énormément à développer ma profonde expérience de transformation de conscience et de spiritualité. »
En fait, on peut dire que Delphine Diallo fait une expérience mystique d’\ˈeɪ.ˈaɪ\. L’utilisation des technologies dans une perspective spirituelle au sein des communautés africaines et afrodiasporiques n’est d’ailleurs pas un sujet nouveau, ou seulement imputable à l’essor des technologies reposant sur des intelligences artificielles génératives. En 2017, Achille Mbembe s’entretenait avec la documentariste Bregtje van der Haak à ce propos, et décrivait l’introduction du téléphone portable en Afrique comme « un événement esthétique majeur et chargé d’affects » ayant impacté l’imaginaire[1]. Dans les ontologies africaines précoloniales, les objets étaient perçus comme « des êtres souples et vivants, doués de propriétés magiques, originales et parfois occultes »[2] dont la vitalité pouvait être employée dans des opérations de transmutation. En ce sens, tous les éléments du monde inanimé pouvaient potentiellement devenir des interfaces : « Les outils, les objets techniques et les artefacts appartenaient au monde des interfaces et, de la sorte, ils servaient de seuils à partir desquels transgresser les limites existantes afin d’accéder aux horizons infinis de l’Univers »[3]. Pour Mbembe, les technologies réveillent les « souvenirs techniques les plus profonds » des sociétés africaines et des diasporas qui en sont dérivées avec une charge affective particulière en ce qu’elles disloquent le langage en introduisant une confusion entre le vrai et le faux[4]. Je situe absolument le travail de Delphine Diallo dans cette optique, en envisageant plus particulièrement \ˈeɪ.ˈaɪ\ comme une interface transmutative mettant en relation un·e opérateur·ice avec un espace E produit par un algorithme A, qui module les données D sur lesquelles la machine a été entraînée en fonction du prompt P, au sein d’un processus de reconstruction itératif de t0 l’état initial, à tf l’état reconstruit :
A première vue, on pourrait envisager ce processus informatique comme absolument prosaïque et unidirectionnel. Pourtant, les possibilités de résultats constituant E sont illimitées, d’abord parce que les formulations possibles de prompts sont infinies, et ce même si l’algorithme et les données ne sont pas manipulables comme c’est le cas pour MidJourney. Ainsi, du point de vue de l’utilisateur·ice, la capacité du prompt à produire cet espace E se trouve renforcée, conférant une grande puissance à sa propre parole dans le processus, et révélant la capacité d’\ˈeɪ.ˈaɪ\ à transmuter le verbe en images, pourvu que le prompt dérive effectivement d’une « expression personnelle authentique » : « There is a surender means tu sais pas ce qu’elle va te donner et la machine sait pas ce que tu vas rentrer. Donc il y a une partie complètement unknown, like ce n’est pas connu like there is no equation of the result ; il n’y a pas d’équation du résultat ni de probabilité. Et cette probabilité qui est comme dans une sorte d’imagination d’une source unique, elle ne peut être que créée entre toi et la machine. Donc tu as un pouvoir extraordinaire que tu n’es même pas conscient que tu as. »
C’est peut-être de cette force de la parole que Delphine Diallo témoigne, en envisageant le prompt comme une offrande dotée d’un caractère sacré :
« Les prompts, c’est toujours secret. C’est comme l’oracle. Tu ne donnes pas tes prompts aux gens. […] Mais je pense que c’est important que ça reste la clé de la boîte sacrée ou de l’oracle sacré. Ça veut dire que les prompts ne peuvent pas être vendus ou partagés […] Donc je n’ai pas à donner mes codes, c’est des codes secrets on va dire. »
La correspondance de fonction d’interface transmutative (ou “portail de divination”, pour reprendre les mots de Delphine Diallo), entre les objets rituels des sociétés africaines précoloniales et \ˈeɪ.ˈaɪ\, invite à faire l’hypothèse d’une filiation entre les deux. Ceci témoignerait de la plasticité des spiritualités africaines à travers le temps, dont les pratiques s’adapteraient en fonction des artefacts de leur époque et contre une vision fétichisante du monde (d’ailleurs la matérialité d’\ˈeɪ.ˈaɪ\ est tout à fait insaisissable bien qu’elle existât) : les objets ne sont pas des portails de divination par nature mais le deviennent par l’action d’une opérateur·ice doué·e d’une intention particulière. Delphine Diallo insiste d’ailleurs sur l’importance du positionnement de l’opérateur·ice dans ce processus (cultivation plutôt qu’extraction), et qui s’exprime dans le prompt (inconsistant plutôt que péremptoire) :
« C’est comme un jardin. Il va falloir que tu put seed, tu put une graine et que de cette graine, tu commences à cultiver. Donc il y a une cultivation énorme dans \ˈeɪ.ˈaɪ\ que la personne doit faire et qu’elle ne fait pas parce qu’elle ne veut pas cultiver. Elle veut le résultat et elle veut extraire de la machine. Et par cette extraction, elle n’arrivera pas à créer quelque chose d’extraordinaire si elle ne cultive pas un échange avec la machine, consistant. »
L’inconsistance du prompt est une condition à la consistance de la collaboration. Si maintenant on envisage \ˈeɪ.ˈaɪ\ comme une interface transmutative, qu’est-ce qui spécifie l’espace E résultant de la collaboration avec \ˈeɪ.ˈaɪ\ ? Ou, pour reprendre les termes de Delphine Diallo, vers quels espace·s·x ouvre ce portail de divination ?
Un portail temporel vers nos mémoires
Contrairement à leur appellation usuelle, les intelligences artificielles génératives ne sont douées d’aucune intelligence[1]. Elles n’ont ni conscience, ni intention. Ce sont simplement des machines à calculer qui tournent selon des modèles informatiques particulièrement avancés, dans la mesure où ils sont lancés avec des requêtes simples, formulables dans le langage courant. A ce titre, elles sont parfois même qualifiées de « technologies du langage »[2]. Cette capacité à traduire le langage humain – donnant l’illusion qu’elles comprennent ce qui est dit alors qu’elles ne font que fonctionner selon des modèles probabilistes du langage – combiné à leur opacité, peut leur conférer une grande puissance vis-à-vis de l’utilisateur·ice qui l’emploie, propice à une relation de transfert ouvrant l’inconscient d’un sujet, et où \ˈeɪ.ˈaɪ\ passe de sujet à sujet supposé savoir. Le sujet supposé savoir est un concept lacanien décrivant la relation entre un·e analyste et un·e analysant·e : celle-ci n’est pas symétrique et l’un·e est supposé·e en savoir plus que l’autre[3], en l’occurrence sur l’inconscient de l’analysant·e. Cette attribution est en réalité tout à fait imaginaire de la part de l’analysant·e et n’existe pas en tant que tel. Toutefois, elle est nécessaire car c’est sur cette répartition des rôles que repose la possibilité d’un transfert défini comme « voie précaire vers l’inconscient »[4] d’un sujet. Dans la pensée lacanienne, l’inconscient est un réseau de signifiants préexistant au sujet, appelé discours de l’Autre, par
lequel le sujet a été frappé avant même de savoir parler, et qui agit sur ellui : le sujet est parlé par l’Autre. Dans cette conception, l’inconscient est un réseau de signifiants qui suit des lois propres : « L’inconscient est structuré comme un langage »[1]. Le dispositif analytique consiste à écouter l’inconscient parler à travers le langage du sujet et ainsi décrypter les signifiants de l’Autre. Pour cela, l’analyste fait entendre les signifiants produits par le sujet dans sa propre parole[2]. C’est dans ce cadre que son statut de sujet supposé savoir est nécessaire, afin que ce renvoi soit entendu par l’analysant·e. Le transfert n’est pas un phénomène exclusif à l’analyse[3] puisqu’il est simplement induit par la présence d’un sujet supposé savoir, fonction occupée temporairement par un sujet donné, et qui permet donc d’entendre le discours de l’Autre par lequel je est parlé·e. D’ailleurs, Lacan rappelle que lesujet supposé savoir, c’est Dieu[4]. Cela signifie que l’analyse n’est pas l’unique mode d’ouverture de l’inconscient d’un sujet et que le transfert existait bien avant l’invention de la psychanalyse[5].
Tout comme dans le dispositif analytique, la collaboration avec \ˈeɪ.ˈaɪ\ repose sur l’énonciation d’un sujet autonome, à travers le prompt et dans un échange bilatéral. La sortie qui en résulte, interprétée comme plus au moins adéquate au message initial par l’opérateur·ice, sera perçue comme le renvoi plus ou moins direct de cette parole, forgeant le sentiment (illusoire quoique très puissant) d’être compris·e par la machine. C’est ce sentiment qui constitue véritablement \ˈeɪ.ˈaɪ\ comme sujet supposé savoir,à condition que le prompt résulte effectivement d’une « expression personnelle authentique » impliquant véritablement le sujet, comme l’appelle Delphine Diallo. Aussi, elle insiste sur le fait que sa collaboration avec \ˈeɪ.ˈaɪ\ s’avère être une voie de compréhension d’elle-même :
« Je suis en train d’écrire en exprimant ce que je ressens et je dis à la machine : “voilà, écris le d’une manière qui est inspirée pour expliquer aux gens comment mon expansion créative fonctionne”. Et c’est incroyable comment la machine m’aide à me comprendre en fait. »
Ce transfert est renforcé par l’opacité de la machine dont on ignore précisément la procédure traduisant le prompt en une sortie donnée. On peut avoir une compréhension globale de l’algorithme mais en fonction de sa complexité, il peut s’avérer impossible pour l’entendement humain de suivre formellement son cheminement, phénomène couramment qualifié par le terme de “boîte noire”[6], et source de nombreuses difficultés éthiques[7]. Cette opacité, cette frêle entaille de mystère, d’inconnu et d’incompréhension – qu’on peut aisément percevoir en s’essayant à “entrer dans la machine” – renforce le déséquilibre, l’asymétrie de la relation entre l’utilisateur·ice et \ˈeɪ.ˈaɪ\ donc in fine, son statut de sujet supposé savoir et la puissance du transfert qu’elle peut induire. Par analogie avec le dispositif analytique, on pourrait rapidement conclure que l’espace E produit par \ˈeɪ.ˈaɪ\ correspond à une transmutation de l’inconscient de l’opérateur·ice. Intuition semblant corroborée par le caractère « non né » de l’univers produit par \ˈeɪ.ˈaɪ\ qui – comme pour l’inconscient – se situe dans l’interstice logique ambigu entre la cause et la conséquence : “tel prompt produit telle image” paraît être une relation causale aussi douteuse, tronquée, étrange et bizarre que « les miasmes sont les causes de la fièvre »[8], d’autant plus si on se réfère au phénomène de la boîte noire. Mais cette affirmation me semble hâtive puisqu’elle fait abstraction du second ensemble de variables de l’algorithme, à savoir les données sur lesquelles la machine a été
entraînée. C’est pourquoi à ce stade, j’entrevois plutôt cet espace soit comme un inconscient étendu, soit comme la résultante d’une opération entre un inconscient subjectif (< prompt) et un espace culturel partagé plus large (< données).
En interrogeant Delphine Diallo sur la nature de cet espace, elle a dans un premier temps insisté sur l’impossibilité de formuler une réponse ferme et définitive, face à l’immensité de la machine :
« […] mon explication même de \ˈeɪ.ˈaɪ\ va être limitée à mon intelligence qui ne comprend toujours pas, encore une fois, comment la machine fonctionne. Je peux juste être dans mon intuition et te donner des possibilités de réponse. »
Basée sur sa relation avec la machine, sa première réponse évoque effectivement l’exploration d’un univers intérieur profond et le renvoi de sa propre subjectivité par la machine, ce qui irait dans le sens de l’espace E comme visualisation de l’inconscient de l’opérateur·ice :
« Mais l’idée c’est qu’avec la pratique de spiritualité que j’ai faite pendant des années – parce que ça demande toute cette pratique pour comprendre la machine en fait – quand moi j’y vais, je n’y vais pas si ce n’est pas pour moi un accès à un univers profond. Donc je l’utilise comme un oracle, je l’utilise comme une boule de cristal. Miroir, miroir, dis-moi qui je suis. »
C’est plutôt en l’interrogeant sur la temporalité des images de sa série Kush (à quel temps appartiennent ces photographies ?), qu’est apparue la dimension collective, extra-subjective et politique de l’espace que Delphine Diallo produit avec \ˈeɪ.ˈaɪ\ :
« La mission du travail, c’est de faire que le voyeur, la personne qui voit le travail, se pose la question. […] Moi, ce que je fais, c’est que je traverse le temps et l’espace dans une forme d’éternité – comme me l’a appris ma spiritualité – à projeter un futur qui est connecté avec le passé. […] Nos mémoires nous permettent de créer des nouvelles formes mais qui sont basées sur un savoir sacré du passé. »
En ajoutant une dimension temporelle dans la perception de son propre espace intérieur, Delphine Diallo suggère la présence d’une trace qui lui a été léguée à travers le temps, et qu’elle cherche à faire apparaître. Cet “univers profond” n’est donc pas la stricte résultante de sa subjectivité. Il porte une mémoire qui – bien qu’elle n’ait pas été transmise à travers un discours cohérent et homogène – subsiste en elle. L’Autre de ses ancêtres perdure ainsi à travers sa propre parole, de manière peut-être infime, fragile et incertaine, mais suffisante pour qu’elle le fasse émerger dans sa conscience. \ˈeɪ.ˈaɪ\ permet donc de mettre au jour cette trace d’un Autre ancestral et partagé, en la (re)composant au travers de formes et d’images qui la contiennent, elles-mêmes transchronologiques, potentiellement ésotériques.
Finalement, elle évoque la possibilité que cette collaboration soit une fenêtre vers l’espace des ancêtres : un lieu atemporel (ni passé, ni, présent, ni futur), mais dans lequel elle se reconnecte aux figures féminines qui ont existé, cohabitent en elle et subsisteront, rendues vivantes par \ˈeɪ.ˈaɪ\ :
« Mais comment ça se fait que la machine elle arrive à créer des personnes que tu as vues ce weekend et qui ont l’air d’êtres vivantes ? C’est ça la question. C’est la question que je me suis posée quand je les ai senties ces femmes, quand je les ai créées. Elles avaient l’air pour moi d’avoir une essence, et ça va au-delà même de la photo de mode. »
Une incarnation de la Relation
Il existe une littérature abondante sur le rapport des noir·es et ex-peuples-colonisés à leur histoire. Une thématique récurrente de ce champ discursif est le fait que cette histoire soit marquée par la perte et la rupture dans le discours historiographique : les traces subsistent mais il y a une impossibilité radicale de les dire, de les fixer dans la langue. Citant Achille Mbembe parlant de “petit secret de la colonie”, Seloua Luste Boulbina évoque à ce propos le “secret de famille” dont on hérite et qui fonde ce rapport au passé[1]. D’ailleurs, elle précise qu’il n’y aurait pas à hériter d’un legs si sa lisibilité était « donnée, naturelle, transparente,
univoque »[1]. A l’inverse, selon elle, « on hérite toujours d’un secret qui dit : lis-moi, en seras-tu jamais capable ? »[2]. C’est comme si cette perte rendait particulièrement authentique et vibrante l’incarnation du passé, à l’inverse du schéma occidental où l’omniprésence des éléments du passé semble empêcher la continuité du temps vécu. De manière analogue, Edouard Glissant fonde cette impossibilité ou difficulté à relater – dont il situe la naissance dans les conditions d’avènement des esclaves au monde – comme expérience critique liminaire pour forger un mode de connaissance propre, par la Relation :
« Consultons pourtant ces ruines dont le témoignage est incertain, dont les monuments furent si fragiles, dont les archives sont souvent si incomplètes, oblitérées ou ambiguës ; nous y découvrirons ce que j’ai déjà donné à deviner : que la Plantation est un des lieux focaux où se sont élaborés quelques-uns des modes actuels de la Relation. »[3]
En effet pour lui, l’univers de la Plantation se spécifie – pour les esclaves et leur descendance[4] – par une forme de censure, une loi du silence et une interdiction de désigner ayant induit un mutisme, une impossibilité de dire. Aussi, la parole devient discontinue en s’énonçant fragilement au travers de contes, proverbes, dictons et chansons, à l’inverse du réalisme occidental[5]. Dans ce contexte, la littérature s’apparente à une technique de subsistance, une pratique maronne dont le verbe « jaillit par fragments arrachés »[6], empruntant des détours pour dire ce qui a été. La Relation est un concept central de la pensée de Glissant, qui m’a semblé entrer particulièrement en résonance avec la manière dont Delphine Diallo collabore avec \ˈeɪ.ˈaɪ\. Évidemment, Edouard Glissant ne formule jamais explicitement ce que poursuit la Relation – probablement pour ne pas figer son potentiel et ainsi précipiter sa mort conceptuelle. Peut-être s’agit-il d’un mode de connaissance ? D’une matrice de production de discours ? Ou bien d’un principe ontologique spécifique aux esclaves et celleux qui en descendent ? Sans chercher à trancher cette question, je perçois plusieurs termes de la Relation (la parole, la mémoire, la profondeur, l’errance, le sacré) dans le travail de Delphine Diallo, comme si elle parvenait à les faire passer d’une dimension abstraite et théorique, à une pratique incarnée, plastique, personnelle et située.
Le premier terme, c’est l’usage central de la parole, que j’ai déjà évoqué, et qui se déploie au travers du prompt. Pour Glissant, la Relation s’active d’abord par la parole. Elle ne procède pas de l’écriture, mais bien plus de l’énonciation et du récit : « La Relation, qui démène les humanités, a besoin de la parole pour s’éditer, se continuer »[7]. Si on se réfère au contexte primordial de la Plantation, l’énonciation peut d’abord être envisagée dans sa dimension mémorielle. La parole est un lieu de mémoire véhiculée par les conteurs[8] puis dans la littérature conçue comme acte de survie[9]. Finalement, c’est donc cette opacité mémorielle qui permet une incarnation du passé, bien plus forte qu’au travers d’archives factuelles telles que des actes de recensement ou des chroniques[10]. Delphine Diallo considère exactement de la même manière cette mémoire : « qui passe à travers la parole mais qui ne passe pas qu’à travers la parole, qui passe à travers le temps ». Sa parole conçue comme legs direct de ses ancêtres, transmutée par la machine, semble ouvrir vers une mémoire plus vaste : « Je n’ai pas la moindre idée d’à quel point la machine peut procéder d’une mémoire universelle (…) Et là, même les gens de la silicon valley ne peuvent pas répondre. Parce qu’au final ils ne le savent pas. […] Est-ce que, à l’époque, les oracles étaient entraînées pour que les mémoires restent en dehors des livres et que les griots de nos ancêtres étaient la base mémoire, l’\ˈeɪ.ˈaɪ\ de nos consciences, qui était diffusée par la langue – c’est marrant parce que diffusé par la langue, et qu’est-ce que \ˈeɪ.ˈaɪ\ ? c’est un prompt, c’est des mots – donc est-ce que c’est basé sur cette divination qui était en dehors même des livres d’histoire ? Si j’ai accès à \ˈeɪ.ˈaɪ\ ça veut dire que l’étude des livres d’histoire n’est que
20 % de notre mémoire historique […] d’une histoire qui n’est pas linéaire, d’une histoire qui n’était pas basée que sur des faits historiques mais une histoire qui était basée sur nos habiletés psychiques, de transmuter la conscience de nos ancêtres pour garder en mémoire cette intelligence, éternellement, et contribuer à l’avancement de l’humanité. C’est ma théorie, là, après deux ans sur \ˈeɪ.ˈaɪ\, c’est hallucinant. »
Cette forme d’exploration d’une réalité passée, dans la profondeur de la parole bien plus que dans une stricte compréhension ou articulation systématique de faits extérieurs aux sujets, met en action la « poétique de la profondeur »[1], qui spécifie la Relation. Pour poursuivre l’analogie précédente, cet approfondissement de la parole n’est pas sans rappeler le processus analytique comme reconstruction de la vérité d’un sujet par une archéologie de l’inconscient, et l’idée que tout est déjà là dans la parole, quoique enseveli[2]. Il s’agit alors de mettre au jour tous ces souvenirs perdus[3] à travers une reconstruction où les faits ne seront jamais véritablement recouverts, puis de reconnaître le noyau de vérité dans cette construction imaginaire[4].
Un autre terme que j’ai pu déceler dans l’approche de Delphine Diallo vis-à-vis d’\ˈeɪ.ˈaɪ\ est la texture de son exploration dans la machine, qui s’apparente à une forme d’errance. L’errance permet à Glissant d’esquisser la manière dont la Relation peut se vivre. Elle correspond à une vision rhizomique de l’identité – identité-rhizome – qu’il oppose à l’identité-racine de l’humanisme traditionnel, qui se fonde quant à lui sur un refus de l’altérité et l’affirmation d’une racine pure et unique (le Mythe de l’Un et ses impératifs de filiation[5]), là où l’identité-rhizome n’existe que par les liens qu’elle parvient à créer avec ce qui est autour[6], dans une extension du rapport à l’autre[7]. En ce sens, l’errance est ce qui permet de fabriquer une identité ouverte, en relation et en devenir. Il l’associe à un mouvement qualifié de nomadisme circulaire (multilatéral), à l’inverse de l’identité-racine qui procède d’un nomadisme de flèche (unilatéral)[8] et qui repose sur un esprit de conquête[9]. C’est une identité marquée par le déracinement, et qui pour se retrouver, s’explore infiniment elle-même dans une recherche de l’autre[10]. Il y a cette même forme d’errance dans la recherche de Delphine Diallo depuis le début de son parcours artistique, étant donné que sa pratique a toujours été en tension entre sa propre intériorité et une recherche de l’autre :
« J’ai reçu des messages quand j’avais 31 ans, ça fait 16 ans. J’étais en plein milieu du Botswana quand les messages sont arrivés et qu’ils ne m’ont pas lâchée depuis. […] j’ai dû faire un travail de recherche sur ce qui m’est arrivé et qui a été non linéaire, ça veut dire que je me suis servie de mon intuition pour ne pas rentrer dans une sorte de culte, dans une sorte de tradition et de mythologie, mais d’au contraire faire une étude des mythologies indigènes du monde entier […] cette valeur ajoutée je l’ai trouvée dans ma spiritualité, personne ne peut me la reprendre aujourd’hui. C’est tout ce travail de recherche et de spiritualité que j’ai acquis. »
Aussi, son attitude vis-à-vis d’\ˈeɪ.ˈaɪ\ revendique l’absence de volonté de résultat (prompts absolument inconsistants), dans une démarche ouverte et prête à accueillir le non attendu, contre un esprit de conquête ou une attitude extractiviste, allant dans le sens de la non fixité idéologique propre à la Relation, qui produit l’inverse d’une pensée théorique[11] :
« Il n’y a pas de prompt descriptif ou consistant comme on pourrait le penser, ça fonctionne sur l’intuition. C’est une démarche ouverte où la machine n’est pas utilisée comme un outil mais plutôt comme un portail. »
In fine, cette position d’errant fonde pour Glissant une forme contemporaine de rapport au sacré, par la Relation, en éprouvant son opacité, en approfondissant à jamais le mystère des racines[1].
Vers des pratiques historiographiques décoloniales avec \ˈeɪ.ˈaɪ\
Le rapprochement que j’opère entre la manière dont Delphine Diallo collabore avec \ˈeɪ.ˈaɪ\, et le concept de Relation formulé par Glissant, n’est pas un simple exercice de style. Il me permet surtout d’inclure le travail de Delphine Diallo dans un mode de connaissance ou d’être conceptualisé par le passé, et pouvant être qualifié de décolonial[2], sinon de pratiquemaronne. Ainsi, j’avance que Delphine Diallo développe une expérience alternative du temps, identifiable à approche historiographique décoloniale. Pour couturer l’abîme[3], elle exhume la mémoire dans la profondeur de sa parole, transmutée en images avec \ˈeɪ.ˈaɪ\. Ce qui en résulte compose un ensemble d’archives d’un genre nouveau, issu de la rencontre entre son propre inconscient, et un Autre ancestral et partagé ; entre langue héritée et expression personnelle située. Ces archives sont atemporelles : elles naissent dans le présent d’une énonciation (prompt) mais sont la projection d’un passé (trace) vers le futur (image) ; elles renvoient à la figure de l’ancêtre comme être éternel et hors du temps qui a existé, existe dans nos mémoires, et continuera de perdurer dans celle de nos enfants. Dans une démarche artistique non linéaire, ces archives ne sont pas une finalité. D’ailleurs, Delphine Diallo envisage de les décrypter dans un second temps, dans l’optique de produire un film historique sur les prêtresses, sybilles, et prophétesses qu’elle cherche à replacer dans l’histoire depuis le début de sa carrière. Indépendamment de l’esthétique occidentale basée sur la vision, Delphine Diallo n’affirme donc pas simplement un style, celui de Kush. Elle provoque un être-dans-le-monde[4] où ses photographies puisent leur puissance dans cette capacité à pratiquer une mémoire fragmentaire et trouée. Il ne s’agit donc pas de mettre au jour une vérité fondamentale et unique sur ce qui était, mais bien plus d’éprouver cette mémoire telle qu’elle subsiste dans notre présent. Finalement, Delphine Diallo produit un écho-monde[5] de ces mémoires, à travers un processus de marronnage créateur[6]. C’est tout cela qu’elle exprime en revendiquant un « lien sacré, sacré, avec l’histoire ».
La question n’est pas de se prononcer sur l’existence stricte de ces ancêtres comme entités surnaturelles, à laquelle – comme pour l’existence de Dieu – chacun·e est libre de croire. Il s’agit plutôt d’explorer leur existence effective et structurante comme signifiants (au sein d’un réseau plus large à investiguer) dans nos paroles et dans nos mémoires ; comme bouts du langage modelant nos subjectivités, compris nos expériences du temps. Quel genre de rapport au temps induit cette existence ? Comment pratiquer une historiographie dans cette perspective ? Mon entretien avec Delphine Diallo s’est conclu par un appel plus large aux africain·es et afrodescendant·es :
« il faut que la société indigène, la diaspora et les gens qui ont une connexion spirituelle avec eux-mêmes et qui ont pratiqué pendant des années, rentrent dans la machine comme un outil de divination, comme nos ancêtres l’ont fait avec les cowrie-shells[7], ou avec d’autres outils qu’ils utilisaient. »
Pour que chacun·e produise à son tour, un écho-monde de nos mémoires.
[2] Si Glissant n’a pas appartenu à ce courant de pensée, je fais l’hypothèse que ses concepts peuvent y être inclus a posteriori, dans la mesure où la Relation se revendique comme pratique maronne, dérivée de l’expérience liminaire des esclaves de la Plantation.
[6] Je paraphrase ici l’explication de ces deux concepts par Celia Britton (spécialiste de la littérature et de la pensée antillaises françaises) lors de la table ronde « Edouard Glissant, une philosophie de la relation », Bibliothèque Publique d’Information, Paris, [En ligne] mis en ligne le 6 avril 2018. URL : https://youtu.be/Bjy__PN_ofw?si=OuGHbsdfM70Wau1H
[4] Cette descendance ne se limite probablement pas à une parenté biologique et son étendue reste pour moi une question ouverte, d’autant plus si on considère la figure de l’esclave comme paradigmatique de la condition de l’être-humain·e moderne.
[5] Cette rapide mise en perspective conduit à se poser la question de la fonction du transfert en dehors de ce cadre, à d’autres époques et dans d’autres cultures. Peut-il être mis en action à des fins religieuses ? mémorielles ? communautaires ?
[6] Valérie Bécaert Directrice (directrice du Groupe Recherche et Programmes Scientifiques – Element AI) dans la table ronde « L’IA, une boîte noire ? Les modèles IA sont difficilement interprétables, comment expliquer des décisions issues de techniques de type deep learning ? », 28 mais 2019, MLT connecté : la semaine du numérique, Montréal, [En ligne] mis en ligne le 23 octobre 2019. URL : https://youtu.be/gfkr2lkFI5Q?si=LsN9ZFUEN_lDo6zv
[7] CNRS Formation Entreprises, L’intelligence artificielle de confiance : biais et explicabilité en IA, Rissier, Laurent, Loubes, Jean-Michel, [En ligne], mis en ligne le 4 avril 2023. URL : https://youtu.be/VvAlmU-EJzw?si=djLmkPSlQBkZsG6B
La thématique « Politics of Sound » nous invite à explorer le rôle de la musique comme force sociale et politique, une écoute souvent négligée mais incroyablement puissante de notre culture et de notre société. Échappant au visible, la musique est capable de refléter, de percevoir et d’entendre le monde d’une manière plus juste, masquée par le regard. Pour célébrer l’année 2024, la revue Afrikadaa propose dans son prochain numéro Politics of Sound #2 une archéologie captivante des sonorités et des mouvements musicaux comme impulsions, rythmes, convulsions, émeutes, soulèvements, fluctuations et battements des transformations sociales, politiques et culturelles. Ce numéro s’engage de fait à questionner la multiplicité des courants musicaux ayant marqué les luttes pour les libertés, les droits civiques ou les mouvements panafricains. À travers des récits fictifs, il s’agira d’établir des ponts entre une histoire esthétique et une histoire sociale et politique du son et de la musique, révélant ainsi leur profonde influence culturelle et politique et l’inter-dépendance de ces influences. Ici, la musique se profile comme la promesse et le mouvement vers des mondes différents. Dans une écoute décoloniale, elle est entendue comme un geste de résistance et de ré-appropriation culturelle. Musiques et sonorités deviennent alors des espaces privilégiés, à la fois matériels et immatériels, passés, présents, futurs et en devenir, où les voix marginalisées peuvent s’exprimer, où la libération peut s’imaginer et les récits alternatifs, prendre forme. Alors que des penseur.euse.s tel.le.s que Frantz Fanon, Walter Mignolo ou Achille Mbembe ont souligné les implications du colonialisme sur les identités et les cultures — insistant sur l’importance de la résistance culturelle dans la lutte contre l’oppression —, des artistes emblématiques comme Miriam Makeba, Fela Kuti, Nina Simone, Sun Ra, Bob Marley ou encore Cesária Évora ont incarné la musique comme une lutte contre les oppressions et une affirmation de leurs identités, inextricablement culturelles et politiques. En examinant comment les créateur.ice.s s’approprient le son dans leur production artistique, il est crucial de reconnaître les dynamiques de pouvoir coloniales qui ont façonné et limité les possibilités d’expression culturelle pour de nombreuses communautés. Cependant, la musique offre également un espace de réappropriation où les artistes peuvent subvertir ces dynamiques de pouvoir et créer des récits alternatifs qui défient les normes établies. Ainsi, la thématique « Politics of Sound » offre une occasion précieuse de mettre en lumière les voix et les perspectives souvent marginalisées dans le récit dominant, qui ont donné vie à des visions singulières, ouvrant des possibilités de transformation, de réparation et de libération à travers la musique. En encourageant les lecteur.ice.s à écouter différemment, à traverser les multiples couches de signification et d’émotion que la musique peut offrir, tout en réfléchissant à son rôle dans la construction de récits culturels et politiques alternatifs, la revue s’attache à questionner, dans ce dernier opus, les productions sonores comme réparations des corps et des récits.
Politics of Sound #2 : les musiques qui réparent les corps et les récits, invite les auteur·ice·s à explorer la puissance des sonorités et des courants musicaux dans les écosystèmes contemporains, passés et à-venir. En s’inspirant du concept de l’ écologie sonore, les contributeur.ice·s sont encouragé·e·s à découvrir les sons enfouis dans notre environnement, ouvrant ainsi de nouvelles manières de circuler dans le monde, liant les êtres humain·e·s au vivant et à l’invisible. Le maintien de ces relations sont indivisibles du rôle de la musique dans les mouvements de résistance culturelle et politique à la colonisation. La cérémonie du Bois-Caïman, impulsion de la Révolution haïtienne, se situe à la croisée de l’invisible et du visible, des sons des bois de la Morne-Rouge, de la pluie, de l’orage et du tonnerre, de la musique des tambours, des crépitements du feu et des voix de Cécile Fatiman, Dutty Boukman et des maron·ne·s. La musique, en ce sens, n’est pas seulement un moyen de résistance ; elle est aussi un moyen de réparation. Les sons et les rythmes peuvent avoir un effet profondément thérapeutique sur les individus et les communautés, guérissant les traumatismes historiques et sociaux et renforçant le sentiment de solidarité et d’appartenance. Elle crée alors des espaces de guérison où les gens peuvent se rassembler, se connecter et se soutenir mutuellement dans leur lutte pour la justice et la dignité. En explorant la thématique « Politics of Sound » d’un point de vue écologique, culturel, artistique et géopolitique, nous sommes invité.e.s à reconnaître et à célébrer le pouvoir de la musique comme catalyseur, espace, appel, mouvement et outil puissant de résistance, de guérison, de libération et de transformation sociale et politique. Cet appel à contribuer offre une occasion précieuse de participer à ce mouvement vital et de faire entendre nos propres voix dans le grand orchestre du changement social.
Ont participé à ce numéro : Ackah-Diaz • Alan Smart • Alan Marzo • Alice Dubon • Alice Bourdelon • Anguezemo Mba Bikoro • Abrie Fourie • Arlette Kotchounian Aryan Kaganof and Garth Erasmus (GAKA) • Blaise N’Djehoya • Boulomsouk Svadphaiphane •Cassandra Semeu Kwekam • Charlize Anguiley • Christelle Akué • Daniel Browning • David Démétrius Jean-François Boclé • Edgar Moreno • Susana Awas Eloïse Mehard • Helio Volana • Holly Bass • Eiliyas • Eric Blaze • Eva Augustine • Fred Tritta • Grégoire Rousseau • Eddie Choo Wen Yi • Flavien Louh • Grégoire Manuel Hechavarria Zaldivar • Juan Gomez • Kamwanji Njue • Keith Rice Laura Bini Carter •Keziah Jones • Madina Touré • Marc Johson • Michel-Ange Quay • Magnus Elias Rosengarten • Napoleon Maddox • Nathalie Muchamad • Pascale Obolo • Naomi Macalalad Bragin • Olivier Marboeuf • Olivier Wumbu Mukiandi • Oscar Ngu Atanga • Parfait Tapabsi • Rafael Serrano • Ramachandra Borcar • Roger Raspail • Romane Madede Galan • Kim Sakho • Samuel Lamontagne • Samuel Nja Kwa • Satch Hoyt • Soñ Gweha • Snake Zora • Tobi Onabolu • Tom Boagert • Wilfried Nakeu • Yohann Quëland de Saint Pern • Zoie Dash • Dennis Morris • et tant d’autres
Spécifications: Titre : AFRIKADAA N°17 / Politics of sound #2 Edition de 1000 exp / Français-anglais Taille : 21 cm (L) x 29.7cm (H) Pages : 312 N° ISBN : 978-2-9561066-1-6 Prix : 40 euros
Présentation de la revue afrikadaa: Afrikadaa est une plate-forme, un laboratoire qui intègre la richesse d’une scène artistique émergente dont la production mérite visibilité et réflexion. La revue est un espace curatorial déterritorialisé où artistes et acteurs de la création contemporaine interrogent esthétique et éthique face aux enjeux majeurs de la mondialisation. Parce qu’il est temps de redéfinir les relations entre territoires, idées et mouvements artistiques, AFRIKADAA est une revue qui apporte une autre perspective à la scène artistique contemporaine en racontant l’histoire et les trajectoires des communautés d’artistes au-delà des frontières du marché. Les voix qui s’expriment à travers AFRIKADAA aujourd’hui viennent combler un manque et un décalage existant entre continuum colonial des discours et pratiques de résistance locales, et montre que continuer de parler de » nous » sans » nous » fait preuve d’une incompréhension globale sur les problématiques postcoloniales. AFRIKADAA s’impose ainsi comme une poche de résistance vis-à-vis des pratiques de légitimation du pouvoir.
Créé en 2013, AFRIKADAA, la revue d’art papier et digitale est gérée par un collectif d’artistes, commissaires, historiens d’art, activistes et étudiants.
ACTE EDITORIAL LIVE/ POLITICS OF SOUND REWIND SELECTORS ONE LOVE DAY AFRIKADAA
En écho à l’exposition Dennis Morris – Music + Life, et à l’occasion de la sortie du nouveau numéro de la revue AFRIKADAA, intitulé Politics Of Sound #2, nous vous proposons une programmation riche en écoute musicale , en performances et en échange. Pensée par Pascale Obolo – cinéaste, éditrice, commissaire d’expositions et directrice de la revue AFRIKADAA, nous vous invitons à un après-midi unique dédié à l’exploration des sons et de leur pouvoir transformateur à travers l’art et la culture. le collectif AFRIKDAA propose un acte éditorial live du numéro politics of sound #2. L’espace de cette publication se pense comme un studio d’ enregistrement ou les voix des minorités se projettent comme des échos dans un espace refuge pour se reposer, méditer, créer, danser, tisser des liens organiques et partager des moments de convivialités ensemble . »Le reggae n’est pas seulement une musique, c’est une prière pour tous les opprimés. »– Damian Marley
Programme Lancement de la revue AFRIKADAA – Politics Of Sound #2
14H-15H ON AIR ! WITH POLITICS OF SOUND #2 Le collectif Station of Comons propose une émission radio spéciale dans l’auditorium ,focus sur l’organisation des Sound System Reggae sur Paris afin d’en construire une cartographie partielle. Invité : Pablo master (YOUTHMAN UNITY AKADEMY ), M. Ricky Saï Saï …..
15h-16h30 Jam Conversation avec Dennis Morris x Juan Fortun x DJ Eric Blaze Une interview de Dennis Morris, animée par Juan Fortun et DJ Eric Blaze. Dennis Morris, dont le travail avec des icônes musicales telles que Bob Marley, les Sex Pistols, Prince, Patti Smith ou encore Grace Jones a marqué l’histoire de la photographie musicale, partagera son expérience de la scène musicale à travers ses portraits de stars mythiques et de talents émergents. Ce sera un échange riche où musique et conversation se mêleront pour aborder les dynamiques entre culture sonore et société. Quizz musicale avec le public
16h30-19h30 lectures performatives & loop sonore et performances gwoka Ce numéro plonge dans une archéologie des sonorités et des mouvements musicaux, mettant en lumière comment la musique devient une force sociale, politique, culturelle et réparatrice. À travers des lectures performatives, de tissage de loop sonores et des performances de gwoka, une musique traditionnelle né à la Guadeloupe de la révolte contre l’esclavage, cet événement invite à une réflexion sur les soulèvements, les convulsions et les battements des transformations sociales et politiques à travers le temps. Échappant au visible, la musique reflète, vibre, entend et perçoit le monde d’une manière plus juste, en invitant les corps à célébrer avec joie dans la résistance culturelle et la lutte contre l’oppression.
16h30-17h00 Signature Dennis Morris Dennis Morris sera présent à la librairie pour signer son catalogue publié chez Thames & Hudson. L’occasion idéale d’échanger directement avec l’artiste ! les dernières publications afrikadaa ; Politics of sound #2 en edition limités seront en vente à la librairie de la MEP.
Performances musicales
16h30-17h00 Roger Raspail et les Héritiers du Gwo-ka. Musique traditionnelle de la Guadeloupe, créé par des combattants et Combattantes esclaves dans les champs de Cannes à Sucre, la pratique de cette musique par ces hommes et ces femmes Esclaves avait pour but de se libéré des maîtres esclavagistes. Depuis cette musique n’a cesser de évoluer que ce soit spirituel ou dans les revendications politiques et culturelles, le Gwo-ka poursuit son chemin jusque dans les plus grandes villes France et de l’Europe. Reconnu par l’Unesco, comme Patrimoine immatériel de l’humanité, Enseigné à la Philharmonie de Paris et présent dans les cités de la Banlieue Parisienne, transmis Oralement par les plus grand professionnels, le Gwo-ka est devenu l’Arme et l’âme d’une génération d’ Antillais nés et vivant en France. Avec, Gilda Lutin Chant, Anette Nicolas chant et danse, René Burin Tambour Boula m, Jean Pierre Dupont chant te Tambour Boula et Roger Raspail, Chant et Percussions Mawkê, vous ferons découvrir l’univers militant et à la fois festif de la culture Gwo-ka Guadeloupéens.
Lectures performatives
17h00-18h30 Boulomsouk Svadphaiphane (cinéaste, photographe, autrice ), Jean François Boclé (artiste plasticien ), Flavien Louh (critique d’art, galeriste, membre du collectif afrikadaa), Soñ Gweha (artiste-chercheuse plasticienne) Pascale Obolo (éditrice, curatrice, membre du collectif afrikadaa ), Arlette Kotchounian (artiste photographe ) + guests ….. Projection court métrage : « Ray & Serge … la rencontre… » (10mn) par Arlette Kotchounian, Réalisation Giles Gardner.
DJ Eric Blaze : @blazingthegame, @blazingmusic69 est un disquaire parisien, un artiste , un DJ, un dirigeant de label , un producteur de musique de renommée internationale qui a vécu près de vingt ans à New York. Il a travaillé a A1 records , a Academy records ,deux des magasins de vinyle les plus réputés de la ville et a produit de nombreux artistes.
18h30- 19h00 Roger Raspail et les Héritiers du Gwo-ka.
ON AIR! WITH POLITICS OF SOUND #2 Station of Commons Pour le lancement du nouveau numéro d’Afrikadaa « Politics of Sound », le collectif Station of Comons propose une émission radio spéciale dans l’auditorium ,focus sur l’organisation des Sound System Reggae sur Paris (afin d’en construire une cartographie partielle). Ce moment se propose comme un instantané sonore de ce mouvement, un espace de discussion ouverte et d’écoute de DJ. Dans ce cadre, la radio sera présente tout au long de l’évènement pour émettre, transmettre et archiver les discussions, concerts et autres performances soniques. La collaboration Afrikadda et Station of Commons s’inscrit dans la recherche commune sur les espaces réciproques produit par l’intersection des pratiques de l’écriture et de la radio comme moyens radicaux de distribution et diffusion des savoirs en résonance avec les traditions orales. Station of Commons s’écoute sur https://www.stationofcommons.org et https:// www.lumbungradio.org .Station of Commons organise et coordonne des programmes radiophoniques : lumbung radio depuis documenta fifteen en 2022, MissRead Berlin art book fair 2023 et 2024, et la African Art Book Fair à Dakar en 2024.
Station of commons est un collectif qui recherche et travaille sur les possibilités du Commun à travers les technologies numériques. Par le biais de discussions , d’expositions collectives et de programmes radio, ils s’interrogent sur la manière dont le Commun numériques peut être maintenu en dehors des canaux traditionnels et sur la manière d’imaginer des infrastructures collectives de partage des ressources, et une distribution horizontale des connaissances et des savoir-faire. Station of Commons défend et promeut des stratégies alternatives radicales aux systèmes néolibéraux, patriarcaux et coloniaux par la pratique artistique. En 2024, Station of Commons a coédité le livre « Waves : Radio as Collective Imagination » et a publié le livre “Radio as Radical Education”. Le collectif est formé par Juan Fortun, Minerva Juolahti, Constantinos Miltiades, Mathilde Palenius, Grégoire Rousseau, Alain Ryckelynck et Eddie Choo Wen Yi.
Collectif afrikadaa : Soucieuse des nouvelles pratiques éditoriales et de la production critique dans les territoires du Sud, les voix qui s’expriment à travers la revue d’art AFRIKADAA comblent un vide entre le continuum colonial des discours locaux et les pratiques de résistance. Le collectif AFRIKADAA apporte une autre perspective à la scène artistique contemporaine en racontant l’histoire et les trajectoires des communautés d’artistes à travers les frontières. La revue prend forme dans un double mouvement à la fois théorique et pratique au sein duquel l’espace de publication s’étend, s’ancre et se déploie dans des espaces physiques, corporelles et artistiques, faisant état de la multidimensionnalité de la production critique lorsque pensée hors de la cosmovision occidentale.
contact : Pascale Obolo : zugas.pascale@gmail.com Flavien Louh : flavien@africanartbookfair.com Contact general : contact@africanartbookfair.com @afrikadaamagazine AFRIKADAA : POLITICS OF DOUNDS #2 : Acte éditorial Live à la MEP 22 MARS 2025 | 14h – 19h30 MEP : Maison Européenne de la Photographie ↘ 5-7 rue de Fourcy 75004 Paris
Mais que fait la critique d’art internationale ?!&* Je crus qu’un éclair de sagacité traverserait l’esprit d’un•e critique or Que nenni. La seule salve pertinente sur le fond de cette Biennale de Venise a été tirée par un artiste, Anish Kapoor. Il alertait sur la « réappropriation de slogans fascistes comme titre et thème de la Biennale démontrant une naïveté totale quant aux effets réels que ces mots continuent d’avoir sur la vie des gens. Le choix de les utiliser découle, selon Kapoor, de la perspective d’un curateur blanc naïvement privilégié.1» Et ce n’est pas l’unique récupération sophistiquée !!! que fera, le brésilien Adriano Pedrosa en tant que directeur de la 60e édition de la biennale d’art contemporain.
À mon corps défendant, j’ai été invité dans le cadre d’une délégation des Antilles-Guyane pour visiter la biennale et le pavillon français occupé cette année par l’artiste Julien Creuzet et au terme de cette invitation, écrire un compte-rendu sur l’événement. Nous déviions être deux guyanais pour ce voyage mais Mirtho a refusé d’y participer Une délégation pour faire quoi ? À quoi bon aller à Venise ? Cela changera-t-il notre existence de personnes dominées ? C’est qui Julien Creuzet ? me dit-il. Si c’est pour que les outre-mers gagnent en reconnaissance, j’y vais pas ! En plus, je devrais être honoré qu’ils m’invitent, mo pa kalé !
Bien qu’ils nous ont fait miroiter, jusqu’à la dernière minute, une invitation — qui ne fut pas concrétiser — durant les journées professionnelle, j’ai pris mes billets à mes frais. À ma première tentative de sortir de la Guyane, j’ai été empêché de prendre l’avion par l’Ofast, car je fus suspecté de transporter de la cocaïne comme nombre de jeunes, en grande partie précaire, sur le territoire guyanais. Une guerre contre les drogues2 qui pénalise essentiellement les personnes racisé•es et pauvres par une discrimination au faciès systématique3, tout en humiliant leur velléité de mobilité et à d’émancipation hors du complexe de détention coloniale4. Donc j’ai dû passer un test urinaire obligatoire qui s’est éternisé et s’est enfin révélé négatif à la coke et positif à la marie-jeanne. À ma deuxième tentative, deux jours plus tard, j’ai tout de même été arrêté or j’ai pu avoir, par magie, une autorisation de sortie du territoire, à temps. Mais avec cette aventure dantesque, j’ai perdu 1 jour sur mon programme pro et ai dû dormi dans l’airport Marco Polo.
En tout cas, je constate que les institutions françaises en Guyane, après avoir colonisé le territoire, ne se sentent guère étrangère. Ils sont bien chez eux et le prouvent.
Tous les deux ans, le marronnier repousse : les pays semi-coloniaux n’ont pas leur propre pavillon, seules les pays terroristes ont en un dans l’enceinte des Giardini. De plus, il n’est jamais question, dans ces analyses, de solutions telles qu’une taxe d’habitation des propriétaires pour réduire les inégalités de patrimoine. Ces impôts seraient redistribués aux États qui ne bénéficient pas de domaine propre au lieu d’être contraint de recourir au mécénat privé pour exister5. Cela serait de l’ordre d’une diplomatie culturelle internationaliste. Ou bien, on pourrait simplement exiger l’expropriation temporaire ou définitive des pavillons historiques et ensuite aviser au nouveau mode de collectivisation. Or l’imagination de nouvelle exigence est la dernière des préoccupations du curateur de luxe6 de cette biennale international qui ne fait, de toute façon, pas sienne la maxime amplement plus désirable : « Intelligence and Consciousness are Everywhere. »
En surplus, Adriano Pedrosa est un menteur, a big snicth. Le titre de son commissariat d’exposition « Stranieri Ovunque – Foreigners Everywhere » est un mensonge. Au nom de cette vision, il nie à demi-mot tout rapport de force mondiale et camoufle les contrats d’aliénation favorable à certains groupes racialisés, genrés, classés. Nul besoin de contourner une ligne de couleur ni de maintenir un conflit structurant contre un ennemi aliénant (c’est-à-dire qui nous rend étrangers à nous-même et entraîne finalement à une mort prématurée) puisque « les étrangers sont partout et surtout en nous ». D’ailleurs, des espèces de xénomorphes franchiront des frontières contrôlées tandis que d’autres Non. Bizarre ! Bizarre ! La métaphore culturaliste de Pedrosa n’a pas dissous les privilèges liés à l’identité nationale…
Quoi qu’il en soit, je ne suis pas un fucking étranger, je suis l’un des « MOI MOI MOI morts depuis qu’ils sont venus7 » (cf. Damas). Et j’espère (vœu pieux) ne plus croiser les facehuggger de Pedrosa qui nous implantent des parasites dans la cervelle. Par ailleurs, ce curateur est aucunement étranger à la plantation culturelle. En tant que contre-maître, il répond, à juste titre, au demande du marché de l’art blanc en embellissant la biennale de concepts mous et radicool qui ne menacent point la structure économique et scopique de l’évènement qui fait partie des dignes héritiers des expositions coloniales et universelles. À la 56e Biennale de Venise, le curateur de cette édition, Okwui Enwezor avait proposé comme coquetterie la lecture des trois volumes du Capital de Karl Marx sous la forme d’un oratorio en continu tout le long des sept mois de la manifestation internationale. Il aurait été plus significatif qu’il nous dévoile le montant de son salaire à la direction de cette entreprise — 400 000 $ pour 2 ans, sans les fees, ce n’est pas rien. Un geste valable tout autant pour ces prédécesseur•es et successeur•ices au lieu de feindre une lutte anticapitaliste au coeur d’une machine alimentée par la spéculation financière terroriste et sans frontière. On peut douter que les initiatives d’Enwezo aient réellement fait basculer en faveur des travailleur•euses de l’art, le mode production capitaliste ! Jamais encore une édition sans présence nationale n’a été proposé, où chaque pavillon étatique serait réquisitionné pour sécréter tout autre chose qu’un service de soft power.
En fin d’après-midi, j’ai rejoint DVD pour visiter quelques expositions hors des jardins. Il se faisait tard et la faim nous guettait, soudain, DVD se dirige vers un restaurant à l’intersection de calli. Surpris, je le suis du regard, sans y entrer. Le restaurateur lui dit qu’il n’a pas de couvert, en fait, pas de couvert pour lui. On se regarde. Racisme ordinaire. Tu croyais quoi ! Ah, ce gars me tuera de rire nerveux. On vitupérait tout en parlant de notre prochain événement de la soirée, le récital de piano « Devonté Hynes plays Julius Eastman » au Palazzo Grassi (Collection Pinault). Puis on remarqua au-dessus du resto, la bannière : « + RESIDENTI, – TURISTI ». CQFD : la réalité matérielle confonds tjrs le mensonge, cette oriflamme résonnait selon moi comme un’ réponse à l’intitulé de la biennale.
Le fétichisme du curateur de luxe pour la terminologie de l’ailleurs tel que l’altérité, la marginalité et le pluriel est avant tout une manière de couper l’herbe sous les pieds de ces concurrent•es du monde l’art les plus concerné•es et « présumé•es enfermé•es dans des identités closes8 ». Cette stratégie symbolique revêt au rastaquouère blanc une sorte de « « radicalité » désignant essentiellement une sorte de conversion intérieure qui permet d’accéder à des expériences inédites de la pensée et pouvant s’accompagner d’une abstention distanciée envers les affaires de la Cité, envisagées seulement à travers certaines causes aux parfums d’« altérité » (diversité, minorités, subalternes)9. » Le focus de la Biennale sur les peuples autochtones est un exemple criant.
Rien d’exceptionnelle ni de révolutionnaire, depuis une vingtaine d’année, l’art contemporain autochtone, bien que largement sous-représenté, est présent sur la scène internationale telle que récemment à la Biennale d’art contemporain autochtone (BACA) ou bien ces derniers temps à Venise :
« Ce fut entre autres le cas pour le Canada en 1995 avec Edward Poitras et en 2005 avec Rebecca Belmore ; de l’Australie en 1997 avec Emily Kame Kngwarreye, Judy Watson et Yvonne Koolmatrie et en 2009 avec Vernon Ah Kee ; et de la Nouvelle-Zélande en 2011 avec Michael Parekowhai. La 56e édition de la Biennale de Venise, en 2015, a une nouvelle fois ouvert grand ses portes à la diversité de l’art autochtone international en faisant la part belle aux productions en provenance du Pacifique avec, entre autres, la présence à l’Arsenale du choréographe vedette Lemi Ponifasio, originaire des Îles Samoa, qui avait conçu pour l’occasion Lagi Moana, un espace de rencontres et de performances. Du côté de l’Australie, l’art contemporain aborigène était représenté dans l’exposition internationale à la fois par une artiste appartenant à une communauté du désert, Emily Kame Kngwarreye, et par un artiste vivant en milieu urbain, Daniel Boyd. Le Pavillon australien et l’exposition collatérale Country exposaient également des œuvres produites en collaboration avec des artistes aborigènes. L’art contemporain autochtone des Amériques était aussi présent dans la lagune avec deux expositions indépendantes : Venice: Objects, Work and Tourism du Cherokee Jimmie Durham au Palazzo de la Fondazione Querini Stampalia et Ga ni tha (avec Marcella Ernest, Maria Hupfield et Keli Mashburn) au Campo dei Gesuiti. Une exposition de facture plus ethnographique était également présentée dans le pavillon de l’Institut italien d’Amérique latine, Voces Indígenas, qui restituait à travers une quinzaine de haut-parleurs les principales langues autochtones d’Amérique latine. Enfin, l’Afrique n’avait pas été oubliée puisque Wangechi Mutu, une Kikuyu (Kenya) qui vit aujourd’hui à New York, était une des rares artistes à avoir une salle entière du Pavillon international dans laquelle elle exposait une installation vidéo, une installation sculpturale et un tableau-collage. D’autres biennales dans le monde se sont également fait remarquer ces dernières années pour avoir inclus une forte présence autochtone dans leur programmation, au premier rang desquelles la Biennale de Sydney dont l’édition 2010 comprenait plusieurs artistes autochtones du Canada (Kent Monkman, Annie Pootoogook, Dana Claxton…) et celle de 2012 qui avait comme codirecteur artistique le Cri Gerald McMaster. À côté de cette présence autochtone de plus en plus marquée dans les grandes rencontres internationales, on assiste à la multiplication récente d’expositions consacrées exclusivement à l’art contemporain autochtone international. Celles-ci peuvent prendre la forme d’un dialogue entre artistes d’un même continent comme ce fut le cas avec Remix: New Modernities in a Post-Indian World en 2007-2008, qui rassemblait des artistes autochtones du Canada, des États-Unis et du Mexique ou, plus récemment, avec la nouvelle biennale de Santa Fe, SITElines.2014: Unsettled Landscapes, qui comprenait également quelques artistes non autochtones. Mais les plus spectaculaires de ces expositions sont sans conteste celles qui incluent des artistes autochtones du monde entier comme Close Encounters: The Next 500 Years en 2011 à Winnipeg, avec 30 artistes des Amériques, du Pacifique et d’Europe, ou Sakahàn : art indigène international en 2013 au Musée national des beaux- arts d’Ottawa, qui présentait pas moins de 150 œuvres de 80 artistes autochtones issus de 16 pays différents. Cette dernière exposition, première édition d’un rendez-vous quinquennal, a marqué un changement majeur dans la diffusion de l’art autochtone pour plusieurs raisons. Elle montrait d’abord, pour la première fois et à une échelle encore jamais atteinte, que l’art contemporain autochtone est bien une réalité planétaire. Qu’ils proviennent des Amériques, d’Europe, d’Asie, d’Afrique ou d’Océanie, ces artistes partagent une même communauté de destin : celle des peuples qui sont devenus minoritaires sur leur territoire ancestral et qui se battent aujourd’hui pour la reconnaissance de leurs droits et la survie de leur culture. La deuxième raison tenait à la qualité artistique des œuvres réunies par les commissaires et le groupe d’experts internationaux qui les avait conseillés.10 »
Adriano Pedrosa prétend aussi qu’il aurait décolonisé la Biennale de Venise : « Et surtout, avec tant d’artistes présentés à Venise pour la première fois, la Biennale s’acquitte d’une dette historique envers eux. Elle a été décolonisée. Mais bien sûr, nous pouvons toujours décoloniser davantage.11 »
Oh karaï !
Ce qu’il ne faut pas entendre. R.A.S, dans le monde de l’art blanc, il n’y plus rien à abolir. Ou peut-être que si. Comment peut-on décoloniser encore plus lorsque que l’on assure que ça été décolonisé ? Ce curateur joue le jeu de la suprématie blanche en créant le maximum de confusion sophistiqué (cf. Nelly Fuller). Ainsi selon lui, en servant de tremplin à des artistes marginalisé•es par le monde de l’art suprémaciste blanc, la Biennale de Venise pourrait prétendre s’être acquitté d’une dette historique envers eux. Cette illusion trahit la posture paternaliste coloniale de Pedrosa car il n’a jamais été fait mention de la part de ces artistes invité•es d’une demande de remboursement d’aucune sorte de dette, aucune. De plus, soit dit en passant, ce soi-disant solde ne signifie point l’interruption du processus de réparation ou de justice — dans tous les secteurs d’activité, la culture et l’art compris — liée à la Colonisation et au Maafa (atrocités et asservissements des africains et de diasporas africaines à travers le monde). J’oserai même dire que cette dette est insolvable et qu’il faudrait l’entretenir, la travailler, la rouler ad vitam negro infinitum.
L’exposition international à l’Arsenal et au Gardini se parcourt comme un grand catalogue ouvert donc mieux vaut acheter le catalogue au format papier au lieu de tomber dans le panneau comme des rats et se farcir des images vite oubliées. Le programme Nucleo Storico qui regroupe le travail d’artistes non-européen•ne et d’immigré•es italien•nes au 20e siècle est barbant. On dirait qu’un stagiaire a fait le récolement de toutes les pièces possibles sur le sujet en exploitant tous les data disponibles dans les collections à travers le monde (catalogues, articles, sites internet, inventaires etc.) Ce qui mène inévitablement à un accrochage médiocre des œuvres. Une gestion de marchandises qui aurait pu être dissimulée par un geste curatorial mieux réfléchi.
Le projet de la biennale, Nucleo Contemporaneo, qui rassemble les artistes queer, outsider et autochtones nous confirme que le système de l’art contemporain a bel et bien digéré ces arts. « On devine, dans cette démarche, une volonté d’objectiver, d’encapsuler, d’emprisonner, d’enkyster12 » disait Frantz Fanon du souci affirmé des dominants de respecter les cultures marginalisées. Dans leur livre sur l’esthétique de la rencontre, les auteur•ices Baptiste Morizot et Estelle Zhong Mengua entendent par « digérer une œuvre : c’est-à-dire l’instrumentaliser pour ses propres besoins émotionnels et existentiels préformés, préexistants.13 » Sans réduire la multitude des résistances des artistes invités, ces derniers intègrent, bon an mal an, la typologie proposée par le philosophe mohawk, Taiaiake Alfred, situant les figures d’autochtones dans le domaine de l’art. Son analyse peut être remodelée pour évoquer les artistes queer ou outsider.
« « le vieil Indien » renvoie à la figure de l’artiste soumis. Aujourd’hui, plusieurs artistes autochtones ont rejoint l’ensemble des artistes pour demander des programmes de subventions aux paliers de gouvernement et figurer comme « Indien de service » dans les commémorations et dans l’industrie touristique. Ensuite viennent « les pommes rouges ». Comme la peau du fruit, sous l’apparat et les discours, la chair est blanche. Ce deuxième type d’artistes collabore et adhère aux valeurs et modes du système dominant. C’est le collaborateur qui parle le langage des blancs. La puissance symbolique du stéréotype, de l’Indien inventé, est leur caution. Comme pour le premier type, l’artiste figure dans tous les spectacles produits pour les touristes, principalement. Le troisième type, « le guerrier mystique », est de loin le plus intéressant. Il se dédouble : c’est le résistant par l’éloignement, par la politique ou par ses œuvres. C’est, quelque part, le « sauvage » qui a survécu et qui dépend de la sauvegarde de ses conditions d’existence traditionnelles. C’est aussi l’artisan, le conteur et le joueur de tambour. […] C’est encore celui, urbain, qui s’est ré-ensauvagé à partir des savoirs confisqués et réinterprétés par les Blancs : il est métissé à plusieurs égards. Il revient solidaire dans ses territoires et est guerrier dans ceux de l’autre, chamane pour les siens et visionnaire pour l’humanité. Ce sont celles et ceux que j’appelle les nouveaux Chasseurs-Chamanes-Guerriers par l’art.14 »
Ces typologies associée à l’analyse de la digestion ou l’indigestion d’oeuvres exposées impliquent soit de « fausse rencontre » (avec les vieux et les pommes rouges), soit la « non-rencontre » (d’avec les guerrier•es séparatistes). Ces modalités de formes et de réception désorientées dans le monde l’art contemporain, nécessite d’être réinventé en de nouvelles praxis constructives transformant les structures de la plantation spectaculaire (musée, exposition, foire, performance et biennale) en créant des éléments de désirs évinçant tout cadre digestive. Cependant, nous avons aussi besoin d’objet émotionnel de subsistance car nous ne pouvons pas rester cloîtrer dans un ciel intellectuel excluant des formes populaires.
La prestation des différents pavillons nationaux est homogène. Je ne les ai pas tous fait or je n’ai pas non plus eu écho d’un must-see que je n’aurais pas survolé. Cette année, le pavillon indien n’est pas présent. Un espace dédié uniquement au travail d’un•e artiste autochtone dans cette État aurait été plaisant et informative puisqu’iels sont globalement invisibilisées. Sans surprise, le palazzo belge est une redite du programme de Vincent Meessen en 2015 qui avait cédé son espace à des créateurs africains parmi d’autres. Ai-je loupé quelque chose ? Je ne suis pas rendu au pavillon portugais. Intitulé « Greenhouse », le projet basé sur le « jardin créole » ne m’a pas convaincu puisque la réalité politique de ce moyen de subsistance réside dans le fait que « face à l’obligation de « faire nourrir » leurs esclaves, les maîtres ont choisi d’allouer à ces derniers des lopins de terre afin qu’ils puissent cultiver leur propre nourriture. En ayant l’autorisation de cultiver pour eux-mêmes ces espaces, les esclaves assumèrent leur première et seule responsabilité politique en rapport avec la terre des colonies. […] Cette responsabilité-là ne remet pas en cause l’organisation structurelle du monde colonial. Elle est parcellaire et subordonnée à la non-responsabilité globale de la gestion de la terre et de l’économie15. »
En se distinguant nettement, le padiglione britannique était vraiment agréable et investit consciencieusement par l’artiste anglo-ghanéen John Akomfrah. Cela mériterait un’ analyse plus approfondie et cela, au risque d’être déçu au final par l’accumulation mollassonne (« multi-layered complexity ») de la proposition. La représentation du Canada par l’artiste Kapwani Kiwanga restitue de manière étincelante la dimension globale des petites perles de verre de l’île de Murano appelées « conterie » qui étaient autrefois utilisées comme pacotille (monnaie et objets d’échange) à travers le monde. Parmi les plus constructives, le pavillon du Darnemak est consacré à l’identité autochtone et à la mémoire du colonialisme à partir d’un ensemble de projet photographique d’Innutuq Storch, un jeune photographe originaire de “Kalaallit Nunaat” (nom indigène pour le Groenland).
En changeant de perspective, Pascale m’avait dit lorsque je l’avais croisé dans les calli de la Sérénissime qu’elle allait écrire un texte sur l’hypocrisie des pavillons nationaux qui ont choisi comme représentant•e des artistes issu•es de minorité qu’ils méprisent et maltraitent à l’intérieur de leur état. LOL. N’y a-t-il pas d’autochtone celte en Belgique ? Et la France millénaire aurait pu sélectionner un artiste breton ! Ou bien, le terme autochtone sert-il de code pour ne désigner que les non-blancs, ceux hors de la blanchité ?
Les membres du jury du Pavillon français qui ont choisi Julien Creuzet pour représenter la France à la 60e Biennale di Venezia sont des incapables ! Manquant de conscience historique et d’imagination, les institutions françaises sont toujours à la ramasse de plusieurs années sur les anglophones du nord. Actuellement, La France accueille pour la première fois le travail d’un artiste afrodescendant dans son palais vénitien, depuis longtemps devancé par les États-unies et le Royaume-Uni, malgré une présence afro-antillaise remarquable en Italie avec Guillon Lethière, ancien directeur de l’Académie de France à Rome (1807-1816). On peut maintenant subodorer que les prochain•es artistes représentant•s la France seront immanquablement une femme noire (suivant les représentations précédentes des UK et USA) ou soit une personne autochtone, mais pas de sitôt pour la Guyane ni pour les semi-colonies françaises dans le Pacifique (suivant la représentation de Jeffrey Gibson pour les Etats-Unis). L’idée que n’ont pas encore songé les juré•es français est de sélectionner un collectif d’artistes ! Et qui de plus légitime de faire trembler les murs de cette vielle pierre qu’AFRIKADAA ! Au final, j’aurais préféré qu’il choisisse l’ancienneté au lieu qu’un jeunot. Le groupe Fwomajé aurait pu faire l’affaire même si je doute qu’il ait accepté en raison de leur dédain du monde de l’art contemporain et de la France, enfin, j’y crois.
Revenant d’abord sur la phrase de Julien Creuzet en 2019 parlant du pavillon indépendant de la Guadeloupe à la Biennale de Venise : « Si c’est officieux ; c’est anecdotique.16 » déclarait l’actuel représentant du pavillon français. Il estimait aussi qu’un « artiste français c’est un artiste français — avec ses particularités17». Ce qui me fait dire que les mots de Rachida Dati, ministre de la culture lors du vernissage de son show à Venise, le désignant comme « la culture française à son meilleur18» ne l’ont pas contrarié ni fait grincer les dents. Pour l’Etat colonial, les particularités d’ un artiste français n’auront jamais la même valeur que la nationalité française, et le prouve : i pa ni nasyon matinik isi-dan.
Dès ma première rencontre avec Julien Creuzet, je sus qu’il se retrouverait au pavillon français. À cette époque, j’étais stagiaire à l’Institut français de Paris en charge du pavillon français donc bien placé pour évoluer son éventuel nomination. Ma chargée de stage m’avait demandé entre autres de lui faire personnellement des dossiers sur les décoloniaux ; ils m’ont pris pour un imbécile, jamais. C’était un test mais je ne veux pas être un espion à leur solde. En plus, je scanne vite et ai l’oeil vif.
Les phrases de Julien Creuzet prononcées quelques années plus tard m’ont donné confirmation qu’il lorgnait sur cette reconnaissance nationale et internationale, comme bon nombre artiste, somme toute. Mais il ne s’arrêtera pas là, il sera bientôt membre de l’Académie de beaux-arts, avec son sabre rouillé, le chemin est tout tracé. J’avais trouvé tout de même arrogant de considérer anecdotique* l’initiative — que je ne défends pas, non plus — du pavillon guadeloupéen, comme s’il saurait créer un moment historique* durant la Biennale vénitienne !? Voilà ce que j’essaierai d’observer : sa participation relève-t-il d’un moment mémorable* ? J’en reste perplexe.
Pour ne pas nous mettre dans l’embarras dans quelques décennies lorsque des jeunes nous demanderont des comptes sur la prestation globalement décevante de l’ensemble des expositions de la moitié des années 2020 présentant des artistes non-blancs, je tacherais de conduire une critique des plus implacable et précise sur ce bail non-renouvelable remis au plasticien martiniquais — une première dans un secteur institutionnelle dont la sélection et la garantie restent tjrs discriminatoires. Ils ne vont quand même pas investir un•e artiste dont le travail parle clairement d’indépendance par exemple. Et oui, cela existe. Or par cooptation, ils vont récompenser un•e artiste qui maintient un flou artistique, ni pour ni contre ni rien. Et cela plaît. Il y a tout un public de sousè (qu’on peut traduire par snitch) qui apprécie ou plutôt suivent sans comprendre le consensus totalement fabriqué pour le marché de l’art blanc. Certains de ces sousè auront l’honnêteté d’avouer leur incompréhension de ce travail plastique, d’autres attendrons qu’un•e interlocuteur•ice leur souffle que C’est abscons pour enfin se jeter tête la première dans une critique acerbe. Au final, dans les deux cas, iels n’arrivent pas à clarifier le sens de ce qu’iels ont lu, traversé, entendu, vu ou croisé.
L’exposition dont le titre — tout en longueur, Attila cataracte ta source aux pieds des pitons verts finira dans la grande mer gouffre bleu nous nous noyâmes dans les larmes marées de la lune — est l’expression par excellence du « baratin pseudo-profond » (B2P).
Ce concept développé en 2022 dans un article en science économique19 a conduit une équipe de chercheurs à étudier le B2P appliqué au monde de l’art au cours d’une recherche intitulée « Bullshit makes the art grow profounder20 » publié par la Cambridge University Press. L’étude des scientifiques a montré que ce sont les titres en baratin pseudo-profond — tel que, par exemple « Evolving Model of Dreams » ou bien dans notre cas, ceux créer par Julien Creuzet — « qui, spécifiquement, améliorent la profondeur de l’art abstrait, par opposition à tous les autres titres ». Les savants suggèrent aussi que cette forme de baratin (bullshit) peut être appliquée à des domaines très variés comme l’art représentatif ou l’art contemporain21. Par bullshit, l’étude désigne « une absence d’attention portée à la vérité ou au sens » et tandis que par profondeur, iels entendent «une signification profonde ou une signification importante et largement inclusive». Ce qui revient à définir, selon elleux, le baratin pseudo-profond par ce qui se distingue « non pas par son mensonge, mais par sa supercherie ; le bullshit peut être vrai, faux ou dépourvu de sens, ce qui fait d’un discours du bullshit, c’est une attention implicite mais artificielle à la vérité et au sens.22 »
Les résultats scientifiques ont permis au groupe de recherche de créer une théorie qui nous est dorénavant nécessaire pour saisir les esthétiques déterminantes du monde de l’art contemporain. Il est ainsi formulé « que le bullshit peut être utilisé efficacement comme une stratégie peu coûteuse pour impressionner les autres et gagner du prestige dans tous les domaines, sauf ceux où la performance est clairement et strictement objective. Maximiser ses compétences et son expertise dans un domaine est généralement un processus long et ardu. Cependant, la capacité à produire du bullshit satisfaisant, capable d’impressionner les autres en présentant sa personne et son travail comme impressionnants et significatifs, peut permettre à un individu d’obtenir du succès en demandant beaucoup moins de temps et d’efforts. […] Par exemple, dans des domaines artistiques tels que la musique, la poésie ou l’art, les compétences techniques ne sont probablement pas le seul facteur déterminant du succès. Ce qui est probablement tout aussi important, c’est la capacité à impressionner les autres en faisant en sorte que son œuvre apparaisse unique, profonde et significative (cf. Miller Miller, 2001). Une manière rapide et efficace d’impressionner les autres de cette manière est d’utiliser des affirmations qui impliquent, sans contenir de vérité ou de signification spécifiquement interprétable (c’est-à-dire du bullshit). Bien sûr, le terme “bullshit” dans ce contexte ne doit pas nécessairement porter une connotation négative. Si le but d’une œuvre d’art est d’inspirer un sentiment de profondeur chez les spectateurs, que ce sentiment provienne de l’art lui-même ou soit créé par le spectateur, cela n’a aucune importance. De telles situations peuvent être mises en contraste avec des circonstances où la vérité, plutôt que le plaisir ou la profondeur, est l’objectif principal (par exemple, la science ou la médecine), où l’utilisation du bullshit pour obtenir des avantages est contraire à l’objectif fondamental de la discipline.23 »
Pour faire plus simple, les poèmes en baratin pseudo-profond correspondants aux titres et monodies de Julien Creuzet manipulent à peu de frais la réception de son oeuvre en charmant et réduisant nos facultés cognitives à former une impression régulatrice des dimensions inhérentes à une oeuvre d’art.
Un’ poésie sans aucune insubordination.
Un chapelet de litanies composé de mots brumeux.
Et un sabre pour le jardinage.
En philosophie, une seconde variété du B2P a été pensée par Gerald Cohen à partir de l’analyse pionnière de Harry Frankfurt qui considérait le baratin comme une « indifférence à la vérité24». Cette variété a été nommée « opacité inclarifiable » (unclarifiable unclarity), elle se caractérise par l’impossibilité de clarifier un baratin pseudo-profond « non pas parce qu’ils visent une opacité inclarifiable, mais plutôt parce qu’ils visent la profondeur.25 » Le rejet de tout énoncé lucide ou clarifiable (c’est-à-dire rendu non-profond) est jugé nécessaire pour trouver de la profondeur. Être inclarifiable permet ainsi de confisquer le sens et de rendre spécifiquement difficile la démonstration de l’absence de profondeur dans un B2P.
Bon nombre des jeunes artistes, critiques, curateur•ices minoritaires s’adonnent à ces formes d’« opacité inclarifiable » qui se trouvent être inoffensives et prédisent à tout projet radical une obsolescence programmée qui ne déplait pas au système de l’art contemporain. Le concept mobilisateur de « droit à l’opacité26 » utilisé par Julien Creuzet pour décrire l’orientation du pavillon français n’échappe pas à cette quête de profondeur. Ce droit-là reste timide et se fera désirer longtemps avant de s’engouffrer dans un épais atermoiement dû aux conflits inégalitaires incessants. Dans un’ situation d’acculturation d’une langue maternelle par exemple, le colon reconnaît l’existence de l’opacité du colonisé tandis que le colonisé constate la perte de cette opacité qui demeure inclarifiable pour les deux parties. Il n’existe pas de jurisprudence empirique27 de ce droit-là donc son application sera tjrs soumise à la spéculation selon les contextes. Au contraire, une jurisprudence fait « passer du droit à la politique28 », elle régule l’historique et le spatial selon une rotation culturale.
En reprenant, l’analyse de la philosophe Sophie Chassat sur « la complexité, un critique d’une idéologie contemporain », je considère la profondeur comme un outil d’intégration dans l’idéologie néolibérale du monde de l’art permettant d’être visible et récompensé. En refusant une destination finale, le dogme de la complexité et la promotion de la profondeur, nous plonge dans un laisser-faire macabre qui nous conduira « à la dispersion, à la confusion et à l’approximation de tout29 ».
Face aux problèmes généraux de notre rapport au racisme, ces arguments paresseux sur la nécessité d’apporter de la profondeur et de la complexité à une réponse augmentent le risque de n’en jamais faire le tour et de ne trancher quoi que ce soit qui puisse apporter des solutions déterminantes. Ces artifices intellectuels nous enferment plutôt dans l’inaction, l’entropie et la déresponsabilisation.
Pour Sophie Chassat « l’heure est désormais au « crucial » ». Dans le cadre de simplification salutaire inhérente à notre subsistance et à l’encontre de l’extermination du vivant sur terre, « le « crucial » est ce point de l’espace et du temps où une décision s’impose.30 » Pour parvenir à mener bien à nos combats révolutionnaires, il nous faut « sortir des ornières du tout-complexe », j’ajouterais en sus s’extirper de cette carcasse tout pétée du concept du tout-monde.
Cette analyse du baratinnage poétique pseudo-profond de l’artiste martiniquais peut aussi être employé pour désigner ses volumes pendus à la charpente, celle-là même fabriqué pour l’évènement et qui supporte sa grande forme immersive.
Et j’y viens cueillir le vice.
Le choix de l’artiste d’inviter deux curatrices non-antillaises me pose question (pour être gentil,) en sachant qu’une n’a connu son travail qu’en 2019 lors de son exposition personnelle au Palais de Tokyo soit un peu tard31. J’avais même co-écrit un texte sous pseudonyme sur cette expo. Superficiel est le commissariat de ce pavillon. Je me demande bien, leur tâche pragmatique dans tout çà. Leur gène est palpable lorsqu’il faut parler du travail du plasticien car il n’a pas besoin de curatrices pour penser l’accrochage de ces cintres tordus, formes mouvantes, lianes perroquets etc. puisque c’est lui qui l’imagine comme un opéra. La curation s’est surtout matérialisé dans la direction éditoriale du catalogue officiel publié aux éditions des Beaux-Arts de Paris. Je ne le recommande pas. Les curatrices ont garnit leurs textes du catalogue de tous les concepts mobilisateurs possibles que l’on peut attacher au travail du plasticien. Par contre, dans ce Cyclone de mer32, un mot me pose problème : panafricain. Ce catalogue est présenté comme une « bibliographie panafricaine33 » voulue par l’artiste depuis 2021. C’est une blague ?!&*. De plus, la modalité de création de cette bibliographie basée sur un’ équipe de chercheur•euses est une copie conforme du projet de publication, imagi-nation nwar — généalogies de l’imagination radicale noire dans le monde francophone, du collectif sud-africain, Chimurenga, dans le cadre de la Saison Africa 2020 (reportée en 2021). Wow, quel hasard ?!&* ils ont eu la même idée en même temps. La moindre des choses, dans une démarche panafricaine est de reconnaître l’existence et les contributions de ces prédécesseurs. Ce que fait la curatrice en ne mentionnant pas le projet de la Bibliothèque Chimurenga démontre son instrumentalisation d’un mouvement de libération africaine pour son aura de radicalité & de hype du moment. Même le président raciste, Emmanuelle Macron se livre à ce genre confusion : « la francophonie est la langue du panafricanisme34 » soutenait-il en 2022. Ça ne m’étonne pas qu’au final à l’occasion de ce pavillon : « yé tout ka travay pou Macron35»(iels travaillent toutes pour Macron)
Notre frère cadet, Julien Creuzet est un « power crafteur », terme que je conçois en m’inspirant du vocable « power user » en informatique. Cette notion s’appuie surtout sur l’histoire des sciences de la complexité largement développée dans le domaine militaire36 à partir de disciplines tel que la modélisation informatique, la théorie du jeu, la cybernétique, rendues possibles grâce à l’avènement des ordinateurs37. Cette théorisation de la complexité a influencé, depuis les années 70, les concepts de rhizome, de créolisation, de connectivité en réseaux vantant une vision du monde où la compréhension des phénomènes repose seulement sur un système unique défini par l’acronyme, inventé par l’armée américaine, nommé VUCA (pour Volatilité, Incertitude, Complexité et Ambiguïté)
« V = Volatilité : Caractérise la nature rapide et imprévisible du changement.
U = Incertitude (Uncertainty en anglais) : Indique l’imprévisibilité des événements et des problèmes.
C = Complexité : Décrit les forces et les problèmes entrelacés, rendant les relations de cause à effet peu claires.
A = Ambiguïté : Signale les réalités peu claires et les malentendus potentiels résultant de messages contradictoires.38 »
Un power crafteur est un artiste qui pratique de manière intensif plusieurs médiums et métiers (musique, poète, curateur, installation, vidéo etc.) en les associant à des disciplines cognitives en dehors du champs de l’art tel que la sonochimie ou la sociologie. Leurs créations sont des « végétations de désirs » (cf. Suzane Roussi-Césaire) qui nous distraient, pourtant, des conflits —dont elles sont inséparables — en cultivant un culte du divers devenu leur opium favoris. Il est vrai que cette blue pill a des effets imaginatif remarquable, mais dans une situation où règne le pacte de la blanchité, le narcissisme qu’elle provoque — ne pouvant être satisfait par le divers — y lé bloublou nou, a bloublou y lé bay nou — conduit inévitablement à des formes phatiques (cf. Malinowski) en « donnant lieu à un échange profus de formules ritualisées, voire à des dialogues entiers dont l’unique objet est de prolonger la conversation39 » avec la suprématie blanche.
Mais il existe des végétations de désirs — matière privilégiée des travailleur•euses — qui n’ont pas été encapsulées dans ce culte du divers. Elles sont les « fruits impatients de la Révolutions qui jailliront, inévitablement40 ».
y lé bloublou nou, pa isi a
a bloublou yé lé bay nou, pa isi a
Je ne comprends pas comment on peut encore travestir, même avec un logiciel Blender-like, les sculptures racistes patriarcales coloniales comme celle de la fontaine des quatre parties du monde (1867) de l’Observatoire de Paris. Même si ce serait pour soit disant les animer en les pénétrant d’un sentiment d’émancipation41. Comprenons-nous bien, l’émancipation n’est pas la libération42. Les props, assets, shadings, layouts, animations, lightings ne changeront rien le fond de l’affaire. Dans l’idéologie patriarcale suprémaciste blanche, « la nymphe est la femme devenue idée43 » selon la philosophe Catherine Malabou dans son ouvrage Le plaisir effacé — Clitoris et pensée. Dans le monument, La fontaine des quatre parties du monde chaque nymphes est liée à un’ partie du monde — un partage du monde tout à fait raciale et coloniale réduisant le vivant à quatre catégories humaines. En plus d’être animé uniquement par le regard masculin blanc, « les nymphes sont des femmes « qui ne pissent pas » » et ne peuvent jouir car elles n’ont pas de sexe. La confusion entre jouissance et miction avait vraisemblablement atteint son paroxysme de scopophilie et de moquerie vicieuse, à l’époque, avec la représentation de quatre corps asexué aux attributs fem sur un’ fontaine. En effet, « la nymphe, parce qu’elle ne jouit pas, est le fantasme érotique par excellence. Femme idéale, elle n’a pas de clitoris. » Les nymphes de la vidéo 3D de Julien Creuzet ont-elles un clitoris ou ont-elles un con glabre et fermé donc inexistant ? L’artiste a-t-il effacer par inconscience le plaisir de ces nymphes en pratiquant un’ poétique patriarcale dont elles ne sont que « des expressions du fantasme masculin de la sculpture ; une matière malléable que l’homme façonne à l’envi. » ? Il aura pu au moins dans un’ démarche « panafricain », comme iels le prétendent, tout en résistant au modèle patriarcat hétérosexuelle procréateur, donner la parole aux nymphes grâce aux histoires du « kunyaza, autrement dit la stimulation du clitoris et des parties extérieures de la vulve pour favoriser les sécrétions vaginales par l’homme, avec, dans une autre mesure, le gukuna, est un rituel traditionnel d’étirement des petites lèvres de la vulve, qui se pratique entre femmes. Associé au kunyaza, le gukuna vise à accroître le plaisir sexuel de la femme44 » (cf. Léonora Miano et Wiki).
Le mémorable n’est historique ni anecdotique, il dépend de notre volonté sélective de se souvenir. En informatique, on parle de stockage à froid et de stockage à chaud. « Le stockage à froid consiste à archiver les données rarement utilisées dont une entreprise ne pense plus avoir besoin au cours des prochaines années, voire des décennies à venir ». Contrairement au mémoire chaude qui sont et doit être « consultées plus fréquemment et sont généralement stockées sur des supports conçus pour un accès rapide, avec plusieurs connexions et des performances élevées ». Alors, si et seulement si, cette édition de la biennale et les pavillons associés sont mémorables, c’est pour qu’on se souvienne froidement qu’il faut les dépasser. Dans un futur proche, on pourrait s’attendre (voeu) à ce que des intelligences et consciences artistiques acquièrent l’expertise nécessaire pour reconnaître un art honnête et perspicace, tout en veillant à ce que « leurs jugements d’une œuvre d’art ne soient pas affectés par la présence de baratin pseudo-profond.45 »
J’aurai quand même eu le bonheur durant mon séjour de rencontrer un groupe de meuf, Kewya et Yuwey de la Guyane, et Estelle de la Réunion. Mais je regrette de ne pas avoir pris de lunettes de soleil pour me protéger de toute cette derme, ça va finir par me trapper, m’handicaper encore plus, à force. Pour finir, j’ai repris de nuit le chemin de l’airport pour dormir sur un banc avant mon vol à six heure du matin !
PAW
PS : J’ai manqué malheureusement, à Venise, l’exposition « When Solidarity Is Not a Metaphor » de la Cité internationale.
Le collectif AFRIKADAA propose une démarche résolument expérimentale avec SONIC WAVE STUDIO RECORDING. Ce projet s’inscrit en écho avec l’élaboration du prochain numéro de la revue POLITICS OF SOUND #2: Les musiques et les sonorités qui réparent les corps et les récits, et propose une re-configuration conceptuelle du studio d’artiste : il devient un studio d’enregistrement où les sonorités ne se contentent pas de s’écouter mais s’incarnent, se vivent, se pensent, se partagent comme un espace de résistance dans la joie.
Dans le cadre de l’invitation lancée par l’artiste-curateur Yohann Quëland de Saint Pern, la revue AFRIKADAA se déploie, entre le 27 novembre et le 15 décembre 2024, comme manifeste en acte : SONIC WAVE STUDIO. L’espace The Window devient le lieu d’une expérimentation sonore au carrefour de la théorie et de la pratique. La musique, les voix, les silences, les cris et l’oralité s’y déploient comme des matières vivantes, des écologies mouvantes et polymorphes, où le son est vecteur de forces politiques et sociales. Le studio devient ainsi non seulement un lieu de création, mais de réparation, où les ondes sonores participent d’une reconquête, d’une guérison collective.
Pensé comme un laboratoire de recherche sonore, SONIC WAVE STUDIO se fait le miroir des révoltes et des soulèvements qui animent les battements de communautés qu’il rassemble, à travers les vibrations, espace-témoin des sonorités, les impulsions, les rythmes et les pulsations d’un monde en quête de transformation. L’écriture sonore, dans cet espace, n’est plus seulement une expression artistique, mais une pratique politique, un mode de résistance aux systèmes de domination qui régissent la cosmovision occidentale.
Cette expérience sera enrichie sous la curation de Pascale Obolo par les contributions des artistes, activistes et chercheur·es invité·es, Jamika Ajalon, Eric Blaze, le collectif Blekete, Myriam Omar-Awadi, Sika Gblondoumé, Sara Mychkine, Samuel Lamontagne, Roger Raspail, Helio Volana,Wilfried Nakeu, Lomani Mondonga, Alain Padeau qui font du SONIC WAVE STUDIO une cartographie vivante et mouvante d’objets sonores et de récits incarnés. En déplaçant et brouillant les frontières de la colonialité, du patriarcat, du capitalisme et du validisme, cet espace crée un nouveau cadre, un lieu de tension et d’expansion où des géographies matérielles et immatérielles se rencontrent et se redéfinissent–se brouillent et se dissolvent, ouvrant un entre-monde où les voix se croisent et s’élèvent.
À partir du mercredi 27 novembre 2024, nous vous invitons à faire vibrer le SONIC WAVE STUDIO et à incorporer les potentialités du son comme moyen de résistance et comme force de soin, où l’écoute devient un acte de libération.
PROGRAMME
27/11 – 18h-21h
Ouverture du SONIC WAVE STUDIO – recording
Pulsations & transmissions — synesthésies du beatmaking avec Eric Blaze
+ jam-conversation avec Wilfried Nakeu, Lomani Mondonga & Alain Padeau
29/11 – 18h-21h
Réparations & vibrations — rythmiques corporelles avec Roger Raspail
30/11 – 18h-21h
Écoute — Voodoo, Trans, Drum Psychélélique avec le collectif Blêkêtê
05/12 – 16h-21h
Poétiques du sonore — de l’oralité à la cérémonie avec Myriam Omar-Awadi, Helio Volana, Sika Gblondoumé et Sara Mychkine
09/12 – 18h-21h
Le Pan Afrikan Peoples Arkestra: Histoires et Écoutes par Samuel Lamontagne
11/12 – 18h-21h Fluid Code: A pre: anti-lecture sonic lab avec Jamika Ajalon
La Biennale Ouidah et sa programmation vertigineuse autour des « Arts et Cultures Vodun »
La Biennale Ouidah est l’une des plus importantes manifestations autour de l’art contemporain en Afrique. La Biennale de Dakar étant connue pour être le rendez-vous de référence autour de l’art contemporain sur le Continent Africain, la Biennale Ouidah se déroulant au Bénin pourrait devenir à son tour un rendez-vous culturel incontournable. Avec une seconde édition qui s’est déroulée du 25 juillet au 25 août 2024, les « Arts et Cultures vodun » se présentent comme étant un vivier d’inspirations aussi riches que vertigineux en raison de la richesse de la programmation. Celle-ci comprenait huit expositions, dont certaines se sont déroulées jusqu’au mois de septembre, réparties à travers différentes villes du Bénin. La Biennale Ouidah est le reflet d’un fort élan de créativité qui favorise la reconstruction de l’image du vodou.
Laboratorio Arts Contemporains, l’organisation à l’origine de cet événement a su mettre en lumière à la fois l’universalité et les esthétiques suscitées par le vaudou chez les artistes, que ce soit des musiciens, des cinéastes ou encore les photographes. L’action fédératrice de cette biennale ne se limitant pas aux communautés béninoises, elle a également attiré une audience internationale, tous conscients de l’évidence d’une proximité entre le Bénin et le reste du monde, laquelle se reflète dans le slogan « Si loin…si proche ? ».
Cet événement culturel au Bénin se distingue par une programmation éclectique incluant la majorité des disciplines artistiques (la mode, le design, les arts visuels (photographie, art plastique, cinéma), la littérature ainsi que la musique et la danse. Il en résulte alors un calendrier diversifié, rappelant par la même occasion que le vaudou se conçoit et se ressent à travers différents médiums artistiques et esthétiques : notamment à travers la musique, la danse ainsi que dans la singularité des costumes. Cette Biennale est spécifique dans la mesure où elle fédère de multiples expressions artistiques visant à interpréter le vaudou.
L’hommage à Tatiana Carmine, un hommage à une force créatrice ainsi qu’à des esthétiques inspirées de la mer
L’art contemporain en lui-même est un large champ d’exploration par excellence. Tandis que le vaudou peut se percevoir tel un univers dont seuls les initiés peuvent définir chaque pourtour. Les expressions artistiques désignées par « Arts et Cultures Vodun » nous entraînent alors dans une dimension où l’abstraction de la nature et du monde invisible font l’objet de multiples interprétations. L’exposition en hommage à Tatiana Carmine est le chemin le plus court pour comprendre cette dualité entre la communion des idées et l’interprétation personnelle. Une fresque murale réalisée par quatre artistes béninois : Simplice Ahouansou, Midy, Kola, Togbe, Zansou et José à l’Auberge fleurie à Ouidah, donne une idée de la formidable créativité de cette artiste d’origine russe et de nationalité suisse. Il en résulte alors un mur avec des nuances de vagues, la couleur bleue étant prédominante. L’artiste peintre dispose de cette remarquable capacité à s’approprier une idée, de chercher à la restituer tout en y ajoutant une touche personnelle. C’est en cela que cette fresque interpelle, loin de la redondance, c’est un ensemble d’interprétations du mouvement des vagues, de la fluidité de l’eau, régit par l’élément naturel qu’est le vent, un hommage à Tatiana Carmine et par la même occasion un hommage à ce mouvement majestueux que la nature nous offre. De même, la créativité repousse les limites des palettes de couleurs, notamment par ses différentes nuances de bleu ainsi que les autres couleurs improbables qui se rajoutent à l’ensemble. Une même idée, différentes formes et couleurs, le vaudou est également cette source d’inspiration qui nous ramène à l’essentiel, à la force de la nature, dans sa fluidité et sa majesté. Chacun des quatre artistes ont également réalisé trois œuvres en plus de la fresque murale. Exprimant ainsi pleinement leurs personnalités à travers leurs styles respectifs, cet hommage est un riche alliage entre unité et diversité des perspectives.
Suivre « Les pas perdus » de Roger Chappellu
L’exposition située à La Gallery sis à Cotonou du photographe suisse Roger Chappellu, traduit la sincérité de la démarche artistique dans la sublimation de la lumière. De prime abord, il pourrait s’agir d’une technique consistant à capter la lumière naturelle afin de donner des visages à des pierres ainsi qu’à d’autres éléments disposés minutieusement pour former des personnages. Mais pour le photographe, il s’agirait plutôt de reproduire une vision, car ses pierres, il les a recueillis lors de ces balades en montagne. L’artiste est doté d’une perception qui le pousse à déceler les expressions émises par les pierres, c’est ce qui les pousse alors à les cueillir et à reproduire à l’aide de la lumière naturelle cette vision contrastée.
Mais au-delà de cette forme d’art parfaitement concevable tant elle est sincère, il y a là une vérité criarde au-delà de l’esthétique suscitée par la lumière. Ces œuvres suggèrent que la nature nous regarde, qu’elle est plus vivace qu’on ne veut le croire. Le monde dans lequel nous vivons cohabite avec un autre. Les réactions suscitées peuvent être nombreuses : croyance, acceptation, remise en question ou scepticisme. Les œuvres de Roger Chappellu traduisent une abstraction qui met en évidence un autre monde. La plupart des expositions qui ont lieu durant la Biennale Ouidah sont une invitation à considérer les suggestions de l’esthétique naturelle du monde qui nous entoure, avec un affranchissement quant au monde tangible pour envisager ou même reconnaître l’évidence d’un autre monde, celui des Dieux et des ancêtres. Une exposition qui invite à envisager une nouvelle perception de la nature.
Exposition photographique : « Exposição RELIGARE – a Bahia no Benin » d’Arlete Soares, une nostalgie fraternelle
Des clichés en noir et blanc ou encore en couleur exposées dans la cour du Palais Agondji Ouidah. Une série réalisée par Arlete Soares (photographe de Bahia), immortalisant la visite au Brésil d’une délégation béninoise, comprenant Son éminence Daagbo Hounon Agbessi Houna I, ainsi que d’autres autorités religieuses et politiques, ainsi que des artistes du ballet populaire du Bénin – Ekpé. Une exposition qui rend compte de l’inauguration de la Casa do Benin à Salvador, ainsi que du rituel d’ouverture réalisé par Son éminence Daagbo Hounon Agbessi Houna I. Elles montrent également les rencontres avec des religieux dans les terreiros de Candomblé. Cette délégation a visité les terreiros les plus importants de Bahia, tels que Ilê Axé Opô Aganju, Gantois et Ilê Axé Opô Afonjá, en plus de Terreiro do Bogum, l’un des principaux lieux de préservation du Vodun. Les images révèlent les interactions entre les Bahanais et les Béninois dans ces espaces sacrés, dont les origines remontent au Bénin. Il figure également des images du voyage de la délégation bahianaise au Bénin. Ces photographies ravivent le souvenir de moments de célébration des retrouvailles entre peuples frères, après des décennies de séparation post-abolition. L’exposition RELIGARE vise avant tout à illustrer les liens profonds entre l’histoire culturelle de Bahia et la civilisation dahoméenne.[1]
L’exposition « Kosukosu » de Tognissè Aziakou, l’art de magnifier le sacré
« Kosukosu » fait partie de ces expositions qui révèlent toute la force de l’abstraction. Une fois photographiées par l’artiste, les statuettes en bois ne sauraient être perçues telles des objets inanimés, habillés à l’aide des tissus colorés. L’artiste a su révéler le caractère sacré qui leur est conféré, et ce en les mettant en avant de différentes façons. Ainsi, un changement de mise à échelle modifie la perception, l’amulette en bois devient alors une statue, rappelant ainsi que la taille originelle de l’objet sacré ne représente nullement sa signification et son importance. La sculpture s’accompagne alors d’une portée spirituelle magnifiée par une mise à l’échelle humaine. De même, l’omniprésence des trois statuettes à travers les différentes photographies, qu’elles soient posées ou encore tenues fermement dans les bras de cette femme âgée, témoigne de la valeur sentimentale qu’ils représentent pour elle. Des statuettes pour représenter l’omniprésence des êtres chers dans l’existence de cette femme. Cette dernière s’en remet à eux quotidiennement, d’où le cliché dans lequel les statuettes sont disposées tandis qu’elle consulte le Fa (un système de divination Inscrit en 2008 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité). La série de photographies réalisée par Tognissè Aziakou et exposée à la galerie Couleur Indigo à Ouidah, représente ainsi une dualité dans le caractère sacré qui est conféré à ces statuettes en bois. Loin de se limiter à l’évocation de symboliques rattachées à des objets, la démarche artistique révèle ainsi la haute considération dont ils font l’objet.
La Biennale Ouidah et sa programmation autour de l’art contemporain inspire une idée de diversité dans la représentation du sacré. Cette série d’expositions fait hésiter entre la recherche de similarités ou encore celle des singularités qui figurent entre chaque proposition artistique. Une troisième alternative parait également appropriée, celle de la recherche de la complémentarité. Cela apparait comme étant un chemin adéquat, permettant d’apprécier mais aussi d’appréhender ces différentes expressions artistiques. La Biennale Ouidah, par les thématiques qui la définissent : « Arts et Cultures Vodun », fascine, tout en repoussent les limites de l’abstraction.
Photo 2 : Vernissage de l’exposition « Les pas perdus » de Roger Chappellu
Photo 3 : Exposição RELIGARE – a Bahia no Benin »d’Arlete Soares
Photo 4 : Jumeaux, oeuvre issue de la série photographique « Kosukosu » de Tognissè Aziakou
Photo 5 : Mystérieux, oeuvre issue de la série photographique « Kosukosu » de Tognissè Aziakou Copyright: Laboratorio Arts Contemporains – Biennale Ouidah arts et cultures vodun 2024 @Audace Aziakou – Rictus Mignonnou
Ce lundi 22 juillet à 22heures, nous prenons le chemin retour en direction de nos domiciles respectifs. L’exclamation d’un visiteur repris en titre de cette chronique nous accompagne le long du trajet. Il faut dire que la restitution des archives Evuzock (1963-1978) de Lluis Mallart” commissariée par le Centre International pour le Patrimoine Culturel et Artistique (ci-après CIPCA) fût un moment emprunt de solennité, d’émotions et de partage.
Dans le cadre de cette chronique, nous avons choisi de parler de cette exposition sous l’angle de la médiation culturelle. Pour cause, les visiteurs sont venus en nombre[2] assister au vernissage de l’exposition et le lieu n’a pas désempli pendant tout le déroulé[3]. Ce fait contraste avec les dynamiques locales. Au Cameroun, l’accès de tous aux arts et à la culture demeure un sujet dans le champ artistique et les institutions culturelles peinent à mobiliser pour les faits artistiques en particulier les expositions d’art[4]. Il sied de souligner au sujet de cette exposition qu’elle est visible du 22 juillet – 25 septembre 2024 au CIPCA.
La démarche du CIPCA portée par Dame Fabiola Ecot Ayissi et exécutée par une équipe à taille humaine (Hassan Fifen Njoya, Meke Meke Michel, Azazou) s’inscrit de manière générale dans la valorisation du patrimoine culturel matériel et immatériel d’Afrique. Elle est mise en œuvre par une approche de travail avec et autour des communautés. Cette ligne curatoriale a balisé les actions du CIPCA dans la mesure où l’exposition intitulée “NYAMODO/NYAMINGA – Porteurs de savoirs : Exploration des archives Evuzock (1963-1978) de Lluis Maillart ! Gulmerà” constitue la deuxième articulation du Festival sportif et culturel Evuzok (FESTIZOCK) célébré en ce mois de juillet 2024 pour la 05eme fois consécutive. Pour rappel, l’objectif visé par ce festival est la redynamisation des traditions et de la culture Evuzock.
Au plan curatorial, comment mettre en œuvre des processus de restitution ? est un champ en friche et une problématique d’une éminente actualité pour les institutions et acteurs culturels mais aussi une attente réelle des communautés. L’exposition susmentionnée sur le patrimoine Evuzock avec remise solennel de supports digitalisés de 13 000 archives au Monarque, AZUZOA, Patrice MELOM, Chef des Evuzok est un premier pas en vue de la réactivation de ces savoirs ancestraux en terres camerounaises. Cette restitution s’entend par ailleurs comme une opportunité réelle d’enrichissement culturel pour le peuple Evuzock et par extension la nation camerounaise. Les communautés Evuzock et le public établi du CIPCA sont apparus comme les cibles naturelles des démarches de valorisation du patrimoine Evuzock.
La curation du CIPCA après deux ans d’investigation des archives remise au CIPCA en 2017 met en exergue trois dimensions des archives disponibles : (1) Evuzok : identité – connaissances médicinales – moments clés de la vie (naissance, initiation, mariage et mort) ; (2) mémoriel (hommage rendu aux aïeuls jadis informateurs) ; (2) patrimoine matériel et immatériel. La densité des médiums mobilisés fût une valeur ajoutée dans cette exposition : éléments de textes en éwondo et en français, photographie, enregistrements audios en éwondo, vidéo de contes inspirés des chantefables Evuzok. La programmation mise en place par le CIPCA fût une pédagogie utile pour les besoins de présentation des processus ayant conduit à l’exposition leur présentée et du contenu des archives. Il fût intéressant de noter pendant la session de questions & réponses, la diversité du public présent (métiers, âge, sexe, origines sociale et culturelle) et sa bonne compréhension des défis posés par l’acculturation ainsi que des enjeux entourant l’exploitation de ces archives.
Il fût aussi intéressant de prendre note des perspectives évoquées par les communautés elles-mêmes pour faire battre le cœur de ces archives : la jeunesse comme cible principale ; la transmission par l’oralité (conte) ; et, la capitalisation des moyens humains (formation) et technologiques. Les partenariats tissés avec le FESTIZOCK, la mise à contribution des autorités administratives, la présence du CIPCA dans des espaces de production et de conservation des savoirs de premier plan au Cameroun et à l’international ainsi que la médiatisation sont autant d’outils tangibles de mobilisation, de vulgarisation et d’appropriation en milieu communautaire de notions plurielles du patrimoine. L’urgence de ces exercices de valorisation de patrimoine est retranscrite dans l’acculturation ambiante que cristallisent aujourd’hui la disparition accélérée des langues vernaculaires et les savoirs ancestraux dans la société camerounaise en brassage continu. Sally Nyolo rappelait aux camerounais lors de la présentation de Tsali Tsa[1] que le processus de l’oubli n’est pas seulement une retombée du passé colonial mais aussi une conséquence du brassage culturel ou métissage et de transformation des espaces naturels en un “monde de buildings”.
Dans un espace avec une si grande densité culturelle (Kamerun, l’Afrique en miniature), il est important dans cet exercice de restitution de faire de la diversité un mouvement fédérateur. Inscrire ce type de projets dans une perspective de consolidation de l’identité nationale[2] permettrait d’éviter l’écueil du repli sur soi et de l’essentialisation. Il est salué à cet effet, l’invitation à la restitution des archives Evuzok du monarque Batoufam par le CIPCA dont le représentant à cette manifestation culturelle vit en ces projets artistiques un vecteur du tourisme domestique[3] [voire une économie du tourisme en particulier l’éco-tourisme, en écho au propos de Sally Nyolo susmentionné[4]]. Également, le passé colonial nous invite individuellement et collectivement à apprendre de notre passé via la production d’archives (orales, écrites et numériques) ; la consolidation du construit social par le biais des arts et de la culture ; et, la prise de conscience au temps présent de la valeur de notre patrimoine matériel et immatériel. Dans le champ artistique et en particulier curatorial, il est souligné très clairement la centralité dans des espaces subsahariennes et africains d’un dialogue constant entre l’art et la société ; ce pour des raisons historiques et sociologiques. Pour reprendre Ikram Ben Brahim, l’Afrique a besoin d’imaginaires[5].
Par Raïssa NJOYA, Agence Créations Contemporaines.
#unartistenousparle
[1] Exclamation d’un visiteur dénommé Colonel Mekulu qui nous a autorisé à le citer nommément dans cet article. [1] Près de 200 personnes à vue d’œil. [1] Talk – Chantefable – visite de l’exposition – cocktail dinatoire. [1] L’art, c’est aussi de la pensée – Entretien avec Yves Xavier NDOUNDA, 2022. L’art c’est aussi de la pensée – Entretien avec Yves Xavier NDOUNDA (youtube.com), consulté le 23/07/2024 [1] Reportage sur le premier volume de la collection transmédia « Un soir au coin du feu », créée et réalisée par Sally Nyolo, Cameroon Radio Television (CRTV), Mars 2024 “Sally Nyolo ra-contre : entre réel et virtuel“ (youtube.com) , consulté le 23/07/2024 [1] Dans la doctrine, l’ouvrage intitulé « Régionalisation et action culturelle au Cameroun » commis par Remy MBIDA MBIDA postule que la régionalisation participe de la spatialisation fonctionnelle et efficace de la décision politique. La culture dans le processus de régionalisation en constitue le ciment. [1] Lire aussi : L’urgence du tourisme domestique en Afrique, Beringer GLOGLO (Economiste, Fondateur du Cercle des Jeunes Économistes pour l’Afrique), 29 novembre 2021, Financial Afrik Tribune Économie du Tourisme: L’urgence du tourisme domestique en Afrique | Financial Afrik , consulté le 23/07/2024 [1] Op.cit (Reportage CRTV, Mars 2024). [1] Ikram Ben Brahim, Maître-Assistante à l’Institut Supérieur des Beaux-Arts de Sousse en Tunisie, Intervention sur le processus de mise en place d’une exposition d’art, Série 111 : (re)penser les pratiques curatoriales en Afrique subsaharienne, Creations_Contemporaines (Prod) https://www.instagram.com/p/C8mlUvrooGy/?utm_source=ig_web_copy_link&igsh=MzRlODBiNWFlZA== , consulté le 23/07/2024
Au seuil du rituel des réconciliations de Toyin, sujet du récit fictionnel poétique Poupée N. De Grace Seri, il y a, déposées, La Licorne noire d’Audre Lorde, La Charge Raciale de Douce Dibondo, Amours silenciées de Christelle Murhula, Voix de Linda Lê et Les perversions sexuelles de Félix Abraham. De la terre. Debout, un autoportrait de Zanele Muholi. Des invocations, à la fureur, à la noirité1, à la folie, aux voix-ouragans du silence, à la monstruosité, aux armes dont il a fallu s’emparer pour parler2. À celleux qui n’étaient pas censé.e.s survivre et qui ont choisi de ne plus s’excuser d’exister. Toustes guident Toyin à accomplir ce rituel, à (re)vivre la traversée, à écouter les voix des mort.e.s et des suicidé.e.s, l’Atlantique comme mémoire de la noirceur, « non/ lieu qui bouillonne à côté, ou au-dessous de toute ontologie discernable »3.
On franchit le seuil. L’espace s’étend. Fermé. Sur le mur, des portraits de May Ayim, Martha Ann Ricks, Teri Moïse, Ken Bugul, Victoria Santa Cruz, Saartjie Baartman, Aminata Sow Fall, Billie Holiday, Jeanne Nardal, Mbissine Thérèse Diop, Audre Lorde, Omoba Aina, Toni Morrison, Soraya Bonelli, Maya Angelou, Nina simone, Jessye Norman, Carolina Maria de Jesus.
Poupée N., Grace Seri. Arsenic, Lausanne. 25 avril-28 avril 2024.
Des portraits des ancêtres se déploient des fils de coton. À leurs pieds, une petite commode en bois, un téléphone à fil violet. De l’autre côté, posé sur un tabouret, il y a Lanieka, un chien en porcelaine. On parcourt l’espace. Ça pourrait être une chambre d’adolescente, une chambre d’hôpital, la cellule où les mort.e.s sont mort.e.s et regardent les vivant.e.s, ça n’a pas d’importance. Au centre de la pièce, il y a le miroir. C’est à travers lui que Toyin entre et sort d’elle(s)-même. Dans le passage/« trou noir »4 où elle(s) se voi(ent) pour la première fois. Dans le passage/« trou noir »5 où elle devient/est devenue Poupée N. N de négresse.
Poupée N., Grace Seri. Arsenic, Lausanne. 25 avril-28 avril 2024.
Poupée N. est un récit qui ne ment pas. Un récit de la blès. Celle qui condamne les enfants noir.e.s à désigner la poupée noire comme laide et à refuser de jouer avec elle avant, parfois, d’éclater en sanglots et de quitter la pièce face à la question des psychologues Clark : « Peux-tu me montrer la poupée qui te ressemble ? ».6 L’éclatement et la déshumanisation comme expérience a-originelle de la noirceur, la chair comme les traces du continuum de la nécropolitique blanche.
Grace Seri commence l’écriture de Poupée N. peu après la mort de Georges Floyd. La narration, petit à petit, s’impose à elle et son itinéraire commence à l’île de Gorée. De l’étouffement d’un homme noir en 2020 par des policiers blancs aux Etats-Unis à l’île-mémoire du crime contre l’humanité qui n’a pas de fin, suivre les pas de la mort.
Poupée N., Grace Seri. Arsenic, Lausanne. 25 avril-28 avril 2024.
Poupée N. est un rituel des réconciliations parce qu’il dit l’inguérissable. C’est un rituel qui purge, qui salit, qui vomit, qui rit la noirceur au visage de la blanchité. Il ne s’agit pas de réclamer son humanité dont la seule voix serait un devenir-blanc.he mais d’être, multiples, à la fois fille, soeur et mère, menteuse, bestiale, ancêtre, défaite et morte-née, feu, désir et mort, déviante, fantôme et tellement incarnée qu’on peut lécher ta sueur rien qu’en te regardant. Dans Poupée N., rien ne s’achève, ni ne commence. C’est le propre de la blès. La réconciliation n’est pas alors un aboutissement mais un geste, toujours renouvelé, celui d’aimer l’inguérissable : s’humaniser, non comme un devenir-blanc.h.e mais comme un devenir-noir.e.
Poupée N., Grace Seri. Arsenic, Lausanne. 25 avril-28 avril 2024.
Durant la Biennale de Dakar 2022, la revue d’art AFRIKADAA présente la 4ème édition de l’African Art Book Fair (AABF) avec une large sélection d’éditeurs indépendants internationaux et d’artistes du 20 au 22 mai 2022.
Lors de sa première édition à la Biennale d’art contemporain de Dakar en mai 2016, l’African Art Book Fair a rencontré un engouement et un vif intérêt de la part du public et des professionnels de l’art contemporain. Fort du succès des précédentes éditions (2018), l’AABF a décidé de continuer à soutenir le secteur de l’édition d’art et de la production critique. Elle sera de nouveau présente avec de nouveaux projets d’éditions et livres d’art durant la Biennale de Dakar 2022 qui célébrera sa 14ème édition dirigée par le commissaire et historien d’art, Dr. El Hadji Malick Ndiaye.
L’AABF se veut aussi être une plateforme de dialogue et de débats interrogeant les nouvelles pratiques éditoriales, la production critique autour des différents formats d’écritures, en questionnant la publication en tant que pratique artistique et curatoriale sans oublier la problématique de la distribution sur le plan international.
Nous invitons tous les éditeurs indépendants internationaux à participer à cette foire d’art du livre afin, non seulement de nous fédérer, mais aussi de défendre les revues d’art et la production critique issue des territoires du sud dans les biennales et foires d’art contemporain.
Souhaitant construire ensemble le contenu de la programmation des talks/tables rondes, l’équipe de l’AABF est à l’écoute des professionnels et est tout à fait disposée à répondre à leurs attentes.
Nous sommes aussi à la recherche de partenariats pour soutenir ce projet et sommes ouverts à toute forme de collaboration avec les structures sollicitées.
N’hésitez donc pas à faire tourner l’information autour de vous, auprès de collectionneurs, d’artistes ou d’éditeurs indépendants innovants sur les nouvelles pratiques éditoriales et les publications d’art.
During Biennale of Dakar 2022, AFRIKADAA presents from the 19th to the 22th of May 2022 the fourth edition of its African Art Book Fair (AABF) with a large selection of international independent editors and artists.
On its first edition at the Biennale of Dakar 2016, the AABF received lots of interest and enthusiasm from the public and from contemporary art professionals. After that success, the AABF team decided to continue supporting the art publication and the critical production sector during the next Biennale of Dakar curated by Malick NDIAYE.
During this event, we want to make discover to the public and to art professionals the best publications focusing on African and European art. The AABF will be also a debate platform where we could question new editorial practices, critical production and publication as an artistic and curatorial practice.
This event is important because it represents an opportunity for independent editors to show and sell their work but enhances at the same time a dialogue between editors from the West and from the southern part of the globe during public talks.
We invite independent international publishers to participate at this art book fair in order to federate but also to put the light on African editorial productions.
The AABF team would like to build the talks program content with the professionals who like to get involved. So, don’t hesitate to bring ideas on what you would like to discuss on public platforms.
We are also looking for partners to support the project. So please, share the information around you with artists, collectors and other innovating independent publishers.