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WORLD UP! (Sous-mounde venté)

par PAW (Paul-Aimé WILLIAM) (21 Février 2022 à 18:20)

crédit : Jay Ramier, Sunday Service, 2021 (Galerie Rabouan Moussion (Paris))

Nou pé ké janmen caou ca fouyé-difé ! Les brigades anti-négrophobies menées au quotidien par Jay Ramier s’exprime à travers son exposition personnelle dédiée à la musique noire comme pensée/force/projet de résistance & d’émancipation dans un magistère de lahars décolonisant et engloutissant fort musiquement les permanences raciales. 

Refusant le blanchiment pacificateur des murs du centre d’art contemporain, l’artiste guadeloupéen nous projette dans ses limbés ๛exsanguent de toute lactation. Lieux approfondis de feuilles mortes d’histoires occultées et de fruits succulences d’horizon d’où la sentence fièrement flamme « accommodez-vous de moi, je ne m’accorde pas de vous1 » siffle subrepticement (nos f***** cold crushing, nos suffocations sublimes) dans les espaces blêmes du Palais de Tokyo. Delà l’oeuvre Selebwasyon fait siens les tracées du pater de l’artiste invitant à un lahar de sa noirceur hors du vernis de notre modernité raciste. Mer de grain de café (ō chivé grennen dans le sable), djouk l’en-messe (mè so djèz), ceinture (wachacha), livre saint (ō chanté noël), clé sans verrou (or les portes des cayennes du bourg sont toujours grandes ouvertes), dessin de la peintresse Clementine Hunter (ō claireté d’un peuple)… Ces matières d’une vie (an nèg sé an milénè) enfouaillent plus d’un récit antillais habité de cyclones et de nouveaux dieux qui veillent sur ces puissances et dignités muselées (mais ils diront que c’est foutaise, que ce ne sont que choses mortes, inertes. Nous clamerons que la mort chasse toute vie de toutes choses comme conque sans lambi or de l’illimité jà la vulve du conque trompette son pollen de verges à fleur fermentatives ๛) 

Jay Ramier, Selebwasyon, 2021 (Galerie Rabouan Moussion (Paris))

« Juke, Jook, Jouk, Djouk »

Plus loin, une chaîne hifi découpée est accrochée sur un mur où est posé une photo agrandit peignant une fête midi-minuit rythmée de musique et de danse appartenant aux archives familiales de l’artiste. Cette chaîne hifi est la troisième du pater de Jay Ramier. Elle fait échos à l’autre agrandissement photographique sur le grand pan de mur à gauche représentant Ti-jay plein de joies et la grande personne heureuse posant (pas seulement pour la frime) avec leur toute première chaîne hifi, dernier cri. Une statuette Fang dorée est, par du ruban adhésif noir, liée en porte à faux à cette appareil-hifi. Cette assemblage de forme est succinctement baptisé comme un engin : Juke Joint. « Joint » est un argot africain-américain pour produit ou production. « Juke, Jook, Jouk, Djouk » est un mot wolof et bambara qui a traversé l’atlantique dans le ventre tremblant du bateau négrier et signifie « piquer en dansant » dans les pays-caraïbes (on dit aussi « piqué djouc » en africain-guyanais) ; le mot désigne également un bar dansant ou parfois de prostitution (pour piquer, jook gal, coquer, baiser, to jazz, faire l’amour) dans le Sud des USA et donnera en dérivant le cultissime juke-box. Et delà, ce juke-joint est une boîte à vent car « la chose à souhaiter c’est le vent2 », appareil apocalyptique à tam-tam I & II, grande machine à petits « orgasmes de pollutions saintes / alleluiah3 » qui réveille les liaisons insolubles que boucane les arts incrés, les lyannages prophétiques, les maâts, les philosophies et les luttes sociales et politiques des mondes noirs. 

N’ai jamais su son métier… il m’avait offert sa chaîne ifi… étais venu la chercher dans sa case… Le séjour confiné était rempli de disc… depuis me suis tjrs dit que mon voisin était prof de musique à la retrait… La chaîne ifi donnait bien, lourd… confort suprême avec du Bad… m’en suis séparé pour m’offrir une paire de shoes… ne me rappelle plus si c’était avant ou après son premier avécé… un monsieur est venue la chercher… mais il manquait la télécommande avec la petite lumière rouge… il est parti sans… ai senti à ce moment là que cette appareil avait d’la valeur pour les avertis… toute grise avec lecteur cassette & cédé, prise jack, deux enceintes, une télécommande, ma première chaîne ifi… à côté de mon lit, objet précieux… au petit jour, celle de mes parents marche toujours… Zouk, Soka, Reggae… celle de mamie a toujours été là depuis ma naissance décorée d’une dentelle blanche… Radio, l’évangile du jour, les infos du matin, les émissions de neuf-heure-midi et sans oublier au déjeuner les avis de décès… celle de grand-père pareil… cédérom acheté chez Musique Music à Cayenne… Biguine, variété, musique carnaval, chanson pour enfant, Yeahyeah…

(GDL)

Le premier espace de l’exposition Gadé difé limé (GDL) est intime, reconnaissable à tout familier d’une vie antillaise cambriolée et mêlée aux heures mêmes du déracinement africain et de l’exportation hors du pays basal vers la putain de métropole. Autre-part, la seconde partie de GDL accueille les visiteur.e.s avec un graffiti « KEEP DA FIRE BURNIN’ » au lettrage explosif et à l’entour incrusté de paillettes. Cette façade est la reprise vocale en argot du titre de l’expo qui hommage l’auteur de Fire Next Time, James Baldwin et fame (variant féminin de hommager ; « fa-me », gloire en anglais et ancien mot pour femme il y a l’antan) qui fame donc la chanteuse africaine-américaine Gwen McCrae dont le titre d’un de ces morceaux donne ses lettres de noirceur à l’évènement. Ooh can u feel it? We can. Now move it on dancefloor. Love Love yeeah amour sur amour sur amour boum. Le second espace conçu par Jay Ramier est un éloge à la musique funk qui enflammait son adolescence au coeur des bombardements du hip-hop et qui donna des ailes, dans les années 80, à aka Jay One et son collectif da BadBC (Bad Boys Crew). 

« Le funk est un genre musical ayant émergé vers le milieu des années 1960 aux États-Unis, dans la lignée du mouvement hard bop. Le terme funk provient de l’argot anglo-américain FUNKY, qui signifie littéralement « puant », « qui sent la sueur », insulte-traditionnellement-adressée-aux-noirs par les Blancos (WASP++) et reprise ensuite à leur compte par les artistes noirs tel que Horace Silver dans son morceau Opus de Funk (1953). »

(Encyclopédie ; texte remixé)

Dans une pièce sombre au paraître de salle de concert se rencontrent et s’unissent les oeuvres d’artistes proches ou lointains invités. Des allures (on ne parle plus d’oeuvres, plus de formes, plus de concepts, non aucun, mais d’allure comme des marronneur.e.s fuyant loin la plantation sous les bois pareil à des allures furtives) relatent des histoires aux fleurs jumelles dans un mouvement de sympathie entre les humanités artistiques. Ce ndiakhass de souffrance et de feu de sang (ndiakhass, mélange en wolof) se retrouve dans l’allure Carte du tendre de 1963 du suprême artiste haïtien Hervé Télémaque, dans quoi le mot sym-pathie-pathos prend tout sa folle négativité. 

« Allures. « Ses allures sont du côté de Capesterre. » L’expression désigne (les esclavisé.e.s) et les lieux de fréquentation de l’esclavisé.e.s parti en marronnage. Ils peuvent se situer à proximité de l’habitation ou être beaucoup plus éloignés, en fonction des complicités dont l’esclavisé.e.s peut bénéficier ou des opportunités de travail qu’il peut trouver. »

(ISBN : 9782843140037 ; texte remixé)

Un dispositif cartographique vermoulu mesuré par un cadran romain ayant pour nombril le pôle nord fait plan des intourists de douces petites conquêtes en flèche. Des dentiers peints un coquillage rose et des étiquettes de voyages américains jonchent le dispositif en étagère. Au-dessus, une poupée acéphale et bicolore (noir et blanc) est poignardée dans le dos par un couteau traversant la latte supérieure. Cette mise en scène est ici-là comme pour narrer les catatonies de ce monde qui ne peut demeurer sans le meurtre d’humanités écartelées et jetées sans cap… oeil incendié aux quatre vents où échouent des ricanements et des chants de travail d’îles à sucres en ahanement de terre bananière l’unes l’autres pendu à même des isthmes au gouffre de l’indifférente brutalité. Nou pa sa soumoun, nous ne somme pas vos déchets. Sous-moun, sous-mounde, sous-monde, sous-humanité servis comme des amuses-gueule sur la table de diables (vyé-moun) ayant pris l’apparence de François Pinot et de Bernard Hayot. 

Hervé Télémaque, La carte du tendre, 1963, (Galerie Rabouan Moussion (Paris)) credit : Adagp, Paris, 2021.

Sous-mounde,

L’étude « Mère-Afrique » d’Hervé Télémaque épingle les micro-violences de la quotidienneté que traînaille les sous-mondes sur le bitume de nos sociétés négrophobes. On ne peut guère plus même garder, dans ces conditions indignes, la vision irréparable des tristes vieux jours passé à travers une représentation d’une « nourrice noire promenant un enfant blanc d’Afrikaners, le long d’une plage de Johannesburg interdites aux noires ». WHITE PERSONS ONLY, SUPRÉMATIE BLANCHE VICTORIEUSE. À coté de cette assomption quotidienne de l’anti-noirceur, les photographies de Martine Barrat rebaille les dynamites du ressentiment et de la dignité noire à celles et à ceux à qui l’on cloua une race dans la chair. CLAIMS POWER, HÈLER LA PUISSANCE NOIR. JOBS NOT JAILS, MÉTIERS OUI, INCARCÉRATION NON.

Plus haut, Sunday Service de Jay One relie deux petits spirituels en forme d’angelot annonciateur de musique bouchée sur une étagère à frange noire où est disposé au mitan un vinyle miroitant des invisibles (mais ils diront le vide, le néant. C’est deux jumeaux emmêlés dans des cordelettes sont les allégoriques de négrillons et de négrites crevé.e.s dans la plantation ou né.e.s dans le marronnage ou bien importé.e.s d’Afrique à fond de cale et qui eurent a joué tantôt ce qui souffla vie aux musiques noires africana : Candombe. Negrospiritual. Blues. Ragtime. Jazz. Samba. Be-Bop. Funk. Soul. Rap. Zouk. Compa. Drill…) Iels sont les poupées noires que quimboise le poète guyanais Léon-Gontran Damas dans son poème Limbé : « Rendez-les moi mes poupées noires / qu’elles dissipent / l’image sempiternelle / l’image hallucinante / des fantoches empilés féssus / dont le vent porte au nez / la misère miséricorde ». 

Jay Ramier illustrait, il y a dix ans passé, le recueil de poème posthume Dernier escale de L-G. Damas et de vitesse ses paroles au couteau reviennent en ressacs comme une odeur de boucane. Un second poète habite l’espace étreint de lumière sympathique, Edouard Glissant incarné par une page manuscrite de son poème Chant d’Odono / sur les esclavages et leurs abolitions. Odono, Oh Odono, Oho Odono, cet ancêtre primordial qui connu le premier la boccanegra-atlantica du trois-mât, une tragédie-délire qui ne cessa de quitter-revenir les somatiques africaine-descendantes comme un hoquet. 

Un troisième poète habite l’espace à travers la vidéo Marron, Anthony Jennings qui connu l’incarcération durant 31 ans dans l’une des nombreuses prisons négrophiles de l’atlantique noir. Cet homme noir et âgé est l’un des plus respectés gangsters de Brooklyn. Il a charbonné entre les années 70 et 90 ; ces histoires vécues à la façon d’un roman de Chester Himes ont inspiré de nombreux rappeurs de Brownville (NYC) et des scénaristes de passage qui s’empressaient aussitôt de les retranscrire dans leurs textes. Jay One le filme en drivant à travers les rues de l’en-ville croqueuse de chairs noires en le considèrant comme une allure « à l’intérieure même de cette contestation global qu’est le marronnage » au même titre que Glissant, dans son Discours antillais, désignait la figure du marron comme « héros populaire des Antilles » s’amalgamant bon gré mal gré par intoxication et aliénation coloniale à la posture incarcérable du bandit de droiture. 

Anti-noirceur

Les effets de cette anti-noirceur structurelle s’observent aussi dans l’accablant portrait de Michel Zecler peint en icône par l’artiste Ariles de Tizi. Michel Zecler est cet antillais qui fut lynché en 2020 par des condés blancs dans son studio d’enregistrement à pAris après un contrôle abusif. Le lynchage, barbarie refoulée dans l’inconscient esclavagiste, béance de l’historicité de l’empire colonial français, est un passage à tabac en réunion réalisé majoritairement par un groupe de blancs sur des humanités exclusivement noires. Ainsi, on conclut toujours d’un lynchage même si cela n’a pas provoqué la mort de la victime. La noirceur de l’allure, du visage de Michel Zecler troué de plaies de sang s’immortalise sans beauté sur un fond de papier d’or encadré d’un bois sculpté mordoré afin que ses ferrements de terreur ne se dissipe pas sinistrement flat dans l’indigne et muette prose du racisme d’État qui blanchit systématiquement les bourreaux, les assassins, les meurtriers, les geôliers ; niant ainsi la vérité abrupte de la victime du supplice et légitimant de fait la brutalité viriliste des flics. À BAS LA POLICE.

blackboule toute suprématie, ō insondable respiration de lumières

Chacune des allures dans ce limbé lagunaire ๛ est une torche vive phosphorescence que ndiakhass les lassos de claireté élaborées et diffusées par Jay Ramier. Vif, le visage brûlants de Gwen McCrae en concert peint par Jay One à partir de la vidéo Keep The Fire Burning sur YouTube. Dense et mystique, le fichage du visage du grand-père de l’artiste Ydania Li-Lopez qui quitta sa Chine natale pour immigrer dans la Babylone nommée Etats-Unies d’Amérique. Digne, la posture souveraine de Queen Latifah présente par un découpé de la couverture de son album All Hail the Queen accompagnéed’une dédicace « to Jay One, Peace & Love ». Âpre, le poids glacial du calcul racial à travers l’utilisation d’instrument de coiffure pour cheveux crépus dans l’allure Funk, Heavy (funky et lourd). Appartenant à la famille Ramier, une tendeuse, des peignes afro à grandes dents adaptés aux cheveux crépu côtoient un fer à lisser d’antan utilisé pour imiter l’esthétique destructrice de la suprématie blanche : assouplir, brûler, torturer, conformer « à la lisse4 » le cheveux, et tout bien pesé, inoculer la maltraitance de soi généralisée aux humanités noires.

Jay Ramier, Funk, Heavy (funky et lourd), 2021 (Galerie Rabouan Moussion (Paris))

Funky, enfin, l’exposition où paradoxe total ! la musique ne s’entend qu’en l’effet ou voire qu’après l’allure et parfois sur le coup par l’activation exempli gratia de l’acte éditorial live du dernier numéro en date de la revue d’art contemporain AFRIKADAA, Les révoltes silencieuses. Deux jours auxquelles le public est convié à voyager dans les limbes des révolutions insulaires emmêlé d’une invitation à écouter l’épique des danseurs et musiciens de gwoka, les vibrations de la parole des poètes et les allures des artistes invité.e.s dans ce tremblement de vent et de drapeaux d’indépendance où « le malheur au loin de l’homme se mesure aux silences5 ». Ici même, nous voilà tous de loin en loin sur la maâture du grand soir ! le silence nous inonde, c’est l’errance kanmougué de la musique, surdité dont las les nègreries désavouent le verbe : marronner ๛

Delà nous saluons d’une insurrection d’échos de claireté les sous-mondes porteur.ses d’allures rebelles : Wélélé nou rhélé Jay Ramier l’atis selebwé jodia mil feu asou so projè fouyé-difé nou ca hélé Hugo Vitrani fan inconditionnel et commissaire de l’ekpozysion ōhō lésé difé pran’l oulélé Pascale Obolo à la flamme d’amitié de trente ans, les murs tremblent moulélé Gwen McCrae vwa badja laro ouaille nou rélé James Baldwin le scribe à la parole sereine ō maât moulélé Damas le nègre basal woulélé Okwui Enwezor l’oeil de poussières d’histoires ō cendres anba la tè ō sérélélé AFRIKADAA la revue d’art militante du futur rélélé Césaire l’habitant de la lagune hélélé Odono le vent d’enfance imaginaire oulélé l’art du Gwoka oh kasé le chant du fleuve Congo épa Sarah Maldoror cinéaste matador dont les brigades se poursuivent au poing épi mousélélé cé mounde-an ci té ca maron bitation l’état françè & sé esclavagist-an cé tout bagaj an lè yé chimin, hache couto fusi walali walala pou défen yé kô di dogue sé mèt-an ki té conten kayakaya la po yé gogo, yé jarè, yé lanmen. Zot couraj, zot balan, zot briga contre sé colon-yan qé yé institution plantation pé qé jin blié, nou qé soufflé « wélélé »  bay zot aye tambou lévé sous-monde venté ! Zot tendé Gadé difé limé ! Bomb Bomb Bomb cé pété ! 

Credit : Afrikadaa

Roulos da playlist : 

  • Elephant Man – Jook Gal
  • Gwen McCrae – Keep The Fire Burning
  • Cameo – Word Up!
  • Queen Latifah – Ladies First (feat. Monie Love)
  • J Dilla – African Rhythms
  • La rouge – Wie Zijne Wij (Bigi Banda)
  • The Last Poets – When The Revolution Comes
  • Erick Cosaque – Nou rivé
  • Man’ Serotte – Bef’ danbwa
  • L-G. Damas – Limbé
  • Ervin Weeb – I’m Going Gome
  • Jacques Coursil – Frantz Fanon 1952
  • Miles Davis – The Doo-Bop Song 
  • Horace Silver – Opus de Funk
  • $NOT & A$AP Rocky – Doja
  • Quequette – Elle Me Dévore

1 Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal

2 Aimé Césaire, Torpeur de l’histoire 

3 Aimé Césaire, Tam-Tam II

4 Juliette Smeralda, Cheveux d’appoint & Peau noire cheveu crépu, l’histoire d’une aliénation

5 Aimé Césaire, Torpeur de l’histoire

JAY RAMIER : KEEP THE FIRE BURNING (GADÉ DIFÉ LIMÉ)

Du 26/11/2021 au 13/03/2022 au Palais de Tokyo (13 Av. du Président Wilson, 75116 Paris)

PAW (Paul-Aimé WILLIAM) : Membre de la revue AFRIKADAA et doctorant en histoire de l’art de la Guyane (EHESS & IMAF).

AFRIKADAA MIXTAPE

par le collectif AFRIKADAA (18 Février 2022 à 11:37)

crédit : Jay Ramier

Nous vous proposons de relire ensemble le numéro #14 « Les révoltes silencieuses » de la revue d’art AFRIKADAA en participant à une expérience collective. À travers un paysage sonore sur les révoltes, les invité.e.s d’AFRIKADAA vont revisiter, poétiquement et politiquement, les questionnements issus de ce numéro à la manière d’une jam session collective à coups de lectures, de sessions musicales et de performances. « N’y-a-t-il pas dans les rythmes de tambours des notes silencieuses, auxquelles seuls les initiés répondent » — Jay One Ramier. Notre monde, nos espaces de marronnage-croisés sont remplis de messages sonores à explorer. Les récits et les sons dissimulés dans l’environnement, nous incitent à mieux écouter et à entendre le monde qui, trop souvent, à travers des regards masqués tempête de mécontentements silencés. 

Ce deuxième acte éditorial live du numéro d’AFRIKADAA portant sur les révoltes silencieuses est pensé comme un voyage sonore. Sonorités discordantes ou accordantes, l’art sonore est souvent un art de l’affect. En portant un intérêt sur l’écriture visuelle et rythmique comme espace de résistance, il s’agit d’ouvrir un champ élargi ou sont convoqués l’expérience des lieux, les parcours et les dérives physiques, les récits et les narrations sonores et corporelles à travers l’exploration des mémoires. Cet événement sera l’occasion de partager des énergies, vivre des émotions, imaginer des fictions, penser les utopies de la révolte afin de revisiter des histoires passées, présentes ou futures en présence des artistes  tel que : Jay One Ramier (peintre), Roger Raspail (musicien), Celia Faussart (chanteuse), Miguel Marajo (artiste-peintre), Nadia Valentine (artiste-peintre), Yann Cléry (musicien-poète), Kane Wung (danseur), David Démétrius (critique d’art), Paul-Aimé William (chercheur), Mo Laudi (plasticien-DJ), Flavien Louh (critique d’art), Dominique Pouzol (plasticien), Pascale Obolo (curatrice), Rocé (artiste).

Devoir de souffler, nous ne serons pas une génération écrasée. Le quatorzième numéro de la revue d’art AFRIKADAA propose une réflexion sur les révoltes silencieuses dans les Antilles-Guyane et l’Océan Indien, sur les relations entre art et militantisme. À quelles violences aveugles donnent-elles lieu ? Les militant.e.s, les artistes et les chercheur.euse.s nous apportent leurs réponses guerrières aussi diverses que les mêlées art-militants sont directes et complexes. Les militant.e.s antillo-guyanais.e.s, réunionais-es et mahorais-es sont-elles les nouveaux.elles artistes du 24ème siècle ? L’art prophétise les actions militantes. Les militantes « donnent voix » aux artistes du futur, car nul n’est prophète en son propre présent. 

Programme élaboré par la curatrice Pascale Obolo :

Performance de danse :
 Kane Wung / danseur (5 min)

– Intro : lecture performative du collectif AFRIKADAA (10 min)
– Talk : présentation du numéro sur les révoltes silencieuses
Avec : Pascale Obolo (curatrice/rédactrice en chef de la revue AFRIKADAA), David Démétrius (critique d’art), Paul-Aimé William (chercheur), Miguel Marajo (artiste peintre), Nadia Valentine (artiste peintre), Flavien Louh (critique d’art).

Performance méditative : Monstre-incarnation de l’Autre, Dominique Pouzol / plasticien (10min)

Perfomance musicale : Yann Cléry (20 min)

Talk : pensée les musiques noires comme espace de résistance avec les artistes Jay One Ramier, Roger Raspail, Célia Faussart (Nubians), Mo Laudi, Rocé.

Performance musicale : Rocé 

Lieu :
LA FAB. / Librairie agnès.b 

Place Jean-Michel Basquiat
75013 Paris, France


Horaire : 17H00-19H30

LES RÉVOLTES SILENCIEUSES

par Miguel Marajo dans le cadre du numéro Révoltes silencieuses d’AFRIKADAA magazine.

crédit : AFRIKADAA

Machine aveugle ! Depuis longtemps ils ne pleurent plus, ou tout au moins, ils sont de plus en plus rares à se lamenter. Ils savent que leurs lamentations sont comprises dans le processus même et délibérément, cela depuis le début. 

En un galimatias hermétique, tes rouages sophistiqués surplombent, se complexifient en s’opacifiant, se hissant hors d’atteinte, pour resserrer leur étreinte prédatrice par des entraves obscures sur ceux qui n’ont pas les codes et ne peuvent s’accorder. 

Ils sont tenus en respect et s’abreuvent à une source unilatérale qui s’ajuste au fur et à mesure qu’ils avancent. Cependant, ils ne sont pas dupe. À l’heure de la société numérique, à contre-courant des flots de fake news, cette manipulation, qui remonte à un temps infiniment lointain, tend à se résorber. Alors que d’autres, dans une fuite en avant, cherchent à se voiler la face. Ils porteraient bien un coup s’ils étaient acculés. Conscients qu’ils n’y mettraient pas plus d’animosité 
que leurs adversaires, car ils tomberaient dans le même sac en cautionnant cette violence et, par là-même, en entraînant une réplique à l’infini.

Une longue expérience des turbulences de la mer ainsi que des turpitudes de la vie leur ont enseigné qu’il vaudrait mieux ne pas résister à un puissant courant mais aller dans son sens puis, dévier progressivement de sa trajectoire, pour enfin s’en extirper. 

Non ce n’est pas la fin du monde, mais dans l’inéluctable déviation, un changement de conscience, donc déjà le début d’un autre monde.

“Entre les plis des feuilles vertes” 

“Entre les plis des feuilles vertes”
© Miguel Marajo 2018, huile sur toile, ht116 x la81 cm

L’incident n’est pas si loin, il se prolonge, tel une onde après un jet de caillou dans l’eau, par un remous des langues. Les propos tels que “dernière race après le crapaud”, s’expriment sans complexe en se grimant du masque de l’humour. 

Ici, comme une revanche, le crapaud prend figure féminine, les lèvres légèrement entrouvertes, les paupières détendues à peine tombantes sur des yeux langoureux qui s’offrent en délice.

Voilà que ce crapaud se change en une charmante créature qui surgit entre deux feuilles vertes, en un contraste suave sur un fond rose, purée de framboise ? Rouge à lèvre ? Vernis à ongle ? Rose pour les filles. 

Les feuilles qu’elle porte en guise de coiffe, dont le style baroque est emprunté à une rampe de l’escalier du Petit Palais à Paris, évoquent le naturel, et recouvrent ses cheveux bleus. Comme un bleu ?

Au niveau du cou, tel un carcan, on peut lire un extrait de notice de défrisage qui perd son sens car un mot ambigu s’y est glissé : le mot “délice” a pris la place du mot “hélice” comme pour tourner en dérision ces substances chimiques alcalines. 
Ces produits sont tout sauf tendres avec notre charmante grenouille mais destinés à faire d’elle l’ersatz, aussi divine soit elle, d’une autre créature.

Le jargon technique de la notice, nous explique comment rompre les chaînes structurelles du cheveu crépu, génétiquement programmé pour l’être, afin de le dénaturer pour qu’il soit lisse, et ne nous dit pas comment briser ces chaînes mentales de l’aliénation.

“La dévolue” 

“La dévolue”
© Miguel Marajo 2020. Huile sur toile, ht116 x la 81 cm

Par un enchaînement rapide, nous nous sommes retrouvés repliés dans nos espaces de vie respectifs. Et, nous nous sommes vus boucler, friser pour certains, crêper pour d’autres, blanchir, en l’absence de coiffeurs, empêchés par ce confinement intempestif.

Sur ma toile à ce moment-là, tout naturellement, s’est présenté à moi un visage féminin tourné dans ma direction, me fixant droit dans les yeux, venant d’un espace qui télescopait le réel. Cette femme devenait l’incarnation d’un phénomène qui m’habite de longue date. Cela correspondait, ne serait-ce que par le thème du naturel à l’incontournable question qui habite bon nombre d’entre nous. 

Comme pour riposter aux injonctions esthétiques, celle que j’ai nommée “La dévolue” tente de se défaire du carcan qu’elle a au niveau du cou. Mais comment ? 

C’est par une farce faite aux mots de la notice de défrisage, dont le sens annoncé est en faveur du soin mais recèle des produits alcalins. Avec poésie, elle vient désamorcer le contenu du mode d’emploi du produit par un mélange aigre-doux mêlant à la fois du fer à lisser et de la dévolue.

Sa chevelure irradie de l’intérieur, telle une balise qui se doit d’être visible pour attirer notre attention, pour signaler quelque chose de particulier. Particularisme ? Communautarisme ? Repli communautaire ? 

Son afro est surmonté d’une coiffe dont les motifs et la forme sont, pour elle aussi, empruntés à une rampe d’escalier du Petit Palais à Paris. Ces formes végétales naturelles apparaissent ici sans connotations révolutionnaires, car elles ont été soustraites à la nature sauvage, codifées par l’homme sous forme d’ornementation baroque. 

La nature se manifeste pourtant partout de façon sous-jacente, dans une gestuelle courbe qui rythme la totalité de la toile, l’envahissant finement jusqu’aux vêtements, dans un mouvement complexe qui semble encore vivre sous la danse que le geste lui a imprimé.

En somme, cette débauche de lignes, en circonvolutions, est, à travers le signe vivant, le mimétisme du cheveu et fait écho à son caractère naturel, libre, qui, comme la nature, reprend ses droits.

“Régime subanana” 

“Régime subanana”
© Miguel Marajo 2018, fusain sur papier, h150 x la120 cm

Dans un élan ascendant, qui correspond à une courbe de croissance, emporté par une ronde joyeuse, un manège fait de bananes, comme un gros squelette, une cage thoracique, une énorme carcasse préhistorique ou plutôt une mâchoire qui se resserre sur des personnages semblant pour la plupart, s’amuser.

Inéluctablement, ce manège tourne sur lui-même, transportant comme un éternel recommencement, des biens de consommation, tel ce fruit exotique par excellence, dans une relation tourbillonnante de complexité entre deux mondes. 

Les fruits les emportent par-dessus la Terre ; certains, dans cette agitation ont perdu leurs chaussures. Leurs pieds, partiellement ou complètement dénudés, les rendent plus vulnérables s’ils rentraient en contact avec le sol. Mais cependant, ils sont épargnés et ignorent tout, jusqu’au nom même du chlordécone, puisqu’il s’agit du sol de l’autre.

En guise de dents, voire d’attributs sexuels, ces bananes que certains tiennent avec délicatesse dans leurs mains, frôlent le geste érotique. Ce rapport ambiguë avec la nature ne se limite pas au plaisir d’une consommation partagée, mais à une jouissance onanique, dont les semences restent infertiles, même si elles glissent entre leurs cuisses.

Alors que tous semblent absorbés par cette affaire, un personnage, les deux mains en suspens, nous scrute, nous ramenant à nous même, le sourcil relevé, le regard légèrement tourné dans notre direction.

Nous avons tous envie de nous étourdir pour oublier, tenter d’échapper à la pesanteur des propos tenus sur la gravité de la situation écologique, mais, ce manège nous ramène à l’imposture joyeuse d’une relation aigre-douce.

Nous voilà sur ce dessin, chacun isolé par ces bananes qui nous tiennent en tenaille, alors que déjà, comme des signes avant-coureur, nous nous mettons à friser, à boucler, à crêper, à blanchir en l’absence de coiffeur, empêché par un confinement intempestif.

Ici, la nature se transforme dans les interstices que l’on a bien voulu lui laisser, en contaminant leurs vêtements, en vortex de fumée, en œil cyclonique, en volubilis prometteur d’un renouveau hypothétique et fragile, en masque fantomatique… Bref, ne parlons pas de choses qui fâchent, la nature reprend ses droits !

“Que Laure déconne !”

“Que Laure déconne !”
© Miguel Marajo 2020, fusain sur papier, ht154 x la125 cm

La porte fermée derrière elle, seule dans sa cuisine, autour d’elle la pièce vacille, légère comme un oiseau de bon augure, elle ouvre les bras pour s’envoler et, comme si de rien était, elle éclate de rire. En effet, dans cette manifestation sismique, son réfrigérateur, sa gazinière en effervescence, ainsi que l’ensemble de la pièce, penchent dangereusement. 

Le panier en bois est vide car il n’y a que la banane, toujours la banane, uniquement la banane, une vraie obsession. Une cruche déverse une substance floue, alors qu’un mixeur plongeant arrive à l’opposé pour parfaire l’amalgame. Tous les ingrédients sont présents pour dissiper le mystère et tout particulièrement le titre. Alors, même si ce n’est que la raison qui brûle, “que Laure déconne !”

Et s’il s’agissait de notre point de vue déstabilisé qui fait chavirer la pièce tel un navire ? Si toutefois, on savait ce qui se joue là, sous nos yeux innocents, le tout n’est alors, même si la maison brûle, que chlordécone.

Aujourd’hui, nul ne souhaite une culture de l’effacement. Les mémoires ne se sont jamais interrompues, elles se sont transmises, par une volonté d’assainissement, avec la nécessité de ne surtout pas oublier toutes les résistances auxquelles nous devons beaucoup.

Miguel Marajo, octobre 2020.

Bio : Miguel Marajo est un artiste martiniquais, île dans laquelle il a vécu la plus grande partie de son enfance. S’inspirant de concepts tels que la Négritude ou la Créolité, cet artiste plasticien fut en relation avec Aimé Césaire et assista aux premières conférences d’Edouard Glissant. 

AFRIKADAA 14 – « Les Révoltes Silencieuses »

EDITO

AFRIKADAA N°14

LES REVOLTES SILENCIEUSES

Devoir de souffler, nous ne serons pas une génération écrasée (1). Le quatorzième numéro de la revue d’art AFRIKADAA propose une réflexion sur les révoltes silencieuses dans les Antilles, la misère dans les pays français (2), et les relations entre art et militantisme. À quelles violences aveugles donnent-elles lieu ? Les militants, les artistes et les chercheurs nous apportent leurs réponses guerrières (3) aussi diverses que les mêlées art-militants sont directes et complexes.

Les militant.e.s antillo-guyanais.e.s sont-elles les nouveaux artistes du 24ème siècle? (4) L’art prophétise les actions militantes, les militants « donne voix » aux artistes du futur, car nul n’est prophète en son présent.

Les statues déboulonnées et le mouvement inédit de mondialisation de l’antiracisme ne peuvent nous laisser insensible ou sourd. Depuis nos guides (5) en passant par le poing de l’un des nègres de la Martinique (6), fin 19ème, qui commença à décoloniser, dès son érection, la statue de Joséphine l’impératrice française ; (ou encore récemment les statues de Victor Schoelcher en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane…) Un vent de révoltes s’est lévé aux Antilles avant les États-Unis. Recommençons à nous libérer des espaces coloniaux et raciaux à partir des déboulonnements des esprits de statues (7) démarrés le 22 mai 2020 en Martinique et en 1848 — l’abolition de l’esclavage par les esclavisé.e.s .

L’actualité de l’an 2020 sur fond de crise sanitaire mondiale et de discriminations subies par les communautés noires, nous renvoie sans cesse aux questions liées aux racismes, aux violences faites sur les corps noirs et aux présences de génocides

coloniaux. Envahis par des esprits de statues qui nous étouffent et nous empêchent de souffler (8), de nous émanciper du système colonial occidental, nous avons la volonté de nous faire entendre mais aussi d’être force de proposition et guide de nos propres « destinations » au bord du gouffre colonial et social (9). En effet, le souffle n’est ni devin ou kamikaze, il est marronnes. Le souffle est tout ce vent de marronnages à la dent longue. En résonance avec le mouvement Black Lives Matters né aux États-Unis (qui fait échos aux luttes de toute une jeunesse), il nous semblait urgent d’interroger les révoltes silencieuses des dernières colonies françaises dont le grondement tellurique ne faiblit pas. Bien au contraire !

Il est temps de convoquer nos histoires, d’organiser nos bois, tracées — outils — pour s’émanciper des maîtres de la métropole. Il s’agit de mettre dans une lumière crue l’échec des grandes narrations de la modernité et de renoncer à une forme unique d’historicité.

À quand la valorisation de la biodiversité des connaissances et des savoir-faire locaux ?

L’écologie décoloniale dans les Antilles devrait être, en continu, repenser afin de lutter contre le Laboratoire d’expérimentation sur nous-même (Négrocène) qui nous accapare comme cobayes en raison de la crise sanitaire entre autres opportunités énergivores (10). Néanmoins, le « Négrocène est aussi l’ère de ces résistances silencieuses et souterraines qui parfois grondent en éruption volcanique » (11). Et dont on a de plus en plus de mal à éteindre les brasiers qui s’enflamment dans les territoires ultra-marins.

Dans cette veine sous-marine, des résistances historiques, culturelles et sociales se lèvent ainsi contre les prédations impraticables (droit aux réparations (12), à la terre, et aux cendres à la suite des illusoires fins de l’esclavage, de la traite, des abolitions

et des savoirs militants). Aurons-nous le courage de poser les questions !? celles qui brisent les ruses et stratégies du continuum colonial !? À demain, l’héritage du colonialisme esclavagiste. Comme le soulignait le commissaire Okwui Enwezor (56e édition de la Biennale de Venise) : « … le monde a toujours été créolisé. On ne le voit pas à Berlin ou à Munich, mais il suffit d’aller au Brésil, en Guyane, à Istanbul ou à Kochi pour le constater. L’Occident ne peut s’empêcher de se croire au centre du monde et d’ignorer le reste ».

ll est temps de décoloniser et dé-polluer nos lieux publics! Comment les artistes, les militants, les théoriciens et critiques d’art des Antilles se re/positionnent face aux enjeux de la postcolonialité ? Comment instaurer le dialogue, si les savoirs, les actions militantes et les œuvres restent européano-centrés ou encore, vus du centre ou s’opère une délégitimisation des savoirs issus des minorités suivit d’une occultation de leur actions sur le terrain? Dans le contexte postcolonial, les musées universaux de la métropole ont-ils su développer de nouvelles alliances avec les peuples de la Terre ?

«… On ne peut pas diriger le moment d’avant, pour atteindre le moment d’après. Les certitudes du rationalisme n’opèrent plus, la pensée dialectique a échoué, le pragmatisme ne suffit plus, les vieilles pensées de systèmes ne peuvent comprendre le chaos-monde… Je crois que seules des pensées incertaines de leur puissance, des pensées du tremblement où jouent la peur, l’irrésolu, la crainte, le doute, l’ambiguïté saisissent mieux les bouleversements en cours. » — Édouard Glissant.

Les voix qui s’expriment à travers AFRIKADAA, aujourd’hui viennent combler un manque et un décalage existant entre continuum colonial des discours et pratiques de résistance locales, et montre que continuer de parler de « nous » sans « nous » fait preuve d’une incompréhension globale sur les problématiques discriminatoires et postcoloniales. AFRIKADAA s’impose ainsi comme une roche de résistance vis-à-

vis des pratiques de légitimation du pouvoir. L’écrivain nigérian Chinua Achebe (1930-2013), auteur du roman-culte Le Monde s’effondre, décrit ce qui se passe aujourd’hui dans le monde en ces termes : « Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, l’histoire de la chasse glorifiera toujours les chasseurs ». Il appelait ainsi les Africains – et les Afro-descendants – à prendre conscience de ce que l’histoire qu’ils enseignent à leurs enfants et qui est écrite par les explorateurs et les colons venus conquérir le continent africain, relèguera toujours l’apport des africains à l’humanité à l’arrière-train de la marche du monde. Aujourd’hui cette nouvelle présence en a assez du règne néo-colonialiste et veut la vérité sur son histoire floué, ligoté !!!

Nous tenterons d’y répondre dans ce nouveau numéro de la revue AFRIKADAA qui rêve librement de transpercer les murs de l’émancipation actuelle pour souffler pleinement puis laisser couler, les soufrières.

(1) « il regardait aussi vers l’avenir : et le présent lui est à jamais interdit », épigraphe, Le Quatrième siècle, Édouard Glissant, « livre à la mémoire d’Albert Béville 1917-1962 ».

(2) Provocation concernant les pays encore sous la colonisation française.

(3) Pour tous mots guerrier-silex, dans Moi, laminaire, d’Aimé Césaire : « Je t’énonce / FANON / le regard des bourreaux guerrier-silex / vomi par la gueule du serpent de la mangrove ».

(4) Voir, les présences des marronnes dans Le Quatrième siècle. « À coté de celles qui aident, se trouvent surtout des femmes qui marronnent pour elles-mêmes et les leurs, qui remettent en cause à la fois l’esclavage et leur domination par les hommes libres et les hommes esclaves. » (cf. Malcom Ferdinand, Une écologie décoloniale, p. 262)

(5) Cela signifie rebelle en créole depuis les années 1980 à nos jours. Cette assertion « guide » en créole fait échouée la dialectique maître et esclave.

(6) Nou pé cé bay zot nou peyi. (sans description / traduction)

(7) Esprits frénétiques qui négrifient, désirent, torturent, assassinent nos « Moi ». (cf. Ils sont venus ce soir, dans Pigments, Léon Gontran Damas)

(8) Le souffle est « tout ce vent qui va pour monter… jusqu’à tes mains, puis ta bouche, les yeux, la tête » (cf., incipit, Le Quatrième siècle, Ed. Glissant). Sans souffle (pneuma & psophein), il n’y a ni respiration ni prophétie (pro-phémi), pas d’adresse à une minorité, à une communauté ou à un collectif. « Le prophétisme est une forme d’intervention intellectuelle et de critique sociale qui donne voix à la dignité des opprimés dans les contextes où elle est ignorée et piétinéé ». (cf. Norman Ajari, La Dignité ou la mort, éthique et politique de la race, p. 189). Le souffle n’est ni devin ou kamikaze, il est marronnes. Le souffle est tout ce vent de marronnages à la dent longue.

(9) « Au fond tout l’effort du prophétisme noir converge vers cette unique destination : susciter la dignité de l’opprimé, réveiller en lui le besoin de se confronter de toutes ses forces aux enjeux de la survie » (cf. Norman Ajari, La Dignité ou la mort, p.196.)

(10) « Les Nègres sont les nombreux hors-monde (humains et non-humains) dont l’énergie vitale est consacrée par la force aux modes de vie et manière d’habiter la Terre d’une minorité tout en se voyant refuser une existence au monde ». (cf. Malcom Ferdinand, Une écologie décoloniale, p. 106.)

(11) Malcom Ferdinand, Une écologie décoloniale, p. 108.

(12) En parlant de la traite et de l’esclavage, « la pensée des réparations est politiquement et moralement impraticable et injustifiable ». (cf. Édouard Glissant, Une nouvelle région du monde, Esthétique I, p. 195

Taye,Tarani Taye, Prudence Tetu, Nadia Valentine, Françoise Vergès, Hugo Vitrani, Paul Aimé William.

Les révoltes silencieuses, ici, prennent des formes multiples et abordent des thématiques différentes :

  • Jean-François Boclé et Jessica Oublié mettent en avant les problématiques sanitaires actuelles, en Guadeloupe et en Martinique, concernant le chlordécone et la toxicité des sols et des corps.
  • Joëlle Ferly et Stéphanie Melyon-Reinette reviennent, en profondeur, sur leur manière de définir l’art contemporain en Guadeloupe de nos jours à partir d’une écriture située ;
  • Étienne et Tarani Taye partent de leur expérience personnelle liée aux violences accompagnant le déracinement de leur île natale qu’est La Réunion ainsi que de la création d’espaces radicaux comme réponse de résistance ;
  • Mayotte, territoire unique, complexe et singulier et étant le dernier département français [101e], est vue à travers différents artistes-auteurices [Anil Abdoulkarim, Darouèche Hilali Bacar, Soidiki Assibatu et Nassuf Djaillani] comme une fresque, une figure qui traverse le temps et l’espace en résonance à une violence coloniale historique ;
  • Cédrick-Isham Calvados et Passil Swamo abordent les violences policières faisant écho au un an de la mort de « Klodo » par les gendarmes coloniaux en Guadeloupe ;
  • Nadia Valentine et ses fortes encres sur papier proposent une déconstruction des imaginaires en rééquilibrant les représentations noires dans l’imaginaire social ;
  • Myriam Omar Awadi, Yohann Quëland de St-Pern, Prudence Têtu, Anne Fontaine, Magalie Grondin et Brandon Gercara proposent différents dialogues artistiques de ce que veut dire marroner à La Réunion ;
  • Françoise Vergès explore les révoltes silencieuses comme un espace de repos et de réflexion dans lequel elle élabore une pédagogie de la transmission et de l’imagination ;
  • Arnaud Elfort, Léna Monnier, Kamun Dawuud et Pierre-Antoine Irasque agitent les lecteurices-x selon des exemples de vandalismes, de déboulonnages et de combats
  • Nègre n’est pas une insulte, nègre est une cage, nègre est un statut tels que le développent Vincent Fontano, Selma Bey, Fatoumata Sakho et Miguel Marajo ;
  • La radicalité poétique noire, forme d’émerveillement, de bien-être comme un outil de réparation et de sublimation de l’être noir•e-x incarnée par Gerty Dambury, Mandresy Randrianarivony, Awoah Lopy, Melvyn Pharaon, David Démétrius, Assya Agbere, Gilbert Georges Guy Gratiant et Amandine Patin ;
  • Nathalie Muchamad et Jean-Pierre « Swan » au travers des paroles de chansons questionnent l’idée d’une identité kanak qui se construit à travers la quête de l’histoire. De plus, le collectif d’artistes autodidacte et indépendant Osso par une « lettre-texte » écrite par l’artiste Jay Ramier militent pour une liberté d’expression totale où arts, sports, et éducation seraient le vecteur d’une révolution dessinée à décoloniser les esprits et les corps en Nouvelle-Calédonie.
  • Chris Cyrille introduit ici le conte Le Crabe et l’Aparahiwa poursuivant autrement son exposition « Mais le monde est une mangrovité ».
  • Le travail de Mirtho Linguet ne s’inscrit pas dans une valorisation d’une couleur noire ou d’une beauté noire mais dans une approche de l’individualité contrecarrant le discours d’une couleur de peau justifiant les situations de dominations et de maltraitances de ces corps.
  • Pascale Obolo et David Démétrius mettent à disposition du public, un texte-archive qui retrace l’une des installations majeures Chimurenga Library : un lieu de refuge et d’activation des luttes noires radicales francophones pensée à partir de la Bibliothèque Chimurenga imaginée/ curatée par le collectif Chimurenga à la BPI.
  • Une sélection de deux espaces mettant en valeur la scène artistique caribéenne et de l’Océan Indien présenté par Rolando J. Carmona et Flavien Louh.

On conclut ce numéro, avec Expogram qui est un nouvel espace-laboratoire virtuel imparfait cartographiant une sélection d’expositions internationales vu à travers des lunettes décoloniales.

EN :

A need for breathing space, and we will not be a crushed generation. The fourteenth issue of the art magazine AFRIKADAA proposes an introspection on the silent rebellions in the West Indies, the misery in the French countries, and the relationship between art and activism. What type of random violence is inflicted here? Activists, artists and researchers bring their warlike responses, which are as diverse as the art-activists melee can be direct and complex.

Are the Antillo-Guyanese activists to be considered as the new artists of the 24th century? Art portends belligerent actions, militants “give voice” to future artists, because no one is a prophet in his own time.

The dismantled statues and the unprecedented global movement of anti-racism cannot leave us indifferent or deaf. From our guides, while going through the punching fist of one of the Negroes of Martinique, at the end of the 19th century, who started a form of decolonization, by destroying the statue of Josephine, the French Empress, as soon as it was erected ; (or even recently the destruction of the statues of Victor Schoelcher in Martinique, Guadeloupe and French Guyana…), the wind of change arose in the West Indies, even before it started in the United States. Let us start again to free ourselves from colonial and racial spaces, by beginning with the dismantling of the spirits of statues which started on May 22, 2020 in Martinique and in 1848 – with the abolition of slavery by the enslaved.

The event of the year 2020, based on the global health crisis together with the social discrimination against the Black Communities, constantly refers to issues related to racism, violence against black bodies and to recurrent colonial genocides. Overwhelmed by the spirits of the statues which suffocate and prevent us from breathing, from emancipating ourselves from the Western colonial system, we do not only have the will to be heard but also to be an opposing force which comes forth with proposals, as well as to be a guide to our own “destinations”, currently found on the edge of the colonial and social abyss. Indeed, the breath is neither a soothsayer nor a kamikaze, it is marooned. The breath is a wind of ambitious maroons altogether. Echoing the movement ‘Black Lives Matter’, which started in the United States (and which resonates with the struggles of the youth), it seemed urgent to question the silent revolts of the last French colonies, whose telluric rumble does not weaken. On the contrary!

It is time to summon our stories, to organize our journey, to assemble our tools, in order to free ourselves from the Metropolitan masters. It is all about bringing to bright light the non-productive feature of the lengthy narratives on modernity and about renouncing to a single form of historicity.

When will the time come for the promotion of the biodiversity of local knowledge and skills?

The de-colonial ecology in the West Indies should be continuously reconsidered, in order to fight against the Laboratory of Experimentations on ourselves (Négrocène), which grabs us as guinea pigs, during this period of health crisis, among other energy-consuming opportunities. Nevertheless, the “Négrocène is also the era of silent and subterranean oppositions, that sometimes roar like a volcanic eruption” (1). And, of which it becomes increasingly difficult to extinguish the blazes that ignite in the ultra-marine territories.

Historical, cultural and social resistance are thus rising against impractical predations (right to reparations, to land, and to the ashes, following the illusory end of slavery, of slave trade, and of abolition). Are we courageous enough to ask the required questions!? Those which break the tricks and strategies of the colonial continuum!? The legacy of slave colonialism, will soon come. As curator Okwui Enwezor (56th edition of the Venice Biennale) underlined: “… the world has always been creolized. It cannot be witnessed in Berlin or Munich, but one only has to travel to Brazil, French Guyana, Istanbul or Kochi and to witness it. The Occident cannot help but to believe itself as the center of the world, while ignoring the rest”.

It is time to decolonize and to make pollution-free our public places! How do artists, activists, theorists and art critics of the West Indies position themselves with respect to the challenges of post-colonialism? How can we achieve a fruitful dialogue, if knowledge, activist actions and artist works remain European-centered or else, are seen from the center? In a postcolonial context, have the Metropolitan universal museums been able to establish new alliances with the different population/tribes of our planet?

“…One cannot lead with the past, in order to reach the future. The certainties of rationalism no longer operate, the dialectical thinking fails, pragmatism is no longer sufficient, the old-fashioned systems cannot understand the world-chaos … I believe that only thoughts which are uncertain of their power, thoughts filled with agitation, which combine fear, irresolution, apprehension, doubt, ambiguity, do understand better the prevailing upheavals” — Édouard Glissant.

AFRIKADAA TEAM

(1) Malcom Ferdinand, Une écologie décoloniale, p. 108. (2) Nou pé cé bay zot nou peyi.
(3) Édouard Glissant, Le Quatrième siècle.
(4) Léon Gontran Damas, Ils sont venus ce soir, in Pigments.
(5) Norman Ajari, La Dignité ou la mort.
(6) Aimé Césaire, Pour tous mots guerrier-silex, in Moi, laminaire.

(7) About the dismantled statues in West indies : « Au royaume du signe, les cailloux sont rois… » Joëlle Ferly (Artist, guadeloupe) & Nathalie Muchamad and « De l’art engagé à l’action citoyenne, lettre à monsieur le président de la république de France » by Joëlle Ferly.

Présentation de la revue AFRIKADAA :

Afrikadaa est une plate-forme, un laboratoire qui intègre la richesse d’une scène artistique émergente dont la production mérite visibilité et réflexion. La revue est un espace curatorial déterritorialisé où artistes et acteurs de la création contemporaine interrogent esthétique et éthique face aux enjeux majeurs de la mondialisation. Parce qu’il est temps de redéfinir les relations entre territoires, idées et mouvements artistiques, AFRIKADAA est une revue qui apporte une autre perspective à la scène artistique contemporaine en racontant l’histoire et les trajectoires des communautés d’artistes au-delà des frontières du marché. Les voix qui s’expriment à travers AFRIKADAA aujourd’hui viennent combler un manque et un décalage existant entre continuum colonial des discours et pratiques de résistance locales, et montre que continuer de parler de  » nous  » sans  » nous  » fait preuve d’une incompréhension globale sur les problématiques postcoloniales. AFRIKADAA s’impose ainsi comme une poche de résistance vis-à-vis des pratiques de légitimation du pouvoir.

Créé en 2013, AFRIKADAA, la revue d’art papier et digitale est gérée par un collectif d’artistes, commissaires, historiens d’art, activistes et étudiants.

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Spécifications :

Titre : AFRIKADAA N°14 / Les Révoltes Silencieuses Edition de 600 exp / Français
Taille : 21 cm (L) x 29.7cm (H)
Pages : 252

N° ISBN : 978-2-9561066-0-9 9782956106609

Prix : 30 euros

Contributeurs : Jay One Ramier, Anil Abdoulkarim, Assya Agbere, Soidiki Assibatu, Myriam Omar Awadi, Selma Bey, Jean-François Boclé, Thierry Cron, Chris Cyrille, Gerty Dambury, Kamun Dawuud, David Démétrius, Nassuf Djailani, Arnaud Elfort, Joëlle Ferly, Anne Fontaine, Brandon Gercara, Magalie Grondin, Darouèche Hilali Bacar, Rolando J. Carmona, Vincent Fontano, Pierre- Antoine Irasque, Cedrick Isham, Awoah Lopy, Flavien Louh,Mirtho Linguet, Miguel Marajo, Stéphanie Melyon-Reinette aka Nèfta Poetry, Lena Monnier, Nathalie Muchamad, Pascale Obolo, Jessica Oublié, Melvyn Pharaon, Yohann Quëland de St Pern, Mandresy Randrianarivony, Fatoumata Sakho, EtienneTaye,Tarani Taye, Prudence Tetu, Nadia Valentine, Françoise Vergès, Hugo Vitrani, Paul Aimé William.

« Le tissu africain est-il politique dans les sociétés africaines ? »


Coup de cœur AKAA 2021


C’est sous le thème de la « résilience » que débute la sixième édition de la Foire AKAA
2021 [Also Known As Africa]. Résilience d’un monde encore bien fragile face à un
virus. Résilience d’un monde de l’art qui a souffert un an de quasi-non-activité.
Résilience d’une galerie, Galerie Carole Kvasnevski, et de sa propriétaire du même
nom par le choix des artistes exposé•es-x. Trois artistes, Angèle Etoundi Essamba,
Lindokuhle Khumalo et Justin Ebanda, qui disent NON ! à leur manière, selon leur
esthétique et selon leur histoire personnelle. En parallèle de AKAA, Angèle Etoundi
Essamba
et Justin Ebanda ainsi que Mireille Asia Nyembo exposent à la galerie
Carole Kvasnevski sous le titre fortement symbolique d’EmPReINTe(s) jusqu’au 16
décembre 2021.

« L’exposition porte sur l’interrogation, la déconstruction et
l’appropriation des récits historiques dominants [,- l’histoire du wax]. Comment dans l’imaginaire de certains peuples on a pu leur faire accepter l’inacceptable.

Elle questionne « l’approche corrective », visant à redéfinir et à rétablir les tissus fabriqués par nous dans nos sociétés africaines.

De plus, le tissu africain est-il politique dans les sociétés africaines ? »

(Pascale Obolo, curatrice)


Mon shout-out revient au travail de la photographe camerounaise, Angèle Etoundi
Essamba
, pour son acte subtil, presque silencieux – pour un public parisien et
international pour une grande majorité blanc – mais si criant dans les détails.
Retourner le regard. Détourner l’histoire. S’approprier le fait de se représenter.
Représenter des femmes noires sous l’angle référentiel du portrait flamand et ses
collerettes [ici, en wax]. Le passé et le présent se mêlent s’entremêlent pour ne faire
qu’un, « un destructuré ». Représenter une bourgeoisie-autre, s’éloignant de
l’imaginaire que l’on s’en fait. Une bourgeoisie qui se veut critique du regardeur, du
système colonial passé/présent, d’un tissu qui domine le continent Africain et
invisibilise, pour ne pas dire fait mourir, ses tissus traditionnels.
Une résilience qui se veut « tisser une nouvelle histoire » au cœur d’un Paris [intra-
muros] réunissant le monde de l’art contemporain et où l’humain et l’échange
deviennent le centre et le point de départ de tout – au travers du regard
photographique d’Angèle Etoundi Essamba.

L'exposition EmPReINTe(s) co-curatée par Pascale Obolo et Carole Kvasnevski dure jusqu'au 
16 décembre 2021.

La Galerie Carole Kvasnevski, fondée en 2010 par Carole Onambélé Kvasnevski –
galeriste d’art et commissaire d’exposition indépendante. La galerie met en avant des
artistes du continent africain ainsi que de sa/ses diaspora(s) avec pour objectif de
proposer une approche déconstruite de l’espace galerie se voulant plus fluide, tourné
vers l’humain et où toustes-x visiteureuses-x retiennent de leur visite, l’expérience
intime de l’art.

Galerie Carole Kvasnevski

39 rue Dautancourt, 75017, Paris
https://www.galeriecarolekvasnevski.com/

AKAA – Art & Design fair |12 – 14 novembre 2021, Paris

David Démétrius/ critique d’art

Performer dans les rues de Saint-Denis

19 juillet 2021

C’est sous un soleil désespérément-recherché depuis le début de l’été parisien, que s’introduit l’après-midi du dimanche 18 juillet 2021. Ambiance contraigno-propice pour la performance qui allait suivre [comme j’allais en être témoin plus tard] …

Arrivé un peu avant 15h, quelle fut ma joie d’avoir la possibilité d’entrée-visuellement dans les préparatifs de l’artiste Jelili Atiku. Tout en respectant la distance que je m’impose lors d’une performance, dans ce cas précis, se résumant à rester sur le trottoir opposé au portail d’entrée du Musée d’Art et d’Histoire Paul Éluard de Saint-Denis, prenant en compte deux facteurs précis : celui d’observer l’apprêtement performatif et la ré-ception/action extérieure.

Voici

Le grand escalier du musée
Sur lequel
En son centre
Se trouve stoïquement
Une femme
De bois De petite taille

[ ou de grande taille
comme le signalera les autres

Femmes]

Exclu•es-x ou Non-initié•es-x
Aux préparatifs
De ce qui allait suivre
Ce qui semble être les Autres
Regardent S’arrêtent Scrutent S’interrogent
« Du body-painting ?! » s’exclamera une jeune femme à son amie

Non !
Ou alors Oui !

Mais non de ce que l’Occident l’entend
B.o.d.y.-P.a.i.n.t.i.n.g

Le rapprochement plutôt familier mais non-juste ici de ce que
J’aurai appelé le Mas dans un contexte carnavalesque guadeloupéen

Ce rite d’incarnation
Devenir pour être
Entité
Être pour perdre
Toute humanité

Quant aux invité•es-x
Cel•x aux aguets, averti•es-x
Rentrent Passent Franchissent S’attablent
À l’intérieur

C’est un peu le même problème partout ! Le vaste territoire de la Seine-[Saint-
Denis, précisément] d’avoir en son sein pléthore d’institutions ou d’espaces

culturels sans que les habitant•es-x ne se sentent happé•es-x de la même
euphorie que « cel•x-qui-s’incrustent ». Sans vouloir rejouer une nouvelle fois la
carte du fameux « Nous et les Autres » si cher à l’anthropologie, mais ne pouvant
qu’être réaliste d’une réalité se rejouant en écho du passé.

Jelili Atiku
Maintenant
Entité-performative
S’enveloppe

D’une cape plastique transparente

Et

Se recouvre au scotch
Le visage des femmes
[celles supposées plus tôt]
Au nombre de quatre [coins du monde]

Placées au
Nord Sud Est Ouest
De sa tête

À plusieurs reprises surgit la figure féminine, que ce soit dans ce texte ou dans
la performance. Ìyáláàyá, du yoruba signifie la grand-mère, la matriarche, la
mère Suprême. Celle aux petits soins à chaque jour de la vie. Celle prodiguant
guérison, soins. Celle me surplombant dans l’escalier. Celle de qui part ce tracé
de craie, exécuté par la main – plus tard le pied de Jelili Atiku. Celle portée de
point en point, de pause en pause performative. Celle de qui une aura
concentrique se dessine sur le sol. Ici autour d’une étoile. Là-bas réparant les
maux de ce monde. Rwanda. Discrimination. Dont Cross Border. Mots-œuvres
de Barthélémy Toguo collés au sol. Celle dans les bras de Jelili Atiku. Celle
guidant son monde [éphémère, de l’instant performatif]. Celle délivrant la
Sophie de Mary Sibande remarquée furtivement au loin d’une rue. Celle
culminant Jelili Atiku quand il s’écroula de fatigue ? de soif ? d’asphyxie ? de
raisons multiples qui seront ou non déchiffrables ? Celle qui conclut au centre
de la chapelle ce moment par un Bonjour – Au revoir – Je serais toujours là pour
vous, pour toi…


Merci à nos [grands-]mères, sœurs, tantes, filles d’être la BONTÉ incarnée de
ce monde.

David Démétrius

Flamboyance, Puissance et Ambiance : 30 Nuances de Noir(es) à la MC93 Bobigny

Vous les avez peut-être aperçues à La Villette, à Arras ou alors à Aubervilliers.

Une fanfare de femmes noires paradant fièrement, dansant, chantant, s’exprimant, au sons des instruments, qui propose un spectacle aussi inouï qu’unique. 30 nuances de noir(es), cette formation “ inspirée des fanfares New Orleans, qui regroupe 11 musicien-ne-s et 11 danseuses de waacking, locking et jazz” à voir absolument ! En tout cas, ce sont des rencontres que l’on n’oublie jamais, qui nous marquent et nous enrichissent ! 

30 nuances de noir(es) est une expérience à vivre. Et ça tombe bien la parade sera ce Samedi 3 Juillet devant l’Hôtel de ville de Bobigny en face de la MC93, une fête à ne manquer sous aucun prétexte


Rayonnantes, flamboyantes, à couper le souffle, une réussite à tous les niveaux… Voilà les remarques dithyrambiques qu’inspire 30 nuances de noir(es)

L’idée germe il y a près de 20 ans dans la tête de Sandra sainte Rose Fanchine alors qu’elle officie à Aubervilliers. 

C’est en 2017 que naît le projet 30 nuances de noir(es) alors que Sandra propose un atelier de danse Waacking et de souls steps, dans le cadre de rencontres et d’échanges, autour de l’empowerment, de 46 femmes racisées. L’envie de poursuivre cette expérience se concrétise sous la forme de 30 nuances de noir(es), une parade inspirée des fanfares New Orleans, qui regroupe 11 musicien-ne-s et 11 danseuses de waacking, locking et jazz.

Et cela donne une performance puissante, en mouvement, hybride, qui s’adapte aux lieux et se les approprie. Des interprétations vibrantes, une vitalité et des énergies positives, 30 nuances de noir(es) puisant dans le répertoire de la soul music, de la funk en passant par la pop, et délivrant des versions réactualisées de titres emblématiques du féminin afro : “Respect”, “Lady”, “4 women”, “Hot pants road” etc. 

Musiques de luttes, musiques qui racontent les femmes, leurs expériences, brisent des tabous, s’émancipent des assignations.

La chorégraphie, les voix, cuivres et percussions nous transportent, nous émeuvent, nous interpellent alors que les costumes créés par Merci Michel (Annie Melza Tiburce) et Sandra Sainte Rose Fanchine nous en mettent plein la vue. 

Le discours et l’esthétique marchent  de concert, se portent l’un l’autre. La présence de ces femmes noires – et quelques hommes ne les oublions pas – , impressionnante, achève le tableau idyllique. C’est grandiose et de toute beauté. 

L’envie du public de prendre part est palpable, un tiraillement se fait sentir entre désir de participer et une incapacité à le faire tant l’expertise, les talents, l’exécution parfaite sont présents et de haut vol.

 “30 nuances de noir(es) raconte dans un mélange d’esthétiques musicales et chorégraphiques afroaméricaines, africaines, les revendications des femmes noires françaises quant à l’authenticité et la pluralité de leurs identités”

L’idée est de lier la danse, la musique et l’esthétique aux histoires des luttes et revendications de femmes noires, hors “normes”. Ce dispositif permet de saisir les enjeux politiques des musiques et danses jazz et soul/funk, pérenniser et réinventer l‘héritage africain notamment au sein des diasporas, et mettre en exergue “la réappropriation de la fierté noire”, et “l’affirmation des identités de race et de genre”…

crédit photographique : SEKA avec l’aimable courtoisie de Sandra sainte Rose Fanchine et 100DRA SEINTROZ

Sandra sainte Rose Fanchine précise :  “30 nuances de noir(es) raconte dans un mélange d’esthétiques musicales et chorégraphiques afroaméricaines, africaines, les revendications des femmes noires françaises quant à l’authenticité et la pluralité de leurs identités”. En effet, 30 nuances de noir(es) s’empare du Waacking qu’elle lie à la tradition du Marching Band avec ses propres sonorités.  

A l’instar du locking et du popping, le waacking est une danse issue de la Funk, un funkstyle. Le waacking est une danse des années 1970 née à hollywood et  pratiquée par la communauté Gay afro et latino américaine. Ainsi, cette gestuelle “cristallise les transgressions de normes de genre, en étant une danse de réappropriation de son corps et de sa beauté intrinsèque dans un cadre hétéronormatif, où les normes de féminité sont définies par le capitalisme, le patriarcat et la blanchité” explique Sandra.

Ne vous y méprenez pas, ces thèmes comme la performance touchent tout le monde. 

30 nuances de noir(es) propose de sortir des représentations figées, subies imposées ou choisies, des stéréotypes. 30 nuances de noir(es) évoque la mise à la marge quand il ne s’agit pas d’absence de représentation ou d’effacement, montre l’importance des représentations pour se construire. Une manière jouissive de remédier à ces problèmes, de revendiquer sa place au sein de nos sociétés, dans l’espace public, et de reprendre possession de son corps, de sa voix, de son esprit. 

C’est une manière rafraîchissante pour ces corps féminins discriminés racialement de se réapproprier l’espace public, et par la beauté du geste, des protagonistes, par la force de la proposition de partager une expérience libératoire, libératrice dont nous avons toutes et tous tant besoin.

30 nuances de noir(es) ce sont aussi des actions culturelles auprès de femmes, dans les collèges et lycées, associations, dans les conservatoires et fabriques, en danse et musique. 

Sandra sainte Rose Fanchine, la créatice, interprète et chorégraphe de 30 nuances de noir(es) évolue dans le milieu hip-hop notamment en tant que directrice artistique du magazine Radikal ou membre du groupe de streetdance Vagabond Crew dans les années 1990. Elle développe par ailleurs un travail chorégraphique qu’elle lie aux problématiques de genre et d’identité dans le hip-hop comme dans la société. Artiste polyvalente, formée aux danses afro-caribéennes, Sandra sainte Rose Fanchine est interprète dans de nombreuses compagnies telles Difé Kako, Cie Traces/Raphaëlle Delaunay, ou encore La Horde

Elle crée la compagnie 100DRA SEINTROZ qui propose 30 nuances de noir(es) sur lesquelles il faudra compter à l’avenir et qui promettent de secouer, renverser, bouleverser pas mal d’idées et de façon de faire. 

Venez nombreux et nombreuses voir cette œuvre, ce monument, ode aux femmes noires et à la liberté. 

Flavien Louh 

Découvrez 30 Nuances de Noir(es)

à la MC93 à Bobigny ce Samedi 3 Juillet à 16h00 

Gratuit

Crédit photographies de l’article : SEKA avec l’aimable courtoisie de Sandra sainte Rose Fanchine et 100DRA SEINTROZ

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Prochaines dates :
 Le 26 Septembre, Festival Mosaïque, à la Faïencerie de Creil
 Le 3 Octobre, Festival Zébrures d’Automne, Francophonies, Limoges
Sandra sainte Rose Fanchine 
crédit photographique : SEKA avec l’aimable courtoisie de Sandra sainte Rose Fanchine et 100DRA SEINTROZ